Philippe Le Bas, O+ Automotive : "Vers plus de précision dans le management des concessions"
JA. Quels sont les chantiers achevés durant la phase de confinement ?
Philippe Le Bas. Nous n'étions pas organisme de formation, car ce n'est pas systématiquement la prestation que nous délivrons. Mais les formations évoluent et au 1er janvier prochain ou en 2022, chaque organisme devra être certifié par Qualiopi. Un changement qui va faire entrer le coaching dans le dispositif. Il nous a fallu trois jours plein pour nous mettre en ligne avec ce cahier des charges et le ralentissement de l'activité engendré par le confinement nous a permis de nous pencher sur la question. Le catalogue des produits a été intégralement repensé pour s'ajuster aux attentes de nos clients.
JA. Il a été aussi question d'un sujet lié au respect des consignes…
PLB. En effet, nous avons édité une grille pour aider les concessionnaires à respecter les mesures. Un document qui a été téléchargé plus de 600 fois sur notre site internet dans les jours qui ont suivi. La preuve qu'il y a une véritable demande d'accompagnement dans le domaine.
JA. Que révèle votre repositionnement ?
PLB. Le phygital s'invite dans toutes les réflexions, mais quel sera l'équilibre entre le physique et le digital ? Nous avons commencé, il y a une décennie, à aider la distribution automobile à se structurer autour du phygital et nous pouvons dire désormais que les process en entreprises sont tenus par des applicatifs. J'ai travaillé sur une solution qui fera très prochainement son apparition sur le marché et qui d'une manière inédite se place au cœur du système. Cet outil servira à optimiser la gestion des ventes, grâce à un suivi statistique en temps réel.
JA. Les éditeurs de DMS aspiraient à ce rôle avec les outils de BI ?
PLB. Ils gèrent très bien la facturation et la partie financière. Il n'y a que Peugeot qui sort du lot avec ses outils. Ce nouveau venu arrivera avec une vision plus complète des indicateurs clé, car le marché a besoin de plus de réactivité et de précision. On le voit en côtoyant les collaborateurs des concessions. Le coaching va alors pouvoir revenir sur l'humain et non sur la technologie.
JA. Nombre de projets technologiques en concession ont échoué sur les rivages de l'incompréhension…
PLB. Je suis complètement d'accord. Nous avons accompagné une entreprise qui perdait 400 000 euros sur son activité VO. Elle était outillée mais son directeur et ses cadres n'utilisaient pas les systèmes à disposition. Force a été de constater que le responsable VO n'avait pas les moyens de passer le cap de la technologie et que de ce fait, il fallait prendre une décision. Souvent aussi, nous sommes consultés dans le cadre de reprise d'affaire et rarement les acheteurs font un état des lieux des compétences. Il faut se poser davantage la question en amont pour déterminer le cap et les moyens à mettre en œuvre.
JA. Vous comptez une vingtaine de réseaux de marques parmi vos clients, en France. Quelles sont les tendances en termes de requêtes ?
PLB. Il y a beaucoup de programmes qui sont liés au déploiement de la stratégie des constructeurs. C'est notamment le cas chez une marque premium allemande qui révise sa position tous les quatre ans. Nous sommes de plus en plus appelés pour aider les chefs de région. Ce qui nous a poussé à créer une offre spécifique. Ce pack vise à leur donner des méthodes qui les conduiront à entretenir des liens plus étroits avec les distributeurs plus modestes, habituellement visités une fois par an. Il y aura moins de sentiment d'abandon.
JA. Comment le rôle des chefs de région est-il amené à évoluer ?
PLB. Ils sont dépassés car chacun est un homme-orchestre sans être orchestré. Ils se sentent perdus et une enquête auprès de cette population a révélé qu'une reconfiguration par rapport au constructeur s'avère nécessaire. A titre d'exemple, beaucoup de chefs de région ne remettent aucun rapport de visite au siège, il n'y a donc pas de remontée d'information. Il apparait aussi que la faible fréquence de visite fait vivre dans un entre-deux, puisque le réseau n'est pas suffisamment mis au défi tout au long de l'année sur différentes thématiques.
JA. Cette carence n'en est pas moins un appel d'air pour vous. Comment vous emploient les réseaux eux-mêmes ?
