"Sur le plan du produit, notre cible est le mainstream, et le benchmark, c’est clairement Volkswagen"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Sur le plan commercial, comment analysez-vous vos bonnes performances en Europe, malgré le contexte de crise, et quelles différences notables percevez-vous selon les marchés ?
Benny Oeyen. Nos marchés les plus porteurs sont malheureusement, entre guillemets, les plus petits en volume… Toutefois, si on se limite au top 5 européen, la situation est contrastée. Au Royaume-Uni, nous enregistrons d’excellents résultats, bénéficiant aussi du fait qu’il n’y a pas de constructeurs domestiques. En France, nous suivons une trajectoire très intéressante, mais nous devons aussi composer avec les politiques commerciales de Peugeot, Citroën et Renault. En Allemagne, c’est actuellement plus difficile pour nous. En Italie, compte tenu du fait que Fiat s’affaiblit, nous avons de réelles opportunités, notamment sur les segments A et B. Nous restructurons d’ailleurs notre réseau pour saisir pleinement cette opportunité, surtout que le design de nos modèles plaît aux Italiens. Par ailleurs, en Espagne, la situation est telle que le business est forcément compliqué. Enfin, j’ajouterais que nous avons un potentiel de progression très significatif en Pologne.
JA. Vous évoquez la récession qui frappe durement l’Espagne et qui touche aussi sévèrement l’Italie. A quelle date voyez-vous ces marchés reprendre de l’allant ?
BO. Pas avant 2015 ou 2016, c’est clair. Et la macro-économie recèle actuellement tellement d’incertitudes que toute prévision doit être reçue avec beaucoup de prudence…
JA. L’usine de Zilina affichant des records de production, vous n’êtes pas concerné par les problèmes de surcapacités. Cependant, sur cette question sensible en Europe, vous sentez-vous plus proche de Sergio Marchionne ou de Martin Winterkorn ?
BO. Ce problème est actuellement au premier plan, mais il ne faut pas oublier qu’il est très ancien et qu’on ne peut pas l’analyser de façon monolithique tant la situation diffère selon les marques. Nous ne sommes effectivement pas concernés. En revanche, comme tout le monde, avec les normes de sécurité et les normes Euro 6, nous devons résoudre l’équation d’un prix de revient moyen qui augmente alors que les clients ne sont pas disposés à payer plus. Pour notre industrie, il y a donc un nouvel équilibre à trouver. Pour répondre précisément à votre question, je ne suis pas sur la même longueur d’onde que Sergio Marchionne. Ce qui ne signifie pas que je suis pleinement en accord avec Martin Winterkorn. Fondamentalement, je crois que le défi qui nous est proposé est de réinventer de rôle de l’Etat. Vaste sujet, n’est-ce pas ?
JA. Dans un contexte troublé, où la guerre des prix atteint parfois d’improbables sommets, quelle est votre stratégie de pricing ? Et si les choses venaient encore à se compliquer, jusqu’où pouvez-vous aller sur les remises ?
BO. Le fait que les choses deviennent encore plus dures en Europe est un scénario que nous ne pouvons malheureusement pas exclure… Toutefois, le discount à tout va n’est assurément pas une solution ! Regardez, Ford perd encore de l’argent en Europe, PSA n’est pas en bonne posture, Renault n’est pas au mieux, Opel est menacé de disparition, etc. Même s’il faut une certaine agilité et une certaine capacité d’adaptation sur les tarifs, le discount n’est jamais un remède dans la durée. Je pense qu’il est plus fécond de travailler sans cesse sur la qualité des offres, des produits et bien sûr des services.
JA. Lors d’un récent meeting en Corée, vous avez annoncé votre volonté de mettre davantage l’accent sur votre stratégie sur le web, afin de renforcer votre notoriété : pouvez-vous être plus précis ?
BO. Le web est un nouveau territoire qui évolue très vite et qui, bien exploité, permet de s’adresser à beaucoup de monde et notamment aux jeunes. Nous y voyons donc une belle opportunité pour la marque, surtout que les tickets d’entrée restent accessibles. Nous travaillons donc au déploiement d’une plate-forme mondiale et nous développons des projets paneuropéens. Cette approche intègre bien sûr les médias sociaux et correspond aussi à la tendance du développement du BPO (N.D.L.R. : Business Process Outsourcing ou “externalisation des processus d’affaires”). Cependant, nous maintiendrons en parallèle nos investissements sur les supports plus traditionnels, en restant raisonnables. Nous ferons de même pour nos actions de sponsoring et nous attendons beaucoup de notre implication dans le football notamment.
