Présidentielle 2022 : quel avenir pour l’automobile ?
À la fin de l’année 2018, une hausse du prix de l’essence avait enflammé une partie de la société et lancé le mouvement des “Gilets Jaunes”. Un événement qui confirme l’importance de la mobilité, et plus particulièrement l’automobile, aux yeux des Français. Cependant, depuis l'entrée en campagne des candidats, les propositions liées à la voiture sont timides, éclipsées par des thématiques telles que le Covid-19, la sécurité, l’immigration ou plus récemment la guerre en Ukraine. Difficile d’avoir de la visibilité sur l’avenir de la voiture, que ce soit dans l’industrie ou dans le domaine des services pour les cinq prochaines années.
Preuve que la filière est importante, le Journal de l’Automobile avec la société de sondage YouGov s’est intéressé aux usages et à l’opinion des Français concernant leur mobilité. Une enquête réalisée du 24 au 25 février 2022 auprès de 1 006 personnes représentatives de la population française de plus de 18 ans. Nous observons dans ce sondage que 90 % des sondés possèdent au moins une voiture (49 % détiennent un véhicule, 35 % deux véhicules et 6 % plus de deux véhicules). Par ailleurs, 49 % d’entre eux en font un usage quotidien. Si l’automobile est pointée du doigt, elle n’en demeure pas moins un outil crucial pour les Français, qui regardent avec attention les thématiques qui en sont liées.
Pourtant, le thème de la mobilité est clairement au second plan de cette campagne présidentielle. Un point que regrettent les 69 % des interrogés de notre sondage qui trouve que la mobilité n’est pas suffisamment mise en lumière dans la campagne présidentielle. De surcroît, comme sur d'autres sujets, les Français ont une défiance de la classe politique et n’en attendent rien. 23 % des sondés pensent qu’aucune famille politique n’est réellement adéquate pour apporter des solutions aux problématiques de mobilité et 24 % n’ont pas d’avis. Cependant, il faut tout de même souligner que 16 % des interrogés pensent que les écologistes sont les plus compétents dans le domaine.
Pour y voir plus clair, la rédaction du Journal de l’Automobile a sollicité, dès le début de l’année 2022, les candidats à la présidentielle afin de connaître leurs intentions. Nous avons interrogé huit femmes et hommes, dont le score est censé être supérieur à 2 %. Mais depuis le début de notre enquête, le jeu d'échecs et de petites phrases a mis à mal certaines de nos certitudes ! Tous les jours, nous vous publierons sur notre site l’intégralité des réponses des candidats qui ont accepté de nous répondre.
Voici les grandes tendances qui se dégagent de notre enquête.
Coup de foudre pour l’électrique
L’aspect environnemental est, sans surprise, au cœur des préoccupations. Entre la volonté de la Commission européenne d’arrêter la vente de véhicules thermiques en 2035 et les différentes réglementations françaises (LOM et Loi Climat), l’étau se resserre pour les voitures essence et diesel. Les candidats ont conscience du défi de la mobilité de demain, et la transition vers l’électrique fait consensus, occultant presque, par méconnaissance ou manque d'intérêt, le potentiel de l’hydrogène, biogaz, GPL ou encore GNV, pour décarboniser le secteur. En revanche, le sujet de la multimodalité s’impose dans les programmes mobilités des candidats. Ainsi les propositions en faveur du vélo, de l’autopartage ou encore du covoiturage s'étoffent avec des idées de mesures incitatives. Des projets de mobilités qui ont du sens pour les citadins, mais moins pour les ruraux.
Emmanuel Macron vient à peine d'entrer officiellement en campagne. Néanmoins, son plan France 2030 présenté en octobre 2021, prévoit de pousser la production de près de 2 millions de véhicules électrifiés. Un objectif qu'il juge atteignable, "à condition qu’il y ait une vraie stratégie coopérative, en particulier de nos grands constructeurs." Paulin Dementhon est le relais mobilité de la majorité présidentielle. D’après l’ex-fondateur et président de Drivy, le bilan du quinquennat est positif : "des progrès considérables ont eu lieu, avec un décollage spectaculaire des ventes où le nombre de véhicules électriques est passé de 150 000 à environ 700 000 selon l’Avere". Selon LREM, deux défis restent à remplir : la densification des infrastructures et l’allègement des trajets quotidiens.
