Lionel French Keogh, Hyundai : "La concession doit devenir un lieu pratique"
Journal de l'Automobile : Comment les bons résultats annoncés en fin de premier semestre placent-t-ils la filiale tricolore de Hyundai sur la scène européenne ?
Lionel French Keogh : Hyundai France est la filiale qui a le plus progressé, parmi les cinq pays majeurs. En termes de part de marché, nous restons cependant encore loin. Nous nous rapprochons de celle enregistrée en Italie, mais les filiales allemande, anglaise et espagnole font bien mieux. Il n'y a pas à rougir pour autant, les structures de marché sont différentes et nous devons faire face, ici, à la concurrence directe de constructeurs nationaux très forts. C'est moins vrai dans les autres pays. En 2021, Hyundai finira au-dessus de 3 % de pénétration à l'échelle européenne, nous avons donc encore des opportunités pour nous aligner sur ce niveau.
JA : Dans un contexte de marché sous tension sanitaire et logistique, comment expliquer une telle performance ?
LFK : Entre le confinement et le couvre-feu, le contexte a été défavorable aux particuliers. Depuis la levée des restrictions, nous observons que la dynamique peine à reprendre sur ce segment, contrairement au canal des professionnels qui est reparti presque aussitôt, du fait des besoins immédiats de véhicules comme d'outils de travail mais aussi de notre pertinence technologique. Durant cette période de semi-fermeture, nous ne pouvions vendre que sur rendez-vous, soit un schéma qui s'apparente plus à du commerce BtoB par nature. Le mix a nettement été impacté par cette mesure et de fait, à titre d'exemple, nous sommes passés de 40 % à 70 % de commandes de Tucson par des professionnels en avril. Peut-être aurait-on pu faire plus de ventes à particulier, mais nous sommes satisfaits du travail accompli.
JA : Et qu'en est-il des complications logistiques…
LFK : Nous avons actuellement un stock équivalent à 2,5 mois d'activité après avoir commencé l'exercice avec 4 mois de réserve. Nous avions fait ce choix car la saisonnalité du premier trimestre est très forte en ce qui nous concerne. Le stock continue de faire vendre car la capacité à livrer fait la différence. Nous voulions mettre cet avantage de notre côté. Si on ne se prépare pas pour le meilleur, le meilleur n'arrive pas. Dans le même temps, nous avons passé un accord avec la maison mère pour récupérer des volumes issus d'autres pays, notamment ceux de l'Allemagne et de l'Angleterre, car à certains moments, comme en mars et en avril, 70 % du réseau européen était fermé. En contrepartie, nous nous sommes engagés à dépasser nos objectifs annuels. J'ai ainsi reçu plus de Tucson Plug-in Hybrid que prévu initialement et cela profite à tout le monde car nous réalisons une augmentation de volume avec un produit à plus forte valeur ajoutée et au bilan CO2 avantageux pour le constructeur.
JA : Assumez-vous cette croissance intimement liée à la performance du canal BtoB ?
LFK : Nous imaginions réaliser 25 % de prises de commande en BtoB, dont les professions libérales, et nous sommes plutôt à 30 %. Il faut y voir le fruit de notre travail combiné à la structuration du marché. Nous assumons cet essor, car ces ventes sont rentables pour nous. La filiale Hyundai France s'est rapprochée de flottes saines et où il possible de miser sur de la fidélisation. Nous sommes pratiquement à 3 % de pénétration sur le marché des particuliers contre 1,84 % sur celui des flottes. Nous ne parviendrons très probablement jamais à un ratio de 1 pour 1 car les marques françaises occupent le terrain, mais nous exploiterons à plein les opportunités. Il faut souligner qu'en BtoC, Ford n'a vendu que 400 VN de plus que Hyundai au premier semestre. Nous pouvons en faire une cible car au-dessus il y a Volkswagen et Toyota et c'est une autre dimension.
JA : Au-delà des considérations quantitatives, quel est le bilan qualitatif des ventes ?
LFK : Nous projetons de vendre à peine 7 % des VN aux loueurs courte durée. L'ambition est donc bien de privilégier des canaux plus rentables comme ceux des particuliers et de la location longue durée. Le réseau a un objectif de pénétration depuis le début de l'année et sans disposer du plein potentiel de notre catalogue de produits, nous atteignons 2,5 % au terme du semestre. Nous les avons sondés pour connaître leur opinion et nous estimons qu'il serait décevant de ne pas garder a minima ce niveau de performance sur l'ensemble de l'exercice.
