Carlos Ghosn redéfinit les objectifs de l’Alliance
...chez Renault. Un brin amusé par les rumeurs qui ont couru avant son intervention du 9 février, Carlos Ghosn s'est voulu rassurant : "La situation de Renault n'a rien à voir avec celle de Nissan à mon arrivée. Avec 20 milliards de dettes, une utilisation de l'outil de production à 50 %, une marge de 1 %, des employés démoralisés, la restructuration et le recentrage sur de nouveaux produits étaient nécessaires chez Nissan". Le patron de Renault a au contraire salué le "bilan financier sain" du constructeur français et notamment la réduction de son endettement : il ne représente plus que 11, 5 % des fonds propres contre 49,7 % en 2000. Par ailleurs, "l'Alliance a permis de multiplier par 2,5 la marge opérationnelle de Renault-Nissan entre 1999 et 2005". Oui, mais le problème c'est que seul Nissan en a profité, la marge du groupe Renault a pour sa part baissé de 40 % sur la même période passant de 2,2 milliards d'euros à 1,3 milliard en 2005. Et si le résultat net de Renault a été multiplié par 6, entre 1999 et 2005 ce n'est pas grâce aux économies tirées de l'Alliance mais en tant qu'actionnaire à 44,3 % de Nissan, Renault profite de la rentabilité exceptionnelle de son allié : depuis 2001, Nissan contribue chaque année à près de 70 % au résultat net de Renault.
Bénéficier des synergies développées par l'Alliance
Renault doit donc tirer ses propres profits de l'Alliance. L'un des principes fondateurs de l'Alliance est de réduire les coûts d'achat des deux entreprises, avec la création d'un acheteur commun, RNPO, Renault-Nissan Purchasing Organization, en charge, depuis 2004, de 70 % des achats des deux constructeurs, soit 33 milliards de dollars. L'objectif était notamment de réaliser 5 % d'économies sur les projets communs démarrant avec la plate-forme C (Mégane II et Almera). En 2004, Odile Desforges, présidente de RNPO, annonçait une économie de 3 % réalisée sur le coût d'achat des pièces destinées à la Modus, premier véhicule Renault issu de l'Alliance. Cette même année, les analystes de la Deutsche Bank estimaient à 500 millions d'euros par an les économies sur les achats de pièces réalisées par Renault sur l'ensemble de sa gamme. Le chiffre qui apparaît dans les comptes 2005 n'est que de 132 millions d'euros, soit de l'ordre de 1 % du montant des achats de composants, mais il faut tenir compte de la hausse du prix des matières premières qui a largement alourdi la facture. C'est donc dans la continuité de l'Alliance que Carlos Ghosn a fixé un objectif de réduction des coûts d'achat de 14 % sur trois ans et de 9 % du coût logistique, domaine entrant également dans le champ d'action de RNPO.
Passer de 2 à 10 plates-formes communes
Surtout, l'utilisation de nouvelles plates-formes communes devrait multiplier les occasions de réaliser des économies tout en développant l'offre produit. L'objectif de l'Alliance est d'utiliser 10 plates-formes communes à l'horizon 2010. Aujourd'hui, seules 2 sont utilisées : la B (avec Micra et Note chez Nissan et Modus, Clio III et Logan et futur Twingo chez Renault) et la C (avec Mégane II et Almera). Pour le reste tout et son contraire ont été dit. En 2004, Pierre-Alain de Smedt, directeur général adjoint de Renault, évoquait une plate-forme commune qui produirait les grands 4x4 et les modèles de luxe de Nissan, ainsi que le successeur de la Vel Satis, après 2007. Une autre produirait des petites voitures compactes tandis qu'une plate-forme D servirait à des véhicules de taille moyenne. Ce qui est sûr, c'est que de nombreux projets sont dans les cartons. Carlos Ghosn a annoncé la sortie de 26 produits d'ici 2009, à raison de 8 par an à partir de 2007. La moitié seront des extensions de la gamme actuelle sur de nouveaux segments tels que les SUV, les véhicules sportifs, et le haut de gamme, avec 5 véhicules à plus de 27 000 euros lancés au cours du plan. Hors d'Europe, Renault élargira sa gamme Logan, son offre Samsung et sortira 5 nouvelles voitures en Amérique latine. L'enrichissement de la gamme doit se traduire par une croissance de la production et donc des ventes de 800 000 unités d'ici à 2009, à raison de 250 000 en Europe occidentale (+ 14 %) et 550 000 en dehors (+ 80 %), sans compter la Chine.
Associée à la logique de plate-forme, l'augmentation des volumes de production hors d'Europe devrait permettre à Renault d'atteindre une partie des objectifs définis par Carlos Ghosn, telle que la réduction de 12 % des coûts de fabrication ou l'accroissement du taux d'utilisation des usines de 25 %.
Avant tout un engagement pour la qualité
Des économies, des produits nouveaux, des volumes supplémentaires, tout cela serait en pure perte et ne permettrait pas d'atteindre l'objectif ultime, réaliser régulièrement une marge opérationnelle de plus de 6 %, sans la qualité. Carlos Ghosn est revenu plusieurs fois sur le sujet, "La différence d'image entre un constructeur et un autre se mesure à l'écart de prix entre leur produit sur le même segment", prix qui définit ensuite le niveau de rentabilité. Or aujourd'hui, avec une Laguna qui se négocie à - 30 % de son prix catalogue et affiche une valeur résiduelle catastrophique, l'image de Renault est très dégradée. Un problème de qualité mais aussi de méthode de vente. Si Carlos Ghosn ne fixe pas d'objectif en termes de parts de marché c'est justement pour éviter de retomber dans les travers de Renault, c'est-à-dire abuser des ventes flottes et des O km, pour maintenir sa pénétration au détriment de sa rentabilité à long terme.
D'où le troisième pari de Carlos Ghosn : faire de la future Laguna, lancée en 2007, l'une des trois meilleures de son segment en termes de qualité (fiabilité, attractivité) et de service (délais de livraison, satisfaction client, coût et qualité du SAV). En clair, placer Laguna au même niveau que la Série 3, la Classe C ou la Toyota Avensis, si l'on reprend le classement de l'enquête qualité de JD Power réalisée en France en 2005. Sa méthode ? "Nous allons prendre exemple sur Infiniti. La marque haut de gamme de Nissan était au plus bas, elle est aujourd'hui l'une des plus réputées et des plus rentables aux Etats-Unis", explique Carlos Ghosn. Mais que l'on ne s'y trompe pas, sa stratégie haut de gamme de Renault se fera avec des produits Renault. Reste à mettre en application ce programme, jugé par les analystes "ambitieux mais réaliste".
Xavier Champagne
"Retrouvez ce n° en kiosque jusqu'au 27 avril"
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