Du côté des Républicains, la France doit développer les bornes de recharge et participer à la croissance des filières industrielles française de production de véhicules électriques. Pour promouvoir ces dernières, Valérie Pécresse souhaite débloquer une aide de 6 000 euros à l’achat d’un véhicule vert.
Des infrastructures de recharge qui sont le nerf de la guerre
Pour rappel, l’Hexagone ambitionnait d’installer 100 000 stations de recharge, un objectif qui n’a pas été atteint. Seulement 55 515 points de recharges ouverts au public, fin février 2022, étaient recensés. S’il est élu, Jean-Luc Mélenchon souhaite lancer un service public des bornes de recharge électrique sur la voie publique.
Le VE, Anne Hidalgo en a fait son cheval de bataille. "Les véhicules électriques peuvent être un puissant levier de mobilité qui concilie transition écologique et mobilité pour toutes et tous." Par le biais de partenariats avec les constructeurs et les loueurs, la candidate socialiste ambitionne la création d’un "leasing social" pour permettre aux automobilistes de changer de véhicules sans barrière financière à l’achat. "Ce dispositif sera complété par un prêt à taux zéro pour le changement de motorisation, y compris le rétrofit, et le déploiement d’un million de bornes électriques sur tout le territoire sur le quinquennat, avec une priorité aux zones rurales. Il s’agira également de partager la voiture, par exemple, grâce au covoiturage", affirme Anne Hidalgo.
La batterie, l’unique option ?
A l'extrême droite de l’échiquier politique, Éric Zemmour ne laisse aucune place aux VE sans pour autant proposer d’alternatives potentielles à la décarbonation de l’automobile. Sans être aussi radicale, Marine le Pen ne voit pas non plus l’avenir de l’automobile dans les modèles à batterie. Si elle estime qu’une transition est inévitable, elle place plutôt ses espoirs dans l’hydrogène. "La voiture électrique peut paraître propre, mais en l’état actuel, elle ne l’est pas à cause de la question des batteries, qui demandent l’extraction de métaux dans des quantités non durables. L’hydrogène est une filière décarbonée et utilisable comme carburant propre que nous pouvons produire nous-mêmes. Il s’agit de la meilleure voie. Mais je ne m’interdis pas de faire des recherches sur des batteries utilisant d’autres matériaux que le lithium. Ce qui rendrait moins problématique la dépendance à quelques puissances étrangères et à l’inflation des métaux rares."
En se propulsant à l’opposé, vers le Parti communiste, Fabien Roussel propose une prime à la conversion de 10 000 euros. "Il faut encourager tous les véhicules fonctionnant avec des énergies décarbonées (électricité, gaz vert, hydrogène, etc.). Dans certains cas, l’hydrogène peut s’avérer pertinent, mais plutôt pour des modes collectifs comme des flottes de taxis ou des bus. Mais en l’état actuel des connaissances, l’électrique est l’alternative la plus crédible en matière d’automobiles. Il faut donc se mettre au diapason en augmentant nos capacités de production électrique décarbonée" précise le candidat communiste.
Et si la solution n’était tout simplement pas d’éviter les quatre roues ? Yannick Jadot fait plutôt la promotion de la mobilité durable en souhaitant rendre obligatoire le Forfait Mobilité Durable tout en augmentant son plafond à hauteur de 1000 euros par an. "La voiture électrique fait partie de la solution, mais elle ne résout pas tout, loin de là. Il faudrait réduire le nombre de véhicules. Si nous remplaçons les 35 millions de voitures thermiques par 35 millions de voitures électriques, c’est que nous aurons raté quelque chose. Vive le covoiturage partout où c’est possible !"
En parallèle, le candidat écologiste assure vouloir soutenir les initiatives des entreprises et collectivités en faveur du vélo. Le report modal n’est pas l’apanage de Yannick Jadot. Anne Hidalgo, Fabien Roussel ou encore Jean-Luc Mélenchon voient aussi un intérêt fort au développement de la "mobilité douce". La candidate du Parti Socialiste souligne qu’"il faut investir massivement". Le candidat communiste ambitionne d’" investir dans les infrastructures : créer un réseau de 100 000 km de pistes cyclables en consacrant 500 millions d’euros par an pour aider les collectivités, et à terme 1 milliard d’euros par an."