JA : Quel est le niveau de rentabilité des concessionnaires ?
LFK : Je n'ai pas encore les chiffres consolidés, mais la progression de 25 à 30 % des volumes pourrait nous conduire à dépasser les statistiques de 2019.
JA : Quel est l'état du portefeuille de commandes à l'entame du second semestre ?
LFK : Nous avons presque deux mois en portefeuille, soit un score historique à cette période de l'année. Je répète donc au réseau que nous avons les moyens de construire les développements de demain. Le succès général ne doit pas occulter que certaines choses n'ont pas fonctionné comme elles le devraient. Kona par exemple est à 3,5 % de pénétration sur le segment des B-SUV quand le Tucson est à 5,5 % sur son marché. Certes quand la marque est à 2,5 % au global, la performance donne matière à réjouissance, mais j'estime que nous pouvons faire mieux avec le Kona dont la diversité de technologies permet de toucher différentes clientèles.
JA : Justement, voyez-vous une évolution de la typologie de clients qui franchissent les portes ?
LFK : Comme je le dis au réseau, jusqu'à fin mai, le véhicule le plus vendu était le Tucson diesel en finition Executive. Au mois de juin, les clients ont signé majoritairement pour la version PHEV, facturée plus de 50 000 euros. Nous avons la Ioniq 5 qui arrive avec des tarifs situés dans une fourchette de 45 000 à 55 000 euros. L'image low-cost qui nous collait a été effacée par le niveau technologique et clairement nous avons un panel plus large de consommateurs prêts à nous mettre en concurrence avec des marques premium, aussi bien en BtoC qu'en BtoB. Dans les flottes, nous sommes référencés parmi les modèles présentés à la direction.
JA : Le mode de consommation joue aussi en votre faveur…
LFK : Je suis d'accord, le passage à des formules locatives a changé le rapport aux prix de vente. Cette évolution est aussi rendue possible par le travail sur les valeurs résiduelles depuis six ou sept ans. Il a fallu du temps pour gommer le passé et les préjudices des ventes tactiques. Maintenant, l'Argus et Autovista nous placent dans le Top 3 sinon Top 1 en VR à chaque lancement de modèle.
JA : Restons sur la technologie. Comment lever les barrières psychologiques sur la voie d'accès à l'électrique ?
LFK : Je pense que les choses vont évoluer assez vite cette année. Les annonces de Total vont dans le bon sens. Une bonne partie du territoire sera couverte dès 2021. En revanche, je suis plus sceptique pour les infrastructures privées. Les entreprises vont faires les travaux pour accompagner le verdissement des flottes, mais dans les copropriétés, il reste du chemin. Hyundai collabore avec Proxiserve afin de résoudre cette problématique qui tient au manque de compétence pour étudier les dossiers.
JA : Fort de ce premier semestre, quelle est la composition du parc roulant ?
LFK : Nous avons environ 200 000 véhicules de moins de 5 ans en circulation en France. En qualité de best-seller depuis plusieurs années avec 10 000 unités lors de chaque exercice, le Tucson est forcément le plus représenté. Les i20 et les Kona complètent le podium. Le poids de la technologie électrique reste infinitésimal.
JA : Quels sont les résultats de Hyundai à l'après-vente ?
LFK : Nos véhicules sortent de concession avec 5 ans de garantie et pourtant après trois années, le taux de fidélisation dépasse à peine 50 %. Nous avons donc collectivement d'importantes opportunités de croissance. Aujourd'hui, moins de 10 % des ventes de VN sont assorties d'un contrat de maintenance, ce qui est loin de l'ambition de la marque et des standards du marché. En procédant à une refonte des formules commercialisées, nous devrions parvenir à convaincre l'ensemble de nos clients d'y souscrire en plus de leur contrat de location dans les 24 à 36 mois qui viennent. Cela va dans le sens de l'histoire.
JA : Quels services ajouter pour convaincre ?
LFK : Nous devons revoir la construction complète et étudier la liste des services à intégrer comme la prestation à domicile. Nous devons nous assurer de garder un prix compétitif car le pouvoir d'achat prime dans l'esprit des Français. Ce travail doit commencer en interne avant d'être partagé avec le réseau.
JA : Est-ce une porte ouverte aux contributeurs extérieurs ?
