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Constructeurs

La conversion électrique a-t-elle de l'avenir ?

Publié le 27 juin 2019

Par Christophe Jaussaud
10 min de lecture
La transformation des véhicules thermiques en électriques a engendré des débats depuis le début de l’année et la création d’une association pour représenter la branche de métier.
La société Transition-One a converti une Twingo à l'électrique avec 100 km d'autonomie.

 

En cet après-midi du mois de mars, il aurait fallu que les badauds aient un œil avisé pour repérer l’incohérence. Dans l’obscurité du parking souterrain de la gare Saint‑Lazare (Paris 8e), une Renault Twingo occupe une des rares places réservées aux véhicules électriques. À côté d’une Mini Countryman hybride rechargeable, la petite française refait le plein d’énergie. Elle avait déjà renfloué ses batteries à mi‑parcours. La distance qui sépare Orléans de Paris ne pouvait être couverte d’une traite sans risque de panne, en raison des rafales de vent qui traversaient la France. Que fait cette Twingo connectée au réseau public ? La réponse est inscrite sur la portière : « Now, I’m Electric ».

 

Une   transformation complète réalisée par Transition‑One, une jeune société d’ingénierie qui a entrepris de convertir des véhicules thermiques en électriques. Cette Renault n’est autre que le premier prototype et jamais, elle ne s’était aventurée aussi loin de son atelier de conception. « Nous avons organisé ce voyage aller-retour à Paris pour collecter des données en conditions réelles », nous explique Aymeric Libeau, le fondateur de Transition‑One. Sur les bancs d’essai, la voiture dotée d’une batterie 15 kWh a couvert un trajet de 102 km et atteint une vitesse maximale de 140 km/h.

 

« Nous savons programmer le calculateur pour offrir différents modes de conduite qui ont des impacts variés sur les performances, en faisant de tels trajets, nous affinons nos réglages », poursuit celui qui a imaginé ce projet en juillet 2017, au lendemain de l’annonce du plan Hulot pour la transition écologique.

 

Le Club des 22

 

La transformation des véhicules thermiques du parc roulant en véhicules électriques n’a rien de nouveau. En 2010, une Citroën C1 reconditionnée s’était invitée au Mondial de l’automobile. Le bilan comptable de l’opération divisait par deux le coût d’acquisition par rapport aux C‑Zero de l’époque. Le porteur de ce projet ambitieux, Dominique Mocquard, n’avait pas pu franchir l’étape de la validation par l’Utac. En France, cette pratique n’a rien de tabou, la conformité du véhicule transformé doit être validée par les services de l’État (article R. 321‑16 du Code de la route) via une réception à titre isolé. Mais le parcours administratif rend la démarche officieusement impossible.

 

Aucun organisme ne peut certifier le véhicule sans que l’intégrateur n’obtienne l’autorisation du constructeur automobile. De fait, aucun certificat d’immatriculation ne peut être délivré. En comparaison, nos voisins européens ont, à différents degrés, libéralisé ce secteur d’activité. À titre d’exemple, l’Italie a modifié la loi par décret, autorisant la transformation sous condition, dès 2015. Il en va de même en Allemagne, depuis 2018, tandis que le Royaume‑Uni se montre encore plus ouvert. Au total, 22 pays dans le monde reconnaissent la pratique.

 

Une situation d’échec à la française que certains refusent. Motif pour lequel, en janvier 2019, ils se sont fédérés en association. Présidée par Arnaud Pigounides, l’AIRe (pour l’Association des Acteurs de l’Industrie du Rétrofit électrique) entend changer les paradigmes. Le président de cette entité est lui‑même fondateur de l’entreprise Retrofuture, qui s’est spécialisée dans les véhicules de collection pour permettre de réduire leurs coûts d’entretien et les risques d’exposition à un changement de réglementation dans les zones urbaines. « En 1954, l’administration française a décidé que seuls les constructeurs pouvaient garantir les actes de transformation, ce qui leur donne un pouvoir de blocage », regrette l’entrepreneur qui réclame une uniformisation des législations à l’échelle européenne. « Nous voulons un processus d’homologation défini par les autorités européennes et nous affranchir ainsi du consentement des constructeurs », monte-t-il au créneau. Huit acteurs pour défendre un métier confidentiel. Fin février, l’Utac, le Centre national de réception des véhicules (CNRV) et la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) se sont assis à la table de l’AIRe pour évoquer ce dossier, faisant preuve de volonté à faire évoluer la situation.

