Dis Ford, c’est loin l’Amérique ?

..."rentabilité solide en 2005", il ne peut plus tolérer la douloureuse dérive de son groupe sur le marché nord-américain. Avec une perte de 1,6 milliard de $ US sur ce marché en 2005, l'heure est grave. Et "la compétitivité du groupe au plan mondial" s'en trouve mise en péril. Après plusieurs tours de table en interne, la direction de Ford a donc dévoilé un vaste plan de redressement intitulé, version slogan tapageur, "Way Forward". Ce plan doit permettre au groupe de retrouver "équilibre et rentabilité" d'ici 2008. Au-delà de la validation d'un plan de licenciements grand format et d'une coupe franche dans l'outil industriel, cette cure de rigueur préconise un retour au respect des fondamentaux commerciaux et économiques. Mais difficile de faire plus évasif que de décréter un retour du client et du produit au centre des préoccupations… A l'instar du récent discours de Carlos Ghosn pour Renault, le plan "Aller de l'avant" a trop tendance à se recroqueviller sur des déclarations élémentaires, voire illocutoires, pour se révéler tout à fait convaincant. Toutefois, le prosaïsme ayant ses vertus, il convient de se garder de tout jugement hâtif. D'autant que Ford réclame du temps. D'ailleurs, après avoir aboli les bilans financiers trimestriels, le groupe annonce qu'il ne fera plus non plus de communication annuelle sur le sujet… Mais les résultats des ventes restent connus et les premiers mois de 2006 ne sont pas réjouissants (voir tableau).

Un plan social d'envergure

Au niveau des structures et du personnel, pas de retour en arrière, Ford a décidé de tailler dans le vif. Comme prévu, la saignée sera profonde : 14 sites de fabrication, dont 7 usines d'assemblage, seront fermés d'ici 2012. Ce qui entraînera de facto la suppression de 25 000 à 30 000 emplois. En outre, Bill Ford a confirmé "la suppression de 4 000 postes au premier trimestre 2006, pour une diminution de 12 % des effectifs de cadres dirigeants du groupe et une économie de 10 % sur la masse salariale de cette catégorie de salariés". Au final, la capacité de production de Ford sur le continent américain sera réduite de 26 % (- 1,2 million de véhicules). "Actuellement, nous avons des usines qui tournent à 75 % de leurs capacités et c'est tout simplement intenable", lâche Mark Fields, vice-président exécutif de Ford Motor Company et président de Ford Amérique. Parallèlement, Ford compte ouvrir une usine "low-cost" et s'oriente vers des unités plus flexibles pour mieux répondre aux demandes fluctuantes du marché et réduire ses coûts fixes.

Recentrage sur le produit

Basique : la direction de Ford veut désormais placer le client et le produit au centre de ses préoccupations. "L'idée que nous suivions, "si nous fabriquons tel modèle, les clients l'achèteront", est mauvaise ! Désormais, ce sera "s'ils vont l'acheter, nous allons le fabriquer"", caricature Bill Ford. Ce plan produits prévoit de nombreux lancements et induit un repositionnement du duo Lincoln-Mercury autour de Ford. Après avoir envisagé "de supprimer l'une des deux marques", dixit Mark Fields, le groupe a décidé de dédier Mercury à la conquête de nouveaux clients, principalement des jeunes, et de redonner à Lincoln un statut de marque de luxe. Par ailleurs, Ford compte se renforcer sur les segments SUV et crossover, pour contrecarrer l'avancée de la concurrence asiatique notamment, tout en maintenant son leadership sur le marché des pick-up haut de gamme. En outre, le groupe annonce des lancements sur de nouvelles niches et croit - enfin -, prix du gallon oblige, au développement des petites voitures. "Nous prédisons une croissance de 40 % de ce segment d'ici 2010", indique Mark Fields. Enfin, Ford intensifie son programme "hybrides", avec un objectif de 250 000 véhicules hybrides (Ford Fusion, Five-Hundred, Edge, Mercury Mariner, Montego, Lincoln MKX) produits par an d'ici 2010.

Halte aux rabais !

Pour relever ce défi "produits", Ford en appelle au poncif de la différenciation par l'innovation, la qualité et le design, mais s'apprête surtout à jouer sur les leviers d'une meilleure exploitation des banques de pièces (renforcer les mises en commun) et du développement du principe de plate-forme. Un changement de culture qui doit générer des économies d'échelle, selon Mark Fields. Au final, Ford veut abaisser la moyenne d'âge de ses gammes à 3,2 ans d'ici 2008, contre 4,4 ans actuellement. Et dans un registre plus commercial, Ford s'engage à stopper sa politique de rabais. Reconnaissant avoir sombré par excès dans ce domaine, avec des conséquences désastreuses sur les valeurs résiduelles de certains de ses modèles, le groupe veut arrêter sa grande braderie. Pour sauvegarder ses marges et lutter à armes égales avec les constructeurs asiatiques.

Le fardeau des retraites

Malgré plusieurs séances de négociations, parfois constructives, avec le syndicat UAW, Ford continue de porter comme un fardeau les charges de santé et de retraite de ses salariés. Désemparé, Bill Ford estime qu'il ne peut pas régler cette question tout seul : "On ne pourra trouver une solution au problème que si les entreprises et le gouvernement travaillent de concert. Et c'est tout bonnement la compétitivité des groupes américains basés sur place qui est en jeu…". D'ailleurs, les coûts sociaux (système retraite&santé, plan de licenciements…) grèveront lourdement les comptes en 2006. La direction annonce d'ores et déjà des pertes sur son activité auto pour cet exercice.

Alexandre Guillet