Reconstruction
“En mode survie”
L’expression est d’Alain Visser, vice-président d’Opel, pour évoquer les deux dernières années de la marque (voir entretien). La crise de septembre 2008 pousse en effet General Motors au bord du gouffre et, début 2009, la direction américaine prend la décision de se séparer progressivement d’Opel, en cédant entre 50 et 75 % de son capital. Débute alors un tour de table aux allures d’improbable feuilleton. Tandis qu’une offre chinoise est évoquée, les groupes Fiat, Magna et RJH déposent officiellement une proposition. Chaque proposition doit être validée par GM, décisionnaire théorique, mais aussi par le gouvernement allemand… Comme le soulignait Sergio Marchionne, “c’est une partie complexe qui se joue car c’est une année électorale en Allemagne”. L’enjeu de l’emploi est dès lors naturellement central dans tous les projets de reprise et de restructuration. Fin mai 2009, l’Etat allemand autorise finalement la cession d’Opel à l’équipementier canadien Magna, avec l’appui de la banque russe Sberbank. Le montage envisagé se décline comme suit : 35 % pour GM, 35 % pour Sberbank, 20 % pour Magna et 10 % pour les salariés. “Dans cette configuration, la conduite de la marque se serait vite révélée intenable, ingérable”, lance rétrospectivement un dirigeant d’Opel. Alors qu’une issue semblait trouvée, la situation s’envenime. D’une part, le statut d’équipementier de Magna pose problème et José-Maria Alapont, CEO de Federal Mogul, stigmatisait ainsi le risque d’impasse dans nos colonnes : “Le problème n’est pas financier, mais il touche au respect du schéma concurrentiel. Or, sous l’angle de la concurrence, les risques sont énormes ! La direction de Magna va devoir faire attention, plus encore, elle va devoir faire un effort extraordinaire pour garantir son indépendance et son intégrité d’équipementier…”. D’autre part, la dimension politique du dossier prend de l’ampleur. Le gouvernement allemand s’arc-boute logiquement sur le maintien de l’emploi et promet des aides publiques (4,5 milliards d’e), ce qui fait bondir des hommes politiques et des grands dirigeants d’autres pays de l’Union Européenne. Dans le même temps, le rôle et les visées de l’Etat russe font débat, d’autant que German Gref, P-dg de Sberbank, émet parfois l’hypothèse d’une rapide cession de ses parts…
Coup de théâtre
Bref, la situation s’enlise et aboutit finalement à un nouveau coup de théâtre en novembre 2009 : GM annonce qu’il renonce à vendre Opel ! On frise l’incident diplomatique dans la mesure où Angela Merkel, pourtant à Washington où elle avait prononcé un discours au Congrès, n’était pas informée de ce revirement… D’approximations insidieuses en jugements lapidaires, tout le monde se déchaîne. Pourtant, “avec un peu de recul, on peut pourtant se demander si le revirement de GM était aussi imprévisible qu’il a été ressenti. Indépendamment de la question du soutien à un groupe industriel en particulier, et de celle de la conformité du projet de sauvetage d’Opel avec le droit communautaire (toutes deux hautement controversées), le dossier GM-Opel ne relèverait-il pas aussi d’un classique malentendu lié à de très fortes différences entre les cultures d’affaires allemande et américaine ? Malgré la globalisation de l’économie, on semble encore sous-estimer l’impact de cette méconnaissance sur les choix stratégiques des parties impliquées”, analysent Ulrike Reisach et Isabelle Bourgeois dans une note d’analyse récemment publiée dans “Regards sur l’économie allemande”, sous le titre “GM et Opel : malentendus germano-américains”. Les puissants représentants des salariés ne cachent pas leur inquiétude, stigmatisant les années désastreuses de la gestion d’Opel par GM. Parallèlement, la direction de GM entame des négociations avec différents Etats européens pour obtenir des aides, sur fond de maintien de l’emploi et de localisation des coupes sombres. Se heurtant au mur allemand, le gouvernement ayant été échaudé par la volte-face, et profitant d’un ballon d’oxygène financier, certes fragile, GM décide en juin 2010 d’assumer seul le financement du plan d’Opel-Vauxhall. “Le plan de viabilité que nous avons défini il y a six mois ne doit pas être ralenti. Nous devons aller de l’avant”, explique Nick Reilly, qui préside aux destinées d’Opel-Vauxhall suite au départ de Carl-Peter Forster. Nick Reilly annonce un plan de restructuration de 3,3 milliards d’euros, pour la suppression de quelque 8 000 salariés, principalement en Allemagne et en Belgique, et évoque une enveloppe de 11 milliards d’euros pour renouveler la gamme de la marque sur cinq ans. Hors coûts de restructuration, la marque vise un retour à l’équilibre en 2011 et des premiers bénéfices dès 2012.