 

Le vote décisif

 

Le temps pressant, les rouages de la machine ont accéléré. La Loi d’orientation des mobilités est une opportunité sans précédent pour inscrire la transformation des véhicules thermiques dans le futur de la France. « Il apparaît évident, reconnaît Jean-Luc Fugit, député LREM devenu un des rapporteurs du projet de loi, en février dernier, que des ajustements réglementaires doivent être opérés si l’on souhaite favoriser l’émergence d’une filière de la transformation de véhicules à motorisation thermique vers l’électrique. » Un groupe de travail a été créé afin d’étudier la mise en place d’une procédure administrative facilitée et encadrée autorisant la modification des véhicules thermiques vers la traction électrique, tout en garantissant un niveau de sécurité adéquat. « Je pense que cette nouvelle procédure pourrait s’inspirer des réglementations d’autres pays européens en la matière (Allemagne et Italie par exemple) et ne nécessite pas de modification d’ordre législatif mais seulement réglementaire », poursuit le député. Outre l’assainissement du parc roulant, l’association brandit aussi l’argument de la nécessité de recycler les véhicules capables de parcourir encore plusieurs dizaines de milliers de kilomètres.

 

Et elle a obtenu gain de cause. Les sénateurs ont déposé un amendement intégré à la future loi Mobilités, adopté le 2 avril dernier avec 248 voix favorables (18 contre et 79 abstentions). Dans l’article 28 Ter de la section 3 du projet de loi, on peut donc désormais lire que « les activités de transformation des véhicules à traction thermique en véhicules à traction totalement ou partiellement électrique sont dispensées de l’accord des constructeurs lorsqu’elles répondent à des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Une ouverture qui a immédiatement entraîné une nouvelle collaboration entre l’Utac, le CNRV, la DGEC et l’AIRe visant à rédiger le cahier des charges qui définira le contour légal de la transformation de véhicules. La loi Energie & Climat, actuellement à l'Assemblée, s'est également emparée du sujet.

 

Industrialisable ?

 

Il s’agit d’une projection dont le résultat nécessite une étude approfondie par des cabinets d’experts. Toujours est‑il que l’AIRe estime qu’avec l’appui d’une législation favorable, la filière pourrait totaliser un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard d’euros grâce à la transformation de 65 629 véhicules particuliers et utilitaires et fournir un emploi à 5 570 personnes en France, dans les cinq ans à venir. Rapporté au parc roulant hexagonal, cela reviendrait à convertir 0,11 % des VP et 0,44 % des VUL. Une goutte d’eau. « Nous ne toucherons pas aux véhicules sous garantie, notre rôle sera de dépolluer et de moderniser ceux qui sont encore en bon état », défend Arnaud Pigounides.

 

Si le gouvernement ne tranche pas en leur faveur, alors l’activité va se borner aux VUL. L’association table dans ce cas de figure sur l’enrôlement de 180 salariés pour traiter  5 136 unités et générer un chiffre d’affaires de 98,65 millions d’euros. Anecdotique. Le cofondateur de La Fabrique des Mobilités, Gabriel Plassat, ne leur prédit pas un grand avenir. « Il y a des start‑up qui essayent des choses, observe‑t‑il, mais de mon point de vue, c’est une piste marginale du secteur des transports, car ce n’est pas possible d’industrialiser ce type de transformations. »

 

Une analyse à laquelle s’oppose Aymeric Libeau, chez Transition‑One. Une partie de ses ingénieurs ont reçu pour consigne de concevoir l’outillage qui permettra de réduire les temps d’intervention. Avec la force de l’habitude, les mécaniciens à la manœuvre prennent moins de 8 h, actuellement. Il s’agira pour eux de passer sous la barre des 4 h, une fois dotés des bons équipements. « Nous misons sur de l’automation, explique l’entrepreneur, on ne peut pas jouer aux Lego avec des pièces détachées, balaye‑t‑il, le groupe motopropulseur doit arriver assemblé et prêt à être installé en lieu et place de l’ancien, grâce à des outils et des supports digitaux. » La tâche ainsi facilitée, Transition‑One pourra adresser des installateurs partenaires, à travers la France.

