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Yann Leriche (Transdev) : "On ne gagnera pas la course à l'autonomie en avançant seul"

Publié le 23 janvier 2019

Par Gredy Raffin
9 min de lecture
ZF et Torc Robotics sont désormais des partenaires de Transdev dans la course à l'automatisation de la conduite des véhicules de transport public. En charge du dossier pour Transdev, Yann Leriche, a livré des détails, lors du CES 2019.
Yann Leriche, P-DG de Transdev North America et directeur des systèmes de transport autonomes B2C

 

En signant avec ZF et Torc Robotics, Transdev se rapproche chaque jour un peu plus de la branche de l'industrie automobile tournée vers la conduite autonome. Présent au CES 2019, Yann Leriche, le P-DG de Transdev North America et directeur des systèmes de transport autonomes B2C, fait un point d'étape sur la stratégie du groupe.

 

 

C'est la deuxième fois que Transdev participe au CES, que traduit cette présence de l'évolution de l'entreprise ?

Yann Leriche. Cela montre que notre métier, qui est et restera basé sur l'humain, repose de plus en plus sur des technologies avancées. La compréhension, la maitrise et l'impact de ces technologies sur nos modèles économiques doivent être intégrés dès aujourd'hui, car il pèse désormais un risque d'obsolescence du service que nous proposons, si une entreprise trouve un moyen moins couteux et plus pertinent pour le client de délivrer la prestation de transport.

 

Certains viennent au CES pour vendre des solutions, d'autres pour sentir le marché. Avec quel état d'esprit êtes-vous venus ?

YL. Il y un aspect compréhension et un aspect vente. En tentant de vendre, nous attirons des visiteurs et alors nous provoquons des conversations dont nous tirons des enseignements. Je dirais que nous privilégions des rencontres qui permettent d'avancer sur des projets concrets, derrière les intérêts. Il faut laisser à chacun le temps de peaufiner ses dossiers et entretenir les échanges au-delà de ce salon. On ne gagnera pas la course à l'autonomie en avançant seul, il nous importe de construire le bon écosystème et ces discussions nous y aideront.

 

Parlant de partenariats, ils ont été nombreux vous impliquant cette année au CES. Pouvez-vous nous donner plus d'éléments sur celui qui vous rapproche de ZF et le déploiement à Friedrichshafen ?

YL. Dans ce projet, nous sommes ceux qui allons transporter les gens et donc nous avons une véritable responsabilité, en termes de qualité de service et de sécurité. ZF fournit la technologie. Ils se considèrent comme des équipementiers de rang 1 des constructeurs automobiles, toutefois, ils perçoivent un changement dans la chaine de valeur. Ils comprennent que la valeur appartiendra demain à celui qui maîtrise les technologies et que le marché va certainement s'affirmer. Pour rester dans la course, ils se sont associés à E.Go afin de disposer d'une navette. Il leur fallait ensuite compléter le tableau avec un opérateur qui apporte les systèmes de supervision, une intelligence et une plateforme électromécanique. ZF souhaite se concentrer sur l'intelligence et nous sommes en charge du package sécuritaire qui garantit la situation du passager.

 

Combien de navettes sont prévues au programme ?

YL. Nous ne parlons pas encore du nombre de navettes, car des discussions sont encore en cours, notamment relatives à la réglementation. Il est encore trop tôt et toute annonce pourrait se voir totalement faussée en fin de négociation. Chez Transdev, d'un point de vue global, nous souhaitons opérer une flotte de véhicules autonomes au travers de plusieurs partenariats. Le plus important restera celui avec Renault-Nissan mais ZF sera un partenaire privilégié.

 

Vous évoquez la problématique de la législation, dans le cadre du projet à Friedrichshafen, qu'est-ce qui se dessine ?

YL. Il y a deux aspects dans cette question. Tout d'abord, nous conserverons un superviseur à bord tant que cela sera obligatoire. Ensuite, il faudra savoir combien de temps nous resterons dans cette configuration, une fois que la législation aura évolué. Nous allons étudier les cas d'usage. Je veux dire que tout le monde comprend la logique de niveau d'automatisation de 0 à 5, mais trop souvent on oublie la complexité des cas de mise en pratique. Rouler dans un environnement fermé ne nécessitera pas de chauffeur, on le voit avec les métros automatiques. Ensuite, un cas d'usage de véhicule sans chauffeur qui peut rallier un point A à un point B, à l'échelle d'un pays, quelle que soit la route et la météo, n'arrivera peut-être jamais. Ce qui n'est pas un problème, car nous intégrerons ce fait dans notre modèle opérationnel.