Enfin plus autonome !
Après deux ans en stand-by, l’heure est donc à la reconstruction et à un nouveau départ. Sur un mode très pragmatique car dixit Nick Reilly, “il faut radicalement changer la façon dont nous nous percevons et évaluons. Et aussi arrêter de penser que le monde a besoin de nous”. Restait à savoir si la relation avec GM allait vraiment évoluer, afin de ne pas reproduire les erreurs et errances du passé. A en croire Alain Visser, la situation n’est plus comparable : “Le lien avec GM était nécessaire, car une marque vendant entre 1,2 et 1,5 million de véhicules ne peut pas survivre de façon isolée. Cependant, il nous fallait une chaîne décisionnelle plus rapide et aussi plus d’indépendance, notamment pour notre plan produits. Nous avons obtenu cela”. Et d’ajouter : “si le changement d’Opel est peut-être difficile à percevoir de l’extérieur, je peux vous assurer qu’il est bien réel”. Une bonne nouvelle confirmée par Yves Pasquier-Desvignes, l’emblématique président d’Opel France : “Que ce soit pour le choix des produits, des segments, des motorisations, du design ou encore de l’animation commerciale, nous disposons désormais d’une réelle autonomie en Europe et cela va nous permettre d’être plus performants”.
Quid des BRIC ?
La question de l’indépendance semblant réglée et “Government Motors” ayant par ailleurs retrouvé le chemin plus indiqué de la Bourse sous la houlette de Daniel Akerson, il convient désormais de voir comment Opel peut rattraper son retard, sa part de marché européenne s’étant nettement érodée ces dernières années et la concurrence se densifiant sur un marché pour le mieux promis à l’atonie. Au chapitre des atouts d’Opel, on peut sans conteste mettre en avant les hommes qui font la marque, employés comme dirigeants. En effet, peu de groupes auraient survécu à une telle tourmente. Autre atout, les produits. Depuis le lancement de l’Insignia, la marque a su régénérer son style et accomplir les progrès en qualité que les autres généralistes ont aussi su faire. Cependant, il reste encore à mieux le faire savoir, l’image d’Opel ayant eu tendance à se dégrader ou à se désincarner du point de vue du consommateur. Les dirigeants de la marque ont d’ailleurs ouvert ce chantier, que l’on sait de longue haleine, et misent aussi beaucoup sur l’arrivée du modèle Junior pour redonner un juste attrait à Opel. Au niveau des énergies alternatives, la marque propose l’Ampera, l’alter ego de la Volt de Chevrolet, et annonce des modèles électriques. En fait, la principale interrogation concernant la viabilité du plan de la marque concerne son aptitude à capter la croissance des marchés émergents. Opel réalise l’essentiel de ses ventes en Europe où elle affiche 6,5 % de parts de marché. Elle espère voir sa pénétration y progresser de 1,5 point d’ici deux à trois ans, ce qui est envisageable, vu qu’elle a été notamment lourdement handicapée sur le marché des flottes par les incertitudes liées à l’épisode de la reprise. La marque a aussi annoncé son arrivée sur certains marchés très ciblés. Toutefois, cela ne saurait suffire car la croissance mondiale sera principalement portée par les BRIC. Or, hormis quelques menus volumes programmés en Chine, rien n’est pour l’heure clairement défini. Et on sait aussi que Chevrolet, certes avec une gamme différente, a déjà pris ses aises sur certains de ces marchés, Russie en tête. C’est donc sur ce point hautement névralgique qu’il faut guetter des annonces dans les prochains mois.
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FOCUS - Opel Europe en chiffres
• 1 209 000 ventes en 2009 dont 75 000 VUL
• 5 000 distributeurs/réparateurs
• 13 usines dans 8 pays
• 46 000 collaborateurs
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