Formation : Un virage encore à négocier
Si innovation et automobile ont toujours fait cause commune, force est de constater qu’il existe des époques où le rapprochement entre les deux s’avère plus ou moins intense, et dire que l’industrie des quatre roues vit aujourd’hui une période dense en nouveautés est ainsi un euphémisme. Moteurs plus économes, plus propres, matériaux plus légers, plus écologiques, aides à la conduite intelligente, systèmes embarqués connectés, conduite automatisée… autant de sujets de fond qui, aboutis ou non, obligent tout un secteur à se remettre en question. En premier lieu duquel se trouvent les formations. Garantes d’un savoir-faire “mécanique” et commercial quasi ancestral, ces dernières doivent aujourd’hui revoir profondément leurs méthodes afin de coller aux nouvelles problématiques, mais aussi séduire une génération peut-être moins sensible que les précédentes aux odeurs d’échappement et au cambouis. Si le virage est entamé, il reste encore beaucoup à faire pour permettre au secteur automobile de disposer d’une main-d’œuvre formée de manière optimale aux enjeux du moment. Dirigeant du cabinet de recrutement VO-RH.fr, Christophe Lafont estime que, d’une manière générale, “nous avons aujourd’hui clairement des manques. Les volumes d’élèves formés sont trop faibles pour répondre aux nouvelles demandes. L’un de mes clients m’a récemment confié qu’il n’hésitait d’ailleurs plus à recruter dans d’autres secteurs”. Un sentiment partagé par Olivier Drier de Laforte, directeur de la division automobile, transport et infrastructure d’Altran : “Sur le seul secteur de la R&D, il ne fait aucun doute que les jeunes sont particulièrement bien formés chez nous. Le seul problème est qu’ils s’avèrent trop peu nombreux et que les formations proposées ne sont pas toutes adaptées aux compétences numériques exigées. Pour combler ce manque, les entreprises ont recours à un recrutement externe qui, loin d’être un aveu de faiblesse, traduit davantage la brutalité du virage technologique.” Pour accélérer le mouvement et combler ces manques au plus vite, le Gouvernement a récemment annoncé le déblocage d’une enveloppe d’un milliard d’euros dans le but de généraliser le numérique à l’école. Une manière de faire de la France un pays leader en matière de “e-enseignement” au travers de “méthodes stimulantes”, comme l’a souligné le président de la République, François Hollande.
Modifier le message plutôt que les programmes
Si le numérique n’est pas l’unique enjeu du moment et si cette initiative semble, au premier abord, très éloignée des problématiques du secteur automobile, en y regardant de plus près, celle-ci offre des bases jusqu’alors trop souvent oubliées. Directeur général du Garac, Laurent Roux s’inscrit pleinement dans cette démarche et souligne que, “avant de dire que nous allions adapter telle ou telle formation, il fallait continuer à moderniser nos moyens pédagogiques et offrir à nos élèves des outils dans l’air du temps”. Dont acte. En parallèle à une réflexion plus vaste sur le fond, son école a ainsi travaillé la forme en équipant ses 65 salles de cours d’outils numériques (ordinateurs, projecteurs, tablettes, réseau Wi-Fi), mais aussi en investissant dans ses ateliers sur des outils de pointe tels que des imprimantes 3D et des systèmes de réalité augmentée. Une démarche loin d’être isolée, qui traduit cette volonté des formations du secteur de coller aux nouveaux usages alors que 70 % des Français pensent que notre pays a du retard sur le volet numérique et que 87 % estiment qu’un meilleur apprentissage de la question offrirait un bénéfice direct à l’insertion professionnelle (baromètre Odoxa-Syntec Numérique, février 2015). Au Garac, ce sujet, comme bien d’autres, a été appréhendé au travers de journées techniques organisées en partenariat avec le GNFA (Groupement national pour la formation automobile). Destinées essentiellement aux formateurs et encadrants, celles-ci ont permis de comprendre ce que sera le véhicule de demain. Et de voir ainsi émerger un nouveau message. Etape par étape, écoles et organismes de formation avancent avec l’idée qu’il s’avère à ce jour plus judicieux d’adapter le discours avant de revoir les programmes. Un choix assumé par Joël Gaucher, responsable formation de l’Escra-Iscam, spécialisé dans les formations pour la distribution automobile, qui l’avoue sans détour : “Aujourd’hui, nous n’en sommes pas encore à expliquer comment vendre telle ou telle technologie. Nous avons donc fait le choix de ne pas modifier la structure de nos cours, mais nous encourageons en revanche nos formateurs à adapter leur message.” Un choix qui, bien qu’assumé, laisse dubitatif. Combien de temps encore les écoles pourront-elles s’exonérer d’une plus profonde remise en question de leurs process ?
