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Constructeurs

Ian Robertson, directeur ventes et marketing de BMW AG et membre du board du groupe.

Publié le 17 juillet 2009

Par Alexandre Guillet
11 min de lecture
"Considérant que ce marché restera le plus important du monde, nous investissons fortement aux Etats-Unis"Le nouveau BMW Vélizy Center vaut bien une messe ! Alors Ian Robertson, le numéro...
...deux du groupe, avait fait le déplacement pour une inauguration en grande pompe. A cette occasion et en exclusivité, il nous a livré son analyse de la crise, notamment outre-Atlantique, et sa vision des différents marchés mondiaux. Avec quelques lueurs d'espoir qui commencent à se réanimer… Morceaux choisis.

Journal de l'Automobile. Comment analysez-vous la crise financière et économique actuelle et diriez-vous, comme d'autres grands dirigeants du secteur, qu'une nouvelle ère automobile va voir le jour ?
Ian Robertson. La crise a explosé subitement en septembre 2008 et cela fait plus de neuf mois que nous la subissons. Or personne n'avait prévu l'effondrement des banques et leur absorption dans de nombreux pays par les gouvernements. Dans le même temps, la plupart des états ont essayé de réagir globalement pour trouver des solutions au vaste problème posé. A mes yeux, nous sommes encore au cœur de la tempête. Il y a, somme toute, peu de marchés qui montrent des signes de frémissements ou de renouveau, à l'exception de la Chine. D'ailleurs, sur ce marché névralgique, nous enregistrons de bonnes performances, avec une croissance à deux chiffres et surtout un gain de parts de marché. Dans le reste du monde, les marchés sont en récession, entre 20 et 30 %. Bien sûr, il y a quelques dispositifs de soutien inhabituels, comme en Allemagne par exemple. Ils sont précieux, mais d'une certaine manière, ils anticipent aussi une demande du futur et c'est donc une variable à prendre en compte très sérieusement car elle peut ensuite devenir une force de détérioration des marchés.

JA. A quelle date fixez-vous une amorce de reprise ?
IR. Selon nous, la situation économique va se stabiliser en cette fin d'année et vu les résultats catastrophiques du dernier trimestre 2008, le dernier trimestre 2009 devrait présenter des chiffres plus flatteurs. Mais nous resterons en recul, il ne faudra pas s'y tromper. Plus généralement, dès 2010, plusieurs marchés devraient retrouver la voie de la croissance, mais nous ne pensons pas que la sortie de crise se fera selon un schéma en V. Au contraire, nous pensons que la reprise sera graduelle et progressive. Dans ce contexte, un gros challenge s'ouvre à nous pour ne pas manquer les signes encourageants que donneront certains marchés en 2010.

JA. La situation du marché américain est très difficile et ne laisse guère entrevoir d'amélioration : quelle stratégie mettez-vous en place pour y faire front, sachant que c'est un marché crucial pour vous, et quelles prévisions commerciales pouvez-vous faire avec certitude ?
IR. Tout d'abord, je tiens à préciser que le marché américain est le marché le plus important du monde et qu'il le restera encore à l'avenir. Certes, il est actuellement dans une phase très récessive, comme en témoigne une vertigineuse chute des ventes de 16 millions d'unités à 10 ou 11 millions cette année. Du coup, au-delà des constructeurs, tous les acteurs du marché sont rudement frappés, particulièrement les équipementiers et les distributeurs. Cependant, BMW est redevenu le leader du marché Premium pour la première fois depuis des années, malgré une baisse en volume de l'ordre de 20 %. Par ailleurs, on voit tout de même un signe encourageant avec la stabilisation du marché du VO, ce qui est important pour nous dans la mesure où comme tous les grands acteurs, nos provisions liées aux VO sont significatives. En outre, c'est à mes yeux l'un des indicateurs les plus pertinents pour mesurer l'état de santé d'un marché.

JA. Les premières décisions entérinées par la nouvelle administration Obama vous semblent-elles aller dans le bon sens ?
Nous sommes très satisfaits par les nouvelles orientations prises par l'administration Obama. Ce sont des décisions qui restaient en suspens depuis des années et qui, enfin prises, donnent de la visibilité pour le futur, ce qui nous permet de mieux programmer notre stratégie et de mieux anticiper le business.
Donc, considérant que ce marché restera le plus important du monde, nous investissons fortement aux Etats-Unis, soit plus ou moins un milliard de dollars sur nos capacités de production. Parallèlement, notre réseau investit aussi. Nous sommes aussi le plus grand exportateur de véhicules depuis les Etats-Unis et nous allons accentuer cette démarche car le X3 sera ajouté aux produits que nous produisons déjà dans nos usines américaines.