Limiter les routes sans limiter les automobilistes
Après les "Gilet Jaunes", les candidats marchent sur des œufs. Ils doivent donc jongler entre les enjeux environnementaux, économiques et sociétaux. Les Zones à Faibles Émissions (ZFE) en sont l’exemple parfait. En léthargie pour le moment en raison de la crise sanitaire et d’une mise en place en place tardive, le sujet pourrait bien être une bombe sociale à retardement. Sur ce point, les prétendants à la présidence sont relativement discrets, mais partagés, avec des positions binaires, sans réelle solution. Il faut dire que l’épée de Damoclès d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre en cas de non-instauration d’une ZFE, est particulièrement dissuasive.
A contrario, il y a un véritable engouement sur la thématique toujours très populaire, voire populiste, des limitations de vitesse. Un sujet sur lequel les candidats flirtent avec la démagogie. Les vieux clivages refont surface, avec des candidats de gauche plutôt en faveur de la limitation, pour des raisons de sécurité et d’écologie, et des candidats à droite opposés à celle-ci.
Ces dernières années, diverses réglementations ont changé pour s’aligner aux ambitions écologiques du gouvernement. À commencer par la question de l’usage de la voiture en agglomération. La France a décidé de miser sur les ZFE. À partir du 31 décembre, les agglomérations de plus de 150 000 habitants devront mettre en place ces dispositifs visant à restreindre - voire interdire- la circulation aux véhicules les plus polluants en fonction de leur vignette Crit’Air. Elles devraient concerner près de 8,7 millions d’automobilistes. Pour le moment, elles se mettent en place en ordre dispersé avec des réglementations plus ou moins sévères. Quelques voix s'élèvent à leur encontre, mais elles ne produisent que peu d’écho.
Dans notre sondage réalisé avec YouGov, seuls 34 % des sondés ayant connaissance des ZFE prévoient un impact de ces dernières dans leur mobilité. Une majorité de Français ne prennent pas encore la mesure au sérieux alors que des systèmes de contrôle sont en cours d’élaboration. Pour Anne Hidalgo et Fabien Roussel, en l’état, le principe des ZFE est satisfaisant. Néanmoins, le candidat communiste précise : "sans aides suffisantes, ce dispositif est inapplicable." Selon lui, les ZFE ne sont pas la seule option pour limiter l'émission de particules fines. "Il faut également faire évoluer la législation sur les émissions émises au freinage qui représentent 40 % des émissions de particules fines des voitures neuves. Je propose que l’installation de systèmes d’aspiration des particules de freinage soit obligatoire pour toutes les voitures neuves vendues en France", affirme Fabien Roussel.
Même constat pour Yannick Jadot qui souligne l’importance des ZFE, en précisant qu’elles sont insuffisantes. Le candidat EELV explique : "Les ZFE ne règlent pas tout. Je veux les compléter par des Zones à trafic limité (ZTL), comme ce qui existe en Italie. Cela n’est possible que par le développement d’une offre complète et fiable de transport collectif. Mon projet porte l’ambition de mettre quatre milliards dans les transports en commun dans le déploiement de solutions efficaces". Insatisfait, le candidat France Insoumise s’oppose aux ZFE dans leur mise en place actuelle. Selon Jean-Luc Mélenchon, elle induirait des inégalités sociales et une complaisance vis-à-vis des SUV.
Fidèle à sa ligne, Éric Zemmour prône leur arrêt pur et dur. Un avis partagé par la candidate du Rassemblement National qui s’agace : "ces dispositions sont une honte, une injustice sociale indigne de la France. J’y mettrai fin dès mon arrivée au pouvoir. Il faut accompagner la transition mais sûrement pas punir les plus modestes d’entre nous qui bien souvent, ont une empreinte carbone bien plus faible que bien des bobos qui font le tour du monde."
Limiter pour mieux régner ?