JA. Votre marque exprime aussi sa volonté de se développer sur le marché des flottes : la marche n’est-elle pas encore trop haute ?
BO. Sur le marché du BtoB, nous ne sommes tout simplement pas présents. A titre indicatif, ce marché représente environ 50 % des ventes en Europe et nous ne réalisons que 8 % de nos immatriculations via ce canal. Je ne suis pas certain que la marche soit vraiment trop haute, car d’une part, nous allons bénéficier d’une croissance naturelle sur ce canal et d’autre part, nous allons travailler durement et investir pour nous y développer. Dans un premier temps, notre cible prioritaire sera la clientèle des TPE-PME-ETI.
JA. Peter Schreyer évoquait récemment dans nos colonnes la tentation d’un modèle sportif. Considérant que le concept GT est précisément un concept, de plus taillé pour les Etats-Unis, peut-on attendre une surprise avec une version sportive de la Rio ?
BO. Depuis 2007, la marque a impulsé un net changement de cap et nous avons lancé des produits totalement nouveaux sur la plupart des segments. Notre couverture des segments du marché s’est aussi considérablement étoffée. Cet effort porte d’ailleurs ses fruits, comme en témoignent les résultats commerciaux que nous avons déjà évoqués. Cependant, c’est vrai qu’il nous manque encore un produit 100 % émotionnel, une “folie”. Par rapport à cette question, trois alternatives se proposent à nous : une déclinaison de série du concept GT, une Rio ou une Cee’d en version sportive ou un cabriolet. L’hypothèse du beau cabriolet est la plus fragile car ce segment chute significativement en Europe ces temps derniers. Le concept GT est effectivement un véhicule image, mais une application de série est toujours à l’étude, même s’il ne faut pas jeter l’argent par les fenêtres.
JA. Même si ce marché est pour l’heure embryonnaire et si vous avez décidé de communiquer encore discrètement sur ces sujets, quelle est votre feuille de route par rapport à l’hybridation et au véhicule électrique ?
BO. Cette une question très intéressante car elle est vraiment très européenne ! Comme chacun sait, la variable du Diesel n’y est bien sûr pas étrangère et explique en partie les différences de pénétration de l’hybridation entre Europe et Etats-Unis. Dans ce contexte, notre réponse pour l’Europe réside dans l’Optima hybride, dans une veine de modèle-étendard. Pour le VE, les choses sont encore différentes. Si on considère que le marché européen est libre et libéral, sans aides, il n’y a pas de place pour le VE. De plus, le problème de l’autonomie doit être pris au sérieux, quoi qu’en disent certains… Car c’est le client qui le vit comme un problème ! Bref, sans de grandes avancées de la législation, le VE n’est en l’état pas promis au mass-market. Chez Kia, nous maîtrisons la technologie, mais nous attendons le moment idoine pour la commercialiser.
JA. Votre marque et le groupe Hyundai-Kia dans son ensemble sont de plus en plus puissants. De votre point de vue, depuis l’Europe, quels sont vos principaux concurrents ?
BO. Sur le plan du produit, notre cible est le mainstream, comme je l’ai déjà évoqué, et le benchmark, c’est clairement Volkswagen. Nous suivons aussi les réalisations de Citroën, mais plus sous l’angle technologique. Au niveau du marketing et de la communication, il y a des différences selon les marchés européens, mais d’une manière générale nous suivons en monitoring Opel, Renault, Nissan, Citroën et les constructeurs japonais. Sur les segments A et B, nous gardons aussi un œil sur Fiat. En fait, nous restons très pragmatiques et nous privilégions une approche très réaliste. Nous bénéficions d’un cycle très favorable, mais nous gardons à l’esprit que cette croissance faiblira un jour ou l’autre et l’essentiel est donc de travailler les fondations de la marque, seul gage de réussite à long terme.
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