La cour d’appel de Paris condamne Peugeot
Pour résilier le contrat à durée déterminée qui la liait aux Etablissements Lépinoit, la Société Automobiles Peugeot s'est prévalue d'une clause stipulée à l'article III 2°. Il est à noter que cette clause était également stipulée dans les contrats à durée indéterminée, constituant une cause de résiliation extraordinaire permettant d'éviter le respect du préavis ordinaire de 24 mois.
Pour pouvoir résilier le contrat, le constructeur devait rapporter une triple preuve, à savoir que le distributeur avait réalisé moins de 90 % de son objectif de vente de véhicules neufs, que le taux de pénétration de son concessionnaire sur sa zone de responsabilité (aujourd'hui zone de chalandise) était inférieur à la fois à la pénétration régionale, mais aussi inférieur à la pénétration nationale de la marque.
De 1996 à 2003, le contrat prévoyait des écarts de pénétration distincts entre le taux de pénétration du concessionnaire sur sa Zone de Première Responsabilité et celui de la Direction Régionale et Nationale, l'écart exprimé en pourcentage variant en fonction de l'implantation géographique du concessionnaire.
Ainsi, le droit de résiliation était acquis si le taux de pénétration du concessionnaire était inférieur à ceux de la Direction régionale et du réseau National :
- de plus de 45 % si la Zone de Première Responsabilité du concessionnaire est située à Paris, ou dans l'un des trois départements limitrophes (Haut-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) (Petite couronne), ou dans une agglomération où plus de deux concessionnaires du constructeur sont implantés ;
- de plus de 30 % si la Zone de Première Responsabilité est située dans l'un des autres départements de la région parisienne (Essonne, Seine-et-Marne, Val-d'Oise, Yvelines) (Grande couronne), soit dans une agglomération d'un département autre que ceux de la région parisienne dans laquelle sont implantés deux concessionnaires du constructeur ;
- de plus de 15 % si la zone de première responsabilité est située ailleurs (Province).
Depuis l'entrée en vigueur du Règlement CE 1400/2002 à compter du 1er octobre 2003 jusqu'à ce jour, le Groupe PSA a maintenu les conditions de cette résiliation tout en supprimant les seuils distincts de 15 et de 45 % et en plaçant ainsi sur un strict pied d'égalité tous les distributeurs du réseau qui sont désormais résiliables si leur pénétration sur leur zone de chalandise est inférieure de plus de 30 % à la pénétration régionale et nationale.
Il ressort de l'affaire Lépinoit / Peugeot que tous les concessionnaires qui ont été résiliés en application de cette clause depuis 1996 jusqu'à ce jour disposent du droit de se faire indemniser des conséquences préjudiciables de leur résiliation (dans la limite de la prescription), et ceci pour deux raisons. Parce que les concessionnaires résiliés de 1996 à 2003 l'ont été en application d'une clause nulle (1). Puis, parce que les concessionnaires résiliés depuis 2003 jusqu'à ce jour l'ont été en application d'une clause inopposable du fait que le Groupe PSA a violé de façon caractérisée et à plusieurs reprises les conditions de sa mise en œuvre (2).
1) Sur la nullité de la clause de résiliation en vigueur entre 1996 et le 30 septembre 2003
Dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 septembre 2008 (CASS. COM 23 sept. 2008 n° 07-18.428 FD), la Haute Cour avait cassé un premier arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juillet 2007 au motif que :
"Pour rejeter le caractère discriminatoire de la clause instaurant une possibilité de résiliation dans le cas où ne seraient pas atteints par le concessionnaire des taux de pénétration différenciés selon les zones d'implantation de la concession, l'arrêt retient que ces différenciations ne révèlent aucune discrimination, mais la simple prise en compte des particularismes concurrentiels et spécificités commerciales afférents à chacune des zones de chalandise considérées".
"Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser quelles étaient ces particularismes concurrentiels et spécificités commerciales et sans établir qu'ils justifieraient objectivement les discriminations opérées par le concédant entre des territoires limitrophes, la cour d'appel a privé de sa décision de base légale au regard des textes susvisés…".
Statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Paris autrement composée a, par arrêt du 15 avril 2010, annulé purement et simplement cette clause de résiliation pour violation du droit interne de la concurrence et pratiques discriminatoires (article L.420-1 du Code de Commerce).
La cour d'appel de Paris a motivé cette annulation en constatant que si la pression concurrentielle a tendance à être plus élevée à Paris et dans la Petite couronne que dans la Grande couronne, et qu'elle s'amenuise encore en Province… "Aucune explication économique rationnelle ne justifie que le périmètre des zones choisies pour l'application des critères différenciés ait été arrêtée par référence aux limites administratives départementales, qui n'ont pas vocation à stigmatiser une rupture significative de densité concurrentielle, ni même de population, et les chiffres proposés par Peugeot, tirés de la moyenne des performances constatées dans ces zones, demeurent dénués de pertinence à cet égard".
"Que la même carte confirme d'ailleurs que les concessions implantées en limite des zones ainsi définies subissent une pression concurrentielle proche de celles situées de l'autre côté de ces limites, très différentes de celle supportée par les concessions plus éloignées, relevant pourtant de la même zone contractuelle ; qu'ainsi le critère appliqué à une concession suivant qu'elle se trouve d'un côté ou de l'autre de la limite d'une zone change considérablement (de 45 à 30 %, voire de 30 à 15 %) sans que la pression concurrentielle ne varie significativement et il suffit pour s'en convaincre de relever la distorsion qui résulte de la situation du concessionnaire de Bourg-la-Reine (Haut-de-Seine) qui bien que n'étant éloigné de son homologue de Vissoux (Essonne) que de six kilomètres environ bénéficie du taux de 45 % quand ce dernier ne peut descendre en dessous de 30 %".
