Dominique Serra : Gazelle au cœur de lionne
...que masculine.
Dominique Serra est une femme un brin "chieuse", ne supportant pas d'être mal coiffée, maman poule et enthousiaste à l'idée d'ajouter un nouvel accessoire "au nombre incroyable de godasses, de sacs et de paires de lunettes" qui s'entassent déjà dans ses placards. Aiguisant ses mots comme on aiguise une lame, rejetant avec force tous ces clichés qui ont été son lot quotidien pendant plus de dix ans, dénonçant à demi-mot le boycott de la presse à l'égard de son événement, l'instigatrice et organisatrice du Rallye Aïcha des Gazelles raconte, en rose et noir, comment elle a su imposer son "bébé", envers et contre tous.
Car le pari d'un rallye-raid 4x4 typiquement féminin était loin d'être gagné.
L'histoire débute en 1990, période à laquelle rallye rime avec vitesse, automobiles, ensablement, efforts de titans, bref, un sport d'hommes, strictement, dont la difficulté est véhiculée par un "Paris-Dakar" très médiatisé. Le Dakar justement… C'est à l'occasion d'une présentation du fameux rallye que Dominique Serra constate qu'aucune femme - "sauf les quelques exceptions, habillées en tailleur, présentes dans la salle" - ne participe à la compétition. Dominique Serra a alors un rêve : partir d'une opération de communication pour mettre en valeur les femmes et montrer, une bonne fois pour toutes, de quoi elles sont capables. "Il ne s'agissait pas et il ne s'agit toujours pas d'ailleurs, de comparer les femmes aux hommes. Nous voulions surtout montrer que les femmes n'ont pas le même comportement au volant, mais qu'elles n'en ont pas moins de mérite." Un bref silence, puis : "De toute façon, si j'avais créé une épreuve mixte, les médias n'auraient parlé que des hommes, jamais des femmes." En 1990 donc, l'idée germe puis se développe dans un contexte où l'automobile et la femme sont deux vocables totalement antinomiques ! Un écueil que Dominique Serra et son équipe de passionnés réussiront à éviter au prix d'années d'acharnement : "Un enfer !", précisent les principaux intéressés.
Nom Serra Prénom Dominique Age 49 ans, mariée, 3 enfants Dominique Serra vit les premières années de sa vie à Cherchell, en Algérie. En 1962, c'est l'exode. Toute la famille se retrouve en France, dans le Var. Après un BTS de dactylo et une maîtrise de droit, Dominique Serra entre très vite dans la vie professionnelle et intègre le service communication de la Fnac. Quelques années plus tard, elle suit son mari dans l'Est de la France, à Chaumont (Haute-Marne) et décide d'y ouvrir, "au culot", sa propre agence de communication : "Maienga". C'est en 1990 qu'elle imagine le premier raid 4x4 féminin : le Trophée des Gazelles, devenu aujourd'hui le Rallye Aïcha des Gazelles. |
Un rallye féminin boudé par la presse
Lorsque, pour la première fois, le Rallye Aïcha des Gazelles pose ses roues sur le sable brûlant du désert sud-marocain, les volontaires au dépassement de soi sont à peine une vingtaine, les sponsors se font rares et les retombées presse sont quasi inexistantes. Il faut dire que Dominique Serra n'est pas femme à choisir la facilité. D'abord, le Rallye des Gazelles est inclassable dans la catégorie sport puisqu'il ne s'agit pas de course au sens stricte du terme, mais d'orientation. Ensuite parce qu'il s'agit de femmes et que les milieux - machos ? - du sport et de l'automobile imaginent mal ces dames plongeant leurs ongles manucurés dans le cambouis. Puis parce qu'il s'agit d'automobile et qu'il y a quinze ans, il n'était pas question d'en faire état dans les pages très sélectes d'un magazine féminin. Enfin : "Parce que pour monter une telle opération il faut trouver des sponsors… Mais comme nous n'avions pas de médias, nous n'avions pas de sponsors. Et comme nous n'avions pas de sponsors, nous ne pouvions pas bosser correctement et notamment inviter les médias et ainsi de suite."