Depuis le 1er juillet 2018, les automobilistes doivent rouler à 80 km/h au lieu de 90 km/h sur les nationales. La mesure avait semé la graine du mouvement des "Gilets Jaunes". Trois ans plus tard, la maire de Paris, propose de limiter la vitesse sur autoroute à 110 km/h. La majorité présidentielle, par la voix de Paulin Dementhon, est plutôt satisfaite et estime que "l’équilibre est le bon". "Il faut noter que les vitesses moyennes observées sur autoroute sont en légère baisse, grâce aux comportements écoresponsables adoptés par les Français", affirme-t-il. Les prises de parti caricaturales des clivages gauche-droite refont surface. Ainsi, le candidat Reconquête! compte faire marche arrière sur ces thèmes-là. Une position partagée par Marine le Pen qui explique : "Les autoroutes sont payantes parce qu’elles permettent d’emprunter un axe beaucoup plus rapide que les routes secondaires. Diminuer la vitesse n’aurait aucun sens."
Sur la thématique des autoroutes, un sujet redevient à la mode : la nationalisation des sociétés d’autoroute. Depuis plus d’une décennie, le prix des péages augmente. Pour contrecarrer ces hausses annuelles, Marine Le Pen, Éric Zemmour, Fabien Roussel ou encore Jean-Luc Mélenchon sont en faveur de cette proposition. Un sujet sur lequel s’oppose la candidate Les Républicains et Anne Hidalgo.
Alléger le portefeuille des automobilistes
Dans un esprit de séduction, les candidats proposent des mesures alléchantes visant à réduire les dépenses des automobilistes. Marine le Pen propose de baisser la TVA sur les énergies de 20 % à 5,5 %. Éric Zemmour, quant à lui, aspire à supprimer le permis à points. Passeport pour l’emploi, les prix parfois prohibitifs des autoécoles empêchent les potentiels jeunes conducteurs de le passer. Yannick Jadot propose de mettre en place un revenu citoyen de 918 euros par mois pour les jeunes de 18 ans fiscalement détachés de leurs parents. Fabien Roussel précise qu’il souhaite la gratuité du permis pour les moins de 25 ans.
L’enjeu de la relocalisation
Pour la plupart des candidats, il est devenu primordial de retrouver une indépendance et une souveraineté industrielle. Tous les prétendants à l’Élysée s'accordent sur le sujet, mais avec des propositions divergentes. Un constat partagé, qui prend une nouvelle ampleur au regard de l’actualité avec la guerre en Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie. Couplé à la pénurie de semi-conducteur et de matières premières, c’est toute la stratégie industrielle qui est remise en question. La relocalisation, tous les candidats la souhaitent.
Paulin Dementhon, estime que "le gouvernement a été très volontaire et pionnier sur la relocalisation, la réindustrialisation et la protection de notre souveraineté en sécurisant les chaînes d’approvisionnement. Les crises actuelles montrent à quel point c’est indispensable. C’est donc une évidence qu’il faut aller encore plus vite et plus loin dans cette direction". De fait, l’écologiste Yannick Jadot tient un discours similaire : "Il est impensable qu’aujourd’hui l'ensemble de l’Union européenne soit dépendante de l’Asie pour importer des semi-conducteurs. Nous investirons 25 milliards d’euros par an pour structurer de nouvelles filières industrielles. Enfin, pour garantir des débouchés aux usines françaises et européennes, nous mettrons en place un “Buy european act” qui consiste à intégrer des critères de localisation dans les marchés publics."
Fabien Roussel présente : "il faut d’abord empêcher toute nouvelle délocalisation d’activités. Ainsi, les fonderies françaises connaissent une sensible baisse des commandes des deux grands donneurs d’ordres français, Renault et Stellantis. Ces deux groupes font le choix de recourir à des productions hors territoire national, alors que nous disposons de nombreuses fonderies capables d’accompagner la transition hybride et électrique de l’automobile"
De son côté, la candidate RN compte définir un cadre pour la relocalisation. "J’ajouterai un allégement urgent des normes et des réglementations", précise Marine le Pen. Elle souhaite notamment supprimer la Cotisation Foncière des Entreprise (CFE) et certains impôts de production, mais aussi rétablir les primes d’aménagement du territoire. Éric Zemmour précise dans son programme vouloir créer des zones franches dans les régions "durement touché" par la désindustrialisation.
Au niveau de la distribution automobile et de l'après-vente, la crise sanitaire a rendu incontournable la digitalisation. "Tout le monde ne souhaite pas acheter sa voiture par internet et beaucoup de nos compatriotes n’ont pas accès à ces outils. Nous imposerons donc à toutes les marques qui souhaitent vendre en France d’assurer dans chaque département un point de vente, un point de réparation et un service client", précise Yannick Jadot.
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