Du retard en concession
Si le temps presse, Joël Gaucher justifie aussi cette absence d’engagement par d’autres freins qui complexifient la mise en place de nouveaux cursus. “Nous sommes confrontés à un double phénomène, note ce dernier. D’une part, les clients se renseignent davantage avant de venir en concession, rendant le métier de commercial beaucoup plus complexe. D’autre part, les jeunes sont aujourd’hui tellement connectés qu’ils arrivent en très peu de temps à cerner une nouvelle technologie. Face à cela, il nous est logiquement difficile de modifier nos programmes, et c’est pour cela que nous préférons adapter notre message.” Loin de considérer cela comme une fin en soi, plusieurs initiatives récentes montrent que les cursus peuvent évoluer dans le bon sens. A compter de la rentrée 2015, l’Estaca, SupOptique et Strate piloteront conjointement le Master spécialisé “Systèmes d’éclairage embarqués” grâce à la demande et au soutien, à hauteur de deux millions d’euros, de Renault, PSA, Valeo et Automotive Lighting Rear Lamps. Une façon dans le cas présent de voir la formation s’adapter aux mutations de ce secteur, marqué notamment par l’arrivée de systèmes d’éclairage complexes et par la généralisation de la LED. Côté Garac, les efforts se concentrent actuellement sur le diplôme d’ingénieur en “Maintenance et services automobiles”, bientôt transformé en diplôme d’ingénieur “Mécatronique” de sorte à “coller davantage aux standards plus électroniques et technologiques du moment”, selon Laurent Roux. Aussi salvatrices soient-elles, ces initiatives laissent transparaître la naissance d’une dichotomie avec, d’un côté, des formations techniques en passe de s’adapter et, de l’autre, des formations commerciales rétives à cette idée. Or, il en va aussi de la survie de ce secteur de savoir bien vendre ses véhicules de sorte que ne se reproduise pas trop souvent une expérience déjà vécue par le Journal de l’Automobile, en 2014, à propos d’une étude sur les systèmes embarqués. “Qu’entendez-vous par cela ? Vous voulez parler du GPS ? Non, je ne crois pas que nous ayons cela dans notre gamme”, nous avait alors rétorqué le vendeur d’une grande marque travaillant dans l’un de ses plus importants points de vente tricolores. Un commentaire n’ayant pas valeur de généralité, certes, mais qui symbolise parfaitement ce monde à deux vitesses où ce qui est fabriqué avance plus rapidement que ce qui doit être vendu. L’idée pourrait même être prolongée au secteur de l’après-vente, toujours touché de manière décalée par les dernières innovations, mais qui se doit d’appréhender les enjeux de demain, à en croire Jacques de Leissègues. Le président de DAF Conseil, spécialisé dans la formation pour la rechange et la réparation indépendante, explique ainsi qu’au-delà de ce décalage, “le monde de la rechange doit se préparer dès à présent pour, le moment venu, disposer d’une main-d’œuvre capable de réparer telle ou telle technologie récente. Il ne peut se contenter d’être spectateur de tout cela”.
Evolution des profils et des pratiques
Nonobstant ces lacunes, ces retards, ces manques de prises d’initiatives, tous les acteurs du secteur se montrent confiants quant au bien-fondé de la stratégie actuelle. “Nous vivons une période un peu tampon, où le secteur évolue plus vite que la formation. Cependant, je ne suis pas inquiet et je crois que les choses vont se réguler”, estime Christophe Lafont, de VO-RH.fr. Du côté d’Altran, Olivier Drier de Laforte explique ainsi que “si, pendant les deux ou trois années qui ont suivi la crise, l’attractivité des métiers de l’automobile a été moindre, depuis un an et demi, grâce aux nouveaux besoins du numérique autant qu’à la reprise économique, nous constatons un vrai boom”. Preuve que le retard supposé des formations n’a pas d’impact sur le succès du secteur. D’autant plus que celui-ci négocie actuellement un double tournant. Par-delà la profusion d’innovations, les formations constatent également une évolution notable des profils d’élèves intégrant leurs rangs. Dans un domaine de plus en plus complexe, la naissance de nouveaux métiers fait que, vraie nouveauté, “les jeunes n’hésitent plus à poursuivre leurs cursus plus loin que par le passé”, note Laurent Roux, avant d’ajouter que “l’Education nationale a joué un rôle important en structurant les formations professionnelles et technologiques vers le haut”. Dans le même temps, les entreprises ont également revu leur politique RH pour contourner le manque de main-d’œuvre en misant sur des profils plus ouverts et en les formant eux-mêmes, selon les conclusions d’une étude de l’Opiiec (Observatoire paritaire de l’informatique, de l’ingénierie, des études et du conseil, novembre 2014). “Ne craignez pas d’être lent, craignez seulement d’être à l’arrêt”, dit un célèbre proverbe chinois. En pleine mutation, formations et entreprises du secteur automobile prouvent donc que des solutions existent et que les atermoiements du moment n’entravent pas leur marche en avant. Le grand enjeu consiste à présent à réussir à normaliser les choses.
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