JA. Partant du constat que la crise va durer, avez-vous réduit la voilure ?
IR. Comme tout le monde, nous avons adapté notre périmètre aux circonstances au cours des dix derniers mois. Mais contrairement à d'autres constructeurs, nous avons réduit notre production très tôt, dès septembre-octobre 2008. Et du coup, nous avons terminé l'année et débuté l'exercice selon le principe d'un véhicule produit pour un véhicule vendu. La gestion des stocks est très tendue et nous ne sommes pas contraints de sur-alimenter le pipeline vers le réseau. En outre, notre programme de réduction des coûts suit son cours, mais comme nous avons réagi tôt, et donc stabilisé notre situation financière, nous continuons aussi à investir. Les projets de développement d'ingénierie, l'animation de l'après-vente sur laquelle nous avons déjà beaucoup progressé, ou encore le développement de nouveaux produits sont maintenus. Nous avons donc les armes pour rester le constructeur Premium le plus attrayant et le plus performant du marché.

JA. Dans cette période difficile, quel soutien apportez-vous à vos réseaux et quelle est la part de vos distributeurs qui font actuellement face à d'importants problèmes financiers ?
IR. C'est sans doute une lapalissade, mais je tiens à rappeler que l'excellence de notre réseau explique en grande partie notre succès. Dès lors, nous avons mis en place plusieurs programmes de soutien pour passer cette épreuve difficile. Je dis "plusieurs" car il ne saurait y avoir une réponse unique aux problèmes rencontrés. Bien entendu, nous avons enregistré quelques défaillances, mais nous ne pouvions pas tout éviter… Parallèlement, d'autres concessionnaires continuent à obtenir de bons résultats et à investir et sont donc garants d'un avenir performant.

JA. Le "véhicule vert" est devenu la problématique centrale de l'industrie automobile et chacun connaît les différents projets que vous conduisez dans ce domaine : quelles sont à vos yeux les solutions les plus prometteuses à moyen terme et y incluez-vous le véhicule électrique ?
IR. Le groupe relève ce défi de l'innovation sur plusieurs fronts. Au cours des dernières années, nous avons déjà accompli des progrès très significatifs, avec Efficient Dynamics ou le système stop&start. On parle bien de progrès concrets et pas de prototype ou de vitrine, nos ventes en témoignent. D'ailleurs, au premier chef, nous pensons que des améliorations sont encore à attendre sur les moteurs thermiques traditionnels, en termes de CO2 et de consommation. Par ailleurs, il faut continuer à explorer plusieurs voies, car je suis persuadé qu'il n'y a pas une solution unique, mais que deux ou trois types de mode de propulsion s'imposeront à l'avenir comme standards. C'est d'ailleurs la loi de l'innovation d'une manière générale. Les véhicules électriques auront leur place, à moyen terme, il n'y a aucun doute à ce propos. Toutes les différentes formes d'hybridation aussi. Nous cherchons actuellement à améliorer les performances dans ces domaines, sous l'angle du poids, de l'encombrement, etc. Et il convient de ne pas oublier, comme c'est le cas trop souvent, toutes les modifications d'architecture que cela implique, ainsi que les perspectives ouvertes par de nouveaux matériaux au-delà de la seule énergie. Les prochaines générations de voitures ne seront plus construites de la même façon et elles ne seront sans doute plus vendues de la même façon. Enfin, à plus long terme, l'hydrogène offre un gros potentiel et BMW y travaille depuis plusieurs années. Nous avons présenté l'an dernier la Série 7 émettant zéro gramme de CO2. En somme, de belles choses sont à venir.