LFK : Nous réalisons le convoyage à domicile avec Pop Valet. C'est un exemple. Je pense qu'il n'y pas réellement de limite aux services qui peuvent être apportés. Nous échangeons actuellement avec Leocare, une assurance 100 % digitale pour qu'à la suite du partenariat signé, nous puissions les intégrer plus concrètement au parcours d'achat d'un véhicule. Nous discutons avec Total pour le nettoyage, Indigo pour le stationnement et d'autres pour les autoroutes notamment. Nous allons enrichir notre offre de services et aider à la forfaitisation. Ce ne sera pas un package imposé, mais un catalogue de solutions qui seront consommés en fonction des besoins. La technologie nous permet de laisser la place à de l'individualisation.
JA : Quels sont les projets en pilote pour rendre les ateliers plus efficients ?
LFK : Ce sont tous ces sujets de services. Nous devons désormais piloter des modèles économiques profitables au réseau. Typiquement, nous sommes en train de demander aux concessionnaires d'investir dans les bornes de recharge, nous souhaitons que cette infrastructure soit ouverte au public. La question qui se pose : que pouvons-nous vendre aux conducteurs qui s'arrêtent et valoriser ce moment de recharge ? La concession doit devenir un lieu pratique pour créer des habitudes de passage dans nos murs. Pour cette raison nous affichons la conviction que le réseau a de l'avenir.
JA : Comment ne pas y déceler un message à l'adresse des concessionnaires Stellantis ?
LFK : Ces visions ont été partagées avant les annonces de Stellantis ou de Volvo, mais en effet la coïncidence interpelle. Non pas que je ne crois pas en la digitalisation des concessions, mais celle-ci doit apporter quelque chose de plus que la technologie domestique. Avoir un bel écran ou un casque de réalité virtuelle, c'est accessible aux consommateurs. Aller dans un magasin, c'est la promesse d'une expérience plus riche et d'une information plus claire en ces temps troublés. Quelle motorisation ? Quelle formule d'acquisition ? Ce sont autant de questions qui peinent à trouver des réponses personnalisées sur internet. Les clients veulent donc toujours venir en point de vente.
JA : Le réseau a aussi de l'importance pour la commercialisation des véhicules d'occasion. Un an après le déploiement du nouveau label VO, quels sont les chiffres ?
LFK : 130 sites ont adopté le nouveau label et nous voulons atteindre la barre des 160 à la fin 2021. Ce qui devrait être réalisé. Le label VO participe au maintien des valeurs résiduelles par une accélération de la rotation et des stocks. La VR est au cœur de la machinerie de demain. Et pour cause, toutes les offres de mobilité, qu'il s'agisse de location courte durée, longue durée, d'autopartage ou autre formule, la marque a pour principal enjeu de disposer d'une capacité de récupération et de traitement des véhicules. Le label VO favorise une revente à des tarifs plus élevés et donc bien au maintien des valeurs. Les coteurs tiennent compte de la durée de vie des annonces en ligne. Cela donne un indice sur l'appétence du marché. Aussi, le label contribue au commerce VN. Le record n'aurait pas été battu sans la force du label. 70 % de nos ventes ont impliqué une reprise.
JA : Quels sont les chantiers ?
LFK : Il nous faut améliorer l'approvisionnement. Raison pour laquelle nous lancerons au premier trimestre 2022 un module de vente de véhicules d'occasion en ligne. Il nous rendra encore plus fort et plus compétent de sorte à préserver les valeurs résiduelles. Nous sommes en train de finaliser le schéma avec le réseau et nous profiterons du second semestre pour achever les développements informatiques avec notre partenaire Modix, une société qui travaille avec Hyundai en Angleterre. Nos concessionnaires pourront percevoir un acompte puis un règlement, proposer un financement et la livraison à domicile, et réaliser une reprise tout à distance. L'assurance avec Leocare fera partie du parcours.
JA. Seuls des véhicules de stock en concession seront éligibles ?
LFK. Nous avons expliqué aux concessionnaires qu'ils auront la priorité et que dans le cas où des véhicules ne les intéresseraient pas, nous nous autoriserons à les commercialiser directement sur la plateforme. Mais d'une manière générale, nous avons plus de demandes que d'offres au remarketing donc nous cédons 100 % des volumes aux concessionnaires. Pour revenir aux motivations, je pense qu'il y a plus d'intérêt à vendre des VO que des VN sur internet quand on résonne à l'échelle nationale.
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