"Les très rares supports de presse à couvrir l'événement, poursuit, sans rancune, Dominique Serra, avaient tendance à le considérer comme un rallye de bonnes femmes sans grand intérêt. Les critiques allaient bon train, on a même dit que j'étais lesbienne !" Puis elle ajoute : "De princesses un tantinet capricieuses, les gazelles ont ensuite été qualifiées de mecs. Puis, maintenant que ce genre de critiques est enfin terminé, on me demande systématiquement quelle vedette participera à la prochaine édition. C'est lassant !"
Certes, de son propre aveu, les choses auraient sûrement été autres si elle avait été Madame Auriol ou Madame Peterhensel, mais Dominique n'est que Serra. Une femme qui débarque dans le milieu automobile sans y avoir été invitée, qui fuit Paris et les dîners mondains, qui ne joue pas au golf-business et qui se refuse, encore aujourd'hui, à inviter et payer des stars pour participer à l'événement. "Evidemment, je n'ai peut-être pas fait les choses comme il se doit. Mais je n'ai jamais payé quiconque, tout simplement par respect pour les filles qui vont chercher 100 balles après 100 balles pour prendre le départ du rallye." Une philosophie assumée complètement : "Mais je n'ai pas de regrets. En attendant, moi je sais que ma manifestation est réelle, qu'elle a une véritable histoire et qu'elle ne doit pas son existence uniquement à l'argent que l'on dépense pour faire beau à la télé. Et ça, ça me va très bien. Après, on m'aime ou on ne m'aime pas, honnêtement, je m'en fiche !" Et vogue la galère…
Mais n'allez pas croire que le Rallye Aïcha des Gazelles n'est né que dans la souffrance d'une femme déterminée et animée d'une dose d'inconscience et d'un grain de folie raisonnable.
Les hasards de la vie
Certains y ont cru dès le début. A l'instar de ce directeur financier de Ford, dont Dominique Serra se souviendra probablement avec émotion toute sa vie : "A l'époque du lancement du Maverick, Ford était notre fournisseur d'automobiles. Lorsque je suis allée voir cet homme pour lui demander à quel moment nous aurions notre argent, il m'a répondu qu'il allait probablement se passer quelques mois. Mais pour nous, quelques mois, ça n'était absolument pas envisageable. Quand il a vu ma détresse, il est parti un instant et en revenant il m'a tendu un chèque de son propre compte, un chèque de 240 000 francs, en me disant : "Vous me les rendrez quand vous aurez reçu l'argent de Ford." C'était dingue !" A l'instar également de son mari, passionné de voile, qui se lança à corps perdu dans le rêve de sa femme et eut tôt fait d'imposer la carte et la boussole comme outils indispensables aux gazelles. Puis du coup de pouce inattendu de Mouna Ayoub, conquise par le Rallye, qui proposa à Dominique, sur un simple coup de téléphone, de lui donner le million de francs qui manquait pour l'organisation. A l'instar enfin de ces sourires d'enfants que l'association Cœur de Gazelles sème autour d'elle depuis quatre ans. Mais attention, il ne s'agit pas d'humanitaire : "Le mot est trop péjoratif pour les gens qui en ont besoin." Il s'agit plutôt de faire de "l'utile" en venant en aide à des associations marocaines telles que Solidarité féminine, Bayti et d'autres encore. "Non pas pour utiliser un paravent humanitaire afin de faire parler de la course, mais parce que nous sommes des femmes, pour la plupart mères de famille, et qu'il nous semblait nécessaire de nous intéresser aux conditions de vie des femmes et des enfants des villages que nous traversions." Ces précieux hasards amusent Dominique : "J'ai toujours eu de la chance, j'ai rencontré des gens extraordinaires. Mais c'est peut-être dans ma personnalité : spontanément, certaines personnes ont envie de me donner un coup de main. En fait, je ne joue pas au golf mais je m'en sors quand même !"
De Charybde en Scylla, l'événement, de 9 équipages, en compte, malgré tout, aujourd'hui 75, venant du monde entier. La réussite est d'autant plus belle qu'elle a fini par faire mentir ses détracteurs. Puis cette femme au caractère bien trempé, parfois un peu féministe, baisse les armes et l'on croit déceler un je ne sais quoi d'émotions contenues dans sa voix : "Le Rallye, c'est toute ma vie. Il permet à des femmes de grandir, de se réaliser et ça, c'est mon plus grand bonheur, ça me rend fier de moi…"
Ambre Delage
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