JA. A propos de la E-Mini, quelle est l'ampleur commerciale que vous comptez donner au projet et pour quels marchés ?
IR. La E-Mini est une vitrine technologique. Nous en avons déjà 350 sur la route aux Etats-Unis et avant la fin de l'année, nous mènerons des tests en Allemagne et au Royaume-Uni. La France ne sera pas oubliée ! Dès le mois de septembre, elle roulera dans Paris. Au global, nous totaliserons prochainement 500 E-Mini. En fait, nous essayons de tirer le maximum d'informations de nos expériences venues du terrain. Nous le faisons sur un mode "real-life". Au-delà de la technologie, nous capitalisons donc une expérience très prosaïque sur l'usage. Mais cela nous renvoie à d'autres enjeux, qui dépassent le champ de notre industrie pour investir celui des états : quelles infrastructures pour quels systèmes de plugs, quels standards pour les prises et leur alimentation, quels choix stratégique et technique pour la production d'électricité, le cas de la France étant isolé, comment gérer l'équilibre financier des états par rapport à l'enjeu de l'électricité et de l'énergie en général, comment gérer les flux financiers inter-états sur cette question névralgique… En somme, la problématique est éminemment complexe et plusieurs scenarii très différents sont pour l'heure encore envisageables.

JA. A propos de l'hydrogène que vous évoquiez à plus long terme, BMW a choisi une voie de recherche peu répandue, à savoir l'hydrogène liquide. A partir de quand peut-on attendre des applications plus vastes que des mini-flottes pilotes ?
IR. L'hydrogène est très prometteur et l'un de ses avantages est qu'il ne nécessite pas de révolution sur l'architecture des moteurs. En revanche, le problème du réservoir est spécifique à cette solution. Et le principal enjeu est ailleurs : il se situe dans la logistique pour produire, faire circuler et distribuer l'hydrogène. Et là, précisément, on sait que c'est très, très difficile. Les coûts en jeu sont pharaoniques et on ne peut raisonnablement pas tabler sur un déploiement avant 25 ans, dans le meilleur des cas, si les volontés industrielles et politiques convergent. Donc oui, c'est une option, nous savons que cela fonctionne, mais la route est encore longue avec l'équation des infrastructures à résoudre à un prix supportable pour tous.

JA. Toujours sous un angle prospectif, partagez-vous l'analyse de Sergio Marchionne qui prédit une forte concentration dans l'industrie automobile, avec une articulation autour de cinq ou six grands groupes ?
IR. Dans l'automobile, nous avons déjà entendu cela bien des fois auparavant… Cependant, vu les troubles actuels, il y aura forcément des bouleversements et une forme de concentration. En Chine par exemple où il y a pléthore de constructeurs et où il y aura forcément des rapprochements d'envergure. Comme ce fut le cas au Japon ou en Corée d'ailleurs. Mais d'une manière générale, je suis loin d'être certain qu'il ne restera que cinq ou six groupes.

JA. BMW peut-il rester pleinement indépendant ?
IR. C'est notre objectif et la pierre angulaire de notre stratégie. Ce n'est pas une fanfaronnade car nous avons les moyens de rester indépendants. En revanche, nous poursuivrons notre démarche de coopérations contractuelles. Notre accord avec PSA sur les moteurs et le projet commun que nous pilotons avec Daimler et GM sur les hybrides sont par exemple très efficaces. Il y en aura d'autres à l'avenir, mais dans le respect de notre indépendance.

JA. En guise de conclusion, quel regard portez-vous sur le marché français et BMW France vous donne-t-elle satisfaction ?
IR. La France est notre 6e marché dans le monde, donc inutile de vous dire que l'activité de ce marché est très importante à nos yeux. Bien sûr la Chine et d'autres pays menacent cette 6e place, mais c'est inévitable. Et fondamentalement, nous croyons que le marché français présente un potentiel de croissance pour BMW à l'avenir. C'est d'ailleurs pour cela que nous investissons sur ce marché, comme en témoigne notre nouveau centre de distribution de Paris-Vélizy.

Curriculum vitae

Nom  : Robertson
Prénom : Ian
Né le 5 juin 1958 en Grande-Bretagne
• 1979 : Bachelor of Science Maritime Studies, University of Wales, Cardiff
1979 : Rejoint le groupe Rover
• 1988 - 1990 : Directeur de l'usine Drews Lane, Rover Group
• 1990 - 1991 : Directeur d'usine Powertrain, Rover Group
• 1991 - 1994 : Directeur des achats, Rover Group
• 1994 - 1999 : Directeur opérationnel Land Rover Vehicles
• 1999 - 2005 : Directeur opérationnel BMW South Africa
• 2005 - 2008 : Pdg et directeur opérationnel de Rolls-Royce Motor Cars Ltd.
Depuis le 13 Mars 2008 : Directeur ventes et marketing de BMW AG, membre du Board du groupe et Pdg de Rolls-Royce Motor Cars Ltd.

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