"Qu'il est donc établi que ces critères, en ce qu'ils ne tiennent pas compte de la situation propre à chaque concession au regard de la pression concurrentielle effectivement subie, induisent des différences de traitement injustifiées à l'égard des concessionnaires… que la clause figurant à l'article III 2° du contrat doit être qualifiée de discriminatoire et qu'elle ne pouvait fonder la résiliation".
La Société Automobiles Peugeot est en conséquence condamnée à payer au liquidateur judiciaire des Etablissements Lépinoit une somme de 3 millions d'euros de dommages et intérêts, outre 30 000 euros au titre des frais irrépétibles de défense. L'indemnisation se fonde sur la marge brute qu'auraient dû dégager les Etablissements Lépinoit entre la date de prise d'effet de la résiliation anticipée de son contrat à durée déterminée, le 31 janvier 1998, et le terme normal de ce contrat fixé au 31 décembre 1999, soit 23 mois de perte d'activité.
2) Sur l'inopposabilité de la clause de résiliation pour défaut de performances commerciales stipulée dans les contrats Peugeot et Citroën conclus depuis le 1er octobre 2003 et jusqu'à ce jour
Cette clause n'encourt plus la résiliation pour cause de discrimination selon l'implantation géographique des différents concessionnaires puisque, ayant sans doute pris conscience du caractère discriminatoire de cette clause, le Groupe PSA a ensuite unifié le taux d'écart de pénétrations entre le concessionnaire visé, la Direction Régionale et la pénétration Nationale, celui-ci étant désormais ramenée à un taux unique de 30 %.
Il n'en demeure pas moins que toutes les résiliations qui ont été notifiées en application de la nouvelle version de cette clause apparaissent a priori fautives et ouvrent droit à indemnisation pour chacun des concessionnaires résiliés en France et partout où cette clause est en vigueur.
En effet, si le Groupe PSA a procédé à l'identique que pour la résiliation des Etablissements Lépinoit, force est de constater qu'il a à diverses reprises lui-même violé sa propre clause de résiliation en ne respectant pas ses conditions d'application.
En effet, dans son arrêt du 23 septembre 2008 précité, la Cour de cassation avait retenu deux autres griefs à l'encontre de la Société Automobiles Peugeot.
1er grief : l'exclusion des pré-immatriculations
La clause de l'article III 2° du contrat prévoit en effet que pour le calcul des seuils de pénétration sur la zone de chalandise puis à l'échelon régional et national, seules doivent être prises en compte "les immatriculations consécutives aux ventes de véhicules neufs réalisées par les concessionnaires dans leur zone de première responsabilité".
Or, à chaque fois qu'elle a notifié la résiliation d'un contrat en application de cette clause, la Société Automobiles Peugeot s'est systématiquement abstenue d'expurger du calcul des seuils de pénétration les pré-immatriculations réalisées sur parc par les concessionnaires.
En effet, il est notoire que lesdites pré-immatriculations, destinées à favoriser l'octroi de primes d'objectifs et à augmenter artificiellement le taux de pénétration du distributeur ne sont nullement consécutives à des reventes par le concessionnaire à un utilisateur final sur sa zone puisque, par définition, elles sont antérieures à toute revente.
Pour mémoire, en expurgeant les pré-immatriculations, les Etablissements Lépinoit n'étaient pas résiliables.
La Cour de cassation a donc décidé qu'il était impossible d'opposer des seuils de pénétration calculés sans expurgation des pré-immatriculations.
2e grief : l'exclusion des immatriculations réalisées par les succursales et filiales du constructeur
L'article III 2° prévoyait que seules devaient être prises en considération les immatriculations consécutives aux ventes de véhicules neufs réalisées par les concessionnaires dans leur zone de première responsabilité.
Les Etablissements Lépinoit avaient fait valoir que, a contrario, devaient être expurgées du calcul des seuils de pénétration toutes les immatriculations réalisées par les succursales et filiales du constructeur qui ne sont pas des "concessionnaires" au sens propre du terme.
Le premier arrêt de la cour d'appel de Paris avait quant à lui considéré que le contrat ne distinguait pas entre concessionnaire indépendant et "concessionnaire filiale" (notion révolutionnaire dans le secteur de la Distribution automobile, si l'en est !).
C'est sur ce point que la Cour de cassation a cassé pour la quatrième fois le premier arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juillet 2007 en estimant que les termes clairs de la clause de l'article III 2° devaient conduire à ne prendre en considération que les seules immatriculations réalisées entre concessionnaires, les immatriculations des filiales-succursales devant être exclues du calcul.
Cela est d'autant plus logique que les succursales et filiales du constructeur disposent d'un statut particulier.
En premier lieu, elles ne sont pas résiliables en application de la clause puisque, ainsi que l'a reconnu l'avocat de la Société Automobiles Peugeot lors de la dernière audience devant la cour d'appel de Paris : "Peugeot ne va quand même pas s'autorésilier" ; dont acte.
En outre, le Groupe PSA subventionne très lourdement ses filiales commerciales et succursales à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros par an, étant précisé que leur exploitation est systématiquement déficitaire.
Les rapports des commissaires aux comptes sur la nécessité de recapitaliser tous les 3 ans environ certaines filiales sont pour le moins édifiants.
Comment dans ces conditions, sans bénéficier du même sponsoring, les concessionnaires peuvent-ils lutter à armes égales dans le cadre d'une concurrence loyale face à un constructeur qui est aussi leur concurrent ?
Renaud Bertin
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.