 

CarStudio à l'affût, les marchands dans le viseur

 

Une perspective qui n’a pas échappé à Mobivia. Par l’intermédiaire de CarStudio, l’un de ses deux accélérateurs de start‑up, le groupe nordiste a hébergé Transition‑One au sein de sa promotion, en septembre 2018. Des contacts existent toujours entre les deux entités comme le confirme Florence Sanson, la directrice de CarStudio. « Nous avons témoigné de l’intérêt car nous sommes engagés dans une démarche environnementale et avons perçu un moyen de prolonger la durée de vie d’un véhicule », rapporte‑t‑elle. Le processus reste à l’étude pour rendre la démarche accessible au  plus  grand nombre, « mais nous y voyons un potentiel si les prix tombent en dessous de 5 000 euros, car nous pourrions alors devenir une force de recommandation dans le cas de frais de réparation trop élevés sur certains véhicules encore en bon état par ailleurs », confie la directrice. Certains des partenaires financiers de Mobivia et de ses filiales ne restent pas insensibles à cette perspective, selon ses dires.

 

5000 euros,le prix palier que se fixe aussi Aymeric Libeau. Il ne pourra cependant y parvenir qu’au moyen de subventions gouvernementales, sous forme de primes à la conversion, car le coût des batteries pour ces modestes acteurs reste onéreux. Jusqu’à trois fois ce que payent les constructeurs, glisse Arnaud Pigounides. A cette principale condition, Transition‑One espère susciter l’intérêt de ses cibles : les ateliers mécaniques en recherche de nouveaux relais de croissance, mais surtout les marchands de VO, qui souffrent d’un manque d’offres électriques à bas coût. Les véhicules seront issus de la même catégorie, celle des petites voitures, à l’image de la Twingo, de la Volkswagen Polo, du trio C1/107/ Aygo ou de la Fiat 500, la plus vendue en Europe. « Nous ne sommes pas concurrents des constructeurs, estime-t-il, nous pensons que nous allons contribuer à convertir des clients à l’électrique. »

 

Mais reste à savoir si le public répondra favorablement, car les coteurs n’ont pas encore de visibilité sur la valeur résiduelle, comme l’admet un expert d’Autovista. Selon les prévisions, une fois dimensionnée pour une cadence industrielle, la société Transition‑One table sur un volume de 4 500 unités à l’année. Entre-temps, l’AIRe aura certainement amené le débat à Bruxelles, animée de la volonté d’harmoniser le cahier des charges à l’échelle européenne.

 

Gredy Raffin

 

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Le mot de Stéphane Rabatel, président de Vedecom Tech

 

« En théorie, il y a une opportunité, car d’ici quelques années, les loueurs auront des parcs de véhicules diesel en fin de contrat, qui auront du mal à trouver preneur sur le marché de l’occasion. Ils pourraient alors être ceux qui donnent l’impulsion au marché. Mais on peut s’interroger sur le bénéfice des clients. Il est encore difficile d’abaisser la facture en deçà des 10 000 euros de frais de transformation et cela a forcément un impact sur une valeur résiduelle dont aucun spécialiste n’est encore en mesure d’estimer l’évolution. La seule transformation de la chaîne de traction ne suffit plus. La filière doit également intégrer la notion d’efficacité énergétique sur laquelle les chercheurs planchent. En se concentrant aussi sur ce paramètre, les véhicules vont gagner en autonomie et lever les freins à l’achat. Nous n’y avons pas encore pensé, mais nous pourrions jouer un rôle d’expertise, dans ce contexte. »

 

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OscarLab dans la partie

 

L’AIRe compte OscarLab parmi ses membres. Émanation du groupe Oscaro, restée indépendante après le rachat par Autodistribution, l’entreprise croit en l’électrification sous de multiples formes, dont la transformation des véhicules. Et pour cause, elle a investi dans la production de batteries à haut voltage. À la différence de Transition-One, OscarLab cherche de gros modèles, à l’image des Land Rover Defender qu’elle a transformés. La puissance stockée sous le capot vise à délivrer une autonomie de plus de 300 km. « Nous attendons une clarification   de la législation   pour   lancer la commercialisation, explique Emmanuel Flahaut, le directeur d’OscarLab. Nous nous concentrons pour le moment sur la stabilisation technique. » Avant prime à la conversion et aides variées, il estime que les clients débourseront entre 10 000 et 30 000 euros par kit.

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