S'abonner
Constructeurs

“Nous n’allons pas élargir notre gamme par le bas, nous allons même faire l’inverse”

Publié le 14 mai 2014

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
A l’occasion de la présentation des résultats financiers d’Audi, nous avons eu l’opportunité de pouvoir échanger longuement avec Luca de Meo. L’ancien “kid” préféré de Sergio Marchionne a mûri et il nous livre une vision très fine et réfléchie des défis qui attendent Audi et l’industrie automobile en général.
Luca de Meo, membre du Board of Management d’Audi AG, en charge des ventes et du marketing.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Comment analysez-vous les résultats financiers du groupe, à nouveau de très bonne facture en 2013, mais toutefois éloignés d’un nouveau record ?

LUCA DE MEO. Nos résultats financiers sont très satisfaisants, surtout si vous les mettez en perspective avec ceux des autres acteurs automobiles. Toutefois, il est clair que le ralentissement de l’activité sur le marché européen a des conséquences sur nos résultats, ce qui explique pour partie l’absence de nouveau record. Dans cette région, le mix a tendance à être orienté vers le bas, principalement sous l’effet des réglementations liées au CO2 et des sanctions qui les accompagnent parfois. Cependant, sous l’angle des volumes, nous avons vraisemblablement atteint le point bas l’an passé et le début de l’année 2014 laisse d’ailleurs entrevoir des frémissements intéressants. C’est notamment le cas en Espagne et en Italie.

JA. Le marché français, caractérisé par une économie morose et une crise de confiance, est-il une source d’inquiétude ?

LdM. Le marché français est difficile, mais nous ne voyons aucun risque d’effondrement. Nos résultats commerciaux sont d’ailleurs solides depuis le début de l’année. En outre, en prenant du champ, on constate que la France représente entre 3 et 4 % des ventes mondiales d’Audi. C’est donc un marché très important, mais il n’est pas ultra-sensible pour notre équilibre général.

JA. Quel regard portez-vous sur le lancement névralgique de l’A3 berline ?
LdM.
C’est effectivement un modèle névralgique car il nous permet d’entrer sur le plus gros segment du monde. On a tendance à l’oublier depuis l’Europe où la silhouette hatchback est historiquement plébiscitée. Ce modèle correspond aux ambitions de la marque en Chine et aux Etats-Unis et il vient conforter notre vision mondiale du marché.

JA. Le groupe a récemment annoncé le développement de plusieurs produits pour arriver à un total de 60 modèles en 2020 contre 49 aujourd’hui. Au niveau de votre stratégie de positionnement, envisagez-vous de renforcer votre cœur de gamme ou de continuer à élargir votre portefeuille vers le bas ?

LdM. Au plan du produit, notre stratégie s’articule autour de trois grands axes. Tout d’abord, nous n’allons pas élargir notre gamme par le bas, nous allons même faire l’inverse. Nous devons en effet nous atteler à réaliser sur A6 et A8 ce que nous avons fait sur A3 et A4. Nous allons donc nous densifier sur le haut de notre gamme. Par ailleurs, les SUV font clairement partie de nos priorités. Ils représentent d’ores et déjà 28 % de nos ventes mondiales et cette valeur passera très rapidement à 35 %, notamment avec l’arrivée du Q1 programmée en 2016. Enfin, nous allons enrichir notre offre de motorisations, ce qui passera aussi par un renforcement des énergies alternatives. Dans ce domaine, il convient de ne pas tout limiter à l’électrification, même si e-tron constitue un jalon capital de notre stratégie, et nous proposerons une mosaïque de solutions adaptées. Par exemple, le green-Diesel n’est pas à négliger au Japon. Nous faisons valoir l’atout de la plate-forme MQB pour implémenter de nouvelles énergies sur nos modèles et pour répondre aux attentes spécifiques des marchés.

JA. A l’image de BMW, peut-on attendre l’arrivée d’un monospace dans votre gamme ?

LdM. Il ne faut jamais dire jamais, mais au jour d’aujourd’hui, comme je vous l’indiquais à l’instant, nous privilégions les SUV. D’une part, parce que ce segment est pleinement compatible avec notre vision du haut de gamme et d’autre part, parce qu’il s’agit d’un segment global qui connaît une croissance mondiale. En outre, c’est un segment plus facile à travailler commercialement que celui des monospaces. Cela renvoie aussi à notre stratégie Premium d’ensemble, qui ne se limite pas uniquement aux produits, mais qui revendique un point d’ancrage financier dans le “price Premium”.

JA. Au niveau des marchés, la Chine concentre une part grandissante de vos investissements : au-delà de vos très bonnes performances commerciales, parvenez-vous aussi à garder un niveau de marge très élevé ?