PLB. C'est effectivement vrai dans une certaine mesure. Ils apprécient notre capacité à les mettre en face de réalité pour travailler sur diverses projets, tels que des plans d'efficience ou encore sur la création d'un magasin centralisé, comme cela a été fait chez un des groupes majeurs du paysage Mercedes.
JA. Vous proposez un programme baptisé "Le défi des 100 Jours". Quels sont les leviers majoritairement actionnés pour remplir le contrat ?
PLB. En effet nous proposons une formule qui consiste à remettre sur pied une entreprise en moins de 100 jours et à être rémunérés en cas de succès. L'action porte généralement sur la partie technique et la partie humaine. En ce moment, tout particulièrement, les concessionnaires s'inquiètent du taux de couverture des frais fixes par l'après-vente, car personne ne sait dans quelle dynamique va s'inscrire le commerce dans la durée. Il y a un véritable travail de fond à effectuer dans les concessions.
JA. Le cadre d'un groupe nous soulignait cette importance de l'atelier tout en pointant des disparités de salaires encore trop grandes avec le commerce. Partagez-vous cette analyse ?
PLB. La situation s'est nettement améliorée à l'après-vente avec des salaires qui ont été ajustés à la hausse. Néanmoins, on ne peut pas encore parler de stratégie à grande échelle, quand bien même les constructeurs réclament aux concessionnaires de véritables pay plan dans les groupes. Il y a encore du travail dans ce registre. La crise que nous traversons est assez grave pour opérer des changements, selon l'adage qui dit que "du chaos naissent les étoiles".
JA. Quelles sont les étoiles à naître ?
PLB. Il y aura plus de précision dans les notions de management des concessions. Ce que pourra apporter le digital. Un équilibre va donc se mettre en place par rapport au physique. Une fois passé le stress du redémarrage, une énergie créative va se libérer.
JA. Le traumatisme a-t-il été assez fort pour ne pas oublier de faire bouger les lignes ?
PLB. La rentabilité est un facteur qui ramène chaque jour les investisseurs à la réalité. Ils vont être obligés de changer et d'effectuer les mutations pour ne pas rester en dehors du marché. Les clients ont été éduqués à de nouveaux process de consommation durant le confinement. L'automobile est tenue de s'y adapter. Le véritable patron reste le client et son expérience doit être traitée comme un élément capital.
JA. Le VN n'est pas une priorité, selon certains sondages de consommateurs français. Est-on prêt à tirer profit du VO dans les concessions ?
PLB. Quand on ne fait pousser qu'une seule espèce de blé et que celle-ci est touchée par une maladie, on finit par perdre toute la production. Cela est tout aussi vrai pour les véhicules d'occasion. Les concessionnaires se sont tous positionnés sur des produits standardisés par les constructeurs à savoir des VO récents. Il est maintenant important d'avoir une réflexion sur une forme d'indépendance pour se démarquer du reste des concessionnaires. C'est une question d'identité d'entreprise et de stratégie de préservation en cas de retournement.
JA. Quel regard portez-vous sur les actuelles dispositions commerciales ?
PLB. Les offres commerciales sont particulièrement agressives. Les constructeurs font très bien leur boulot sur le VN et les entreprises doivent professionnaliser leur démarche pour saisir toutes les opportunités. Outre les promotions, les solutions de financement vont être des armes redoutables. Ce qui effraie une partie des distributeurs, car c'est un véritable changement de culture.
JA. Au-delà du changement de culture, va-t-on au-devant d'un bouleversement du paysage ?
PLB. "Méfie-toi des gens qui reculent, si cela se trouve ils prennent de l'élan". C'est une expression que j'aime et qui colle à l'industrie de la distribution. Il ne faut donc pas juger l'instant présent, mais les mesures dans le temps. A titre d'exemple, il y a un groupe français avec lequel nous travaillons qui a l'ambition de devenir européen et qui pour cela procède à des acquisitions. Sa méthode de travail lui permet de remettre à flot les entreprises rachetées en deux ans, mais souvent la croissance ralentit ensuite. Il a donc acté, sur nos recommandations, d'une réorientation pour se concentrer davantage encore sur les clients, ce qui lui permet une plus grande stabilité et pérennité. Son développement va pouvoir se poursuivre.