LdM. Nous réalisons effectivement nos meilleures marges sur ce marché, mais il ne faut pas considérer cette performance comme facile ou normale, entre guillemets. En effet, cela réclame des investissements très significatifs et beaucoup de travail. En 2013, Audi a réalisé 491 989 ventes en Chine, soit une progression de 21 % par rapport à 2012 et depuis le début de l’année, nos résultats sont très bons et nous comptons faire mieux que le marché, avec une croissance à deux chiffres. Mais Audi ne se repose pas sur ses lauriers. Ainsi, nous allons porter notre capacité de production à 700 000 unités dans le pays et nous allons continuer à développer notre réseau de distribution. Actuellement, nous travaillons avec plus de 340 concessions et cette capillarité passera à 500 à un horizon 2017-2018.

JA. Par ailleurs, vous multipliez les efforts de conquête aux Etats-Unis : pour l’heure, voyez-vous le verre à moitié plein ou à moitié vide ?

LdM. A moitié plein ! Surtout qu’il faut prendre en considération le caractère très concurrentiel du marché américain. Or, depuis 2009, nous y avons multiplié nos volumes par deux. Dans le même temps, nous avons nettement amélioré notre mix produits, pour une moyenne de 6 000 euros par unité en trois ans, et nos valeurs résiduelles sont aussi clairement orientées à la hausse. Notre réseau va aussi s’étoffer, passant de 274 concessions aujourd’hui à 300 très prochainement. Des investisseurs très motivés puisqu’ils vont investir environ 1 milliard d’euros d’ici 2020.

JA. A propos de distribution, que répondez-vous à ceux qui pensent que le concept Audi City pourrait mettre les distributeurs traditionnels en porte-à-faux à l’avenir ?
LdM.
Je pense que c’est une mauvaise interprétation de ce que nous essayons de faire. Le concept Audi City ne vise absolument pas à contourner la distribution traditionnelle, mais à l’accompagner dans ses mutations, principalement pour entrer dans l’ère numérique, et à l’aider à améliorer ses performances. Vis-à-vis de nos investisseurs, c’est aussi notre mission et notre devoir de constructeur. Je pense que nous avons d’ailleurs une relation de confiance avec nos concessionnaires, notamment si je me fie à leurs projets et leurs investissements. Ainsi, en 2013, nos 2 800 concessionnaires répartis dans le monde ont investi plus d’un milliard d’euros.

JA. Sur le front numérique, les choses s’accélèrent nettement et renvoient aux jeunes générations qu’on dit moins attachées à l’automobile en général. Que pensez-vous de cette prétendue désaffection, cependant corroborée par certains chiffres, comme le nombre déclinant de délivrances de permis de conduire dans le monde alors même que l’industrie automobile est en croissance ?

LdM. D’une manière générale, je pense que les jeunes sont en effet moins attachés à l’automobile qu’auparavant. Toutefois, on ne peut pas se contenter de généralités et il faut prendre en compte les différences importantes qui peuvent exister entre les marchés matures et les marchés dits émergents. Je crois qu’il revient à l’industrie automobile de relever ce défi, ce qui passe notamment par l’enjeu central de la connectivité des voitures. Nous devons être capables de prolonger la vie numérique dans nos modèles. Actuellement, nous sommes à une étape charnière de cette évolution et pour la voiture, il s’agit de passer de l’iPod à l’iPhone. Mais je suis foncièrement confiant car l’automobile a toujours su se réinventer.

JA. Cette problématique générationnelle pose aussi des questions sur la prégnance de la notion de propriété du véhicule, n’est-ce pas ?

LdM. Effectivement, la notion de propriété n’est plus aussi souveraine que par le passé et nous devons donc nourrir une réflexion sur le sujet. Nous envisageons donc plusieurs hypothèses de services de mobilité au sein du groupe et l’offre Audi Selekt, actuellement en phase pilote en Allemagne et en Italie, va dans ce sens. Là encore, nous veillons à maintenir et promouvoir notre positionnement Premium. Nous ne situons pas dans le périmètre du public car-sharing qui réduit in fine le véhicule à une utilité. En outre, considérant qu’Audi Selekt exploite des VO récents, nous nous prémunissons contre l’écueil de la gestion de la production, des immatriculations et des stocks.

JA. Pour conclure, que pensez-vous de cette récente sortie de Carlos Ghosn : “Google ne fabriquera jamais des voitures” ?

LdM. Je n’avais pas connaissance de cette déclaration et il ne me revient pas de la commenter. En revanche, on constate en effet que des géants d’autres secteurs, comme Google ou Apple par exemple, s’intéressent à l’industrie automobile. C’est d’ailleurs réciproque. Je pense que c’est prometteur et que cela ouvre de belles perspectives de fertilisation croisée.
 

Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

Pour vous tenir informés de toute l'actualité automobile, abonnez-vous à nos newsletters.
Inscription aux Newsletters
cross-circle