 

L'autre grand partenariat met cette fois en lumière Torc Robotics. Que contient-il ?

YL. Vous le savez, nous avons un contrat avec Lohr en vue de mettre à la route une flotte de véhicules autonomes, l'i-Cristal qui a été présentée l'été dernier. Torc Robotics viendra compléter cette alliance avec des briques technologiques indispensables à l'automatisation de la conduite, tel que le logiciel. Transdev fournit la plateforme d'attribution des missions et de supervision.

 

En quoi cela ouvre-t-il des perspectives en termes de nouveaux profils d'employés ?

YL. C'est une très bonne question à laquelle nous n'avons pour l'heure qu'une réponse partielle. Des métiers vont disparaitre avec la fin de la conduite, laissant place à des fonctions non encore imaginées. Quand l'automobile est née, elle a remplacé les chevaux et rendu obsolète de nombreuses corps de métier, comme le maréchal-ferrant. En retour, elle a créé un véritable dynamisme en nécessitant des mécaniciens, par exemple. Chez Transdev, nous finirons par communiquer sur ce sujet, car nous aurons besoin de superviseurs et autres professionnels. Ce qui ne pourra se concrétiser sans filiale de formation.

 

La supervision de la flotte est une des clés de l'expérimentation qui se tient à Rouen. Où en est-on de ce laboratoire ?

YL. Nous avons appris énormément de choses, sur les aspects purement techniques, sur ceux purement relatifs aux services, sur la réaction des gens et sur le fonctionnement global. La question reste ouverte cependant : entre la technologie et l'humain, quel est le rôle de chacun pour atteindre l'efficience. Prenons un exemple pour ne pas rester dans le théorique. Dans un carrefour, la technologie de conduite autonome n'est pas encore la plus fiable. Doit-on alors ajouter un capteur sur la voiture, renforcer l'apprentissage de la machine ou externaliser avec une infrastructure plus intelligente. Mais dans ce cas, si on utilise une caméra, la criticité de l'information pousse à atteindre un très haut niveau de sécurisation.

 

Quelle est la prochaine étape ?

YL. Il y a encore du chemin. Nous voulons ouvrir les autres boucles prévues dans le plan, en ajouter d'autres et étendre le système à une plus large partie de l'agglomération. Nous ne communiquons pas encore, mais nous ne cachons pas notre volonté d'expansion et de baisse des coûts.

 

Parlant de mobilité avec Transdev, il est impossible d'éluder le sujet des Gilets jaunes. Alors que les problématiques de coût de déplacement ont mis le feu aux poudres, de quoi ce mouvement est-il le nom ?

YL. C'est une question compliquée. Je n'ai pas de certitude. Il est à mon sens encore trop tôt pour une analyse. Le mouvement n'est pas vraiment structuré et les avis divergent même chez les manifestants. Toujours est-il que la mobilité est un droit, en France et ailleurs. C'est un enjeu de compétitivité des populations et des territoires. Je pense donc que les initiatives du gouvernement, telle que la Loi d'orientation des mobilités (LOM), resteront encore un moment dans la colonne des sujets à débattre.

 

Que faudra-t-il clarifier, selon vous ?

YL. Il conviendra de trancher sur la place de l'automobile individuelle face aux transports collectifs, ceux partagés et ceux à inventer. Je pense qu'il y a une erreur collective à ne pas commettre : celle de croire que le véhicule autonome sera une voiture d'aujourd'hui, sans le chauffeur. J'ai moi-même cru, à la sortie du premier iPhone, que nous avions un smartphone avec des applications et en vérité, nous ne passons que très peu de temps à téléphoner. L'usage de l'objet a été changé. Demain, le fait de se libérer du temps à bord d'un véhicule va ouvrir le champ des possibles.

 

Qu'attendez-vous de la LOM et de ses équivalents à l'international ?

YL. Il y a pas mal de choses dans ce projet, même s'il est encore trop tôt pour le commenter, du fait des évolutions à venir. L'Ademe a fait un travail remarquable à cette occasion et on peut souligner la contribution de Gabriel Plassat. Les technologies, les modèles économiques et les comportements évoluent beaucoup et si la réflexion a son importance, il faut être en mesure d'aller sur le terrain pour expérimenter, passer à l'action et avoir un véritable retour des usagers. Inscrire ce besoin dans les textes relève d'une haute importance pour que l'argent public soit utilisé de manière encadrée.

 

D'aucuns remettent désormais en question la délégation de service public (DSP), est-ce justifié ?

YL. En tant qu'expatrié, je peux mesurer à quel point la DSP est un très bon système, notamment par la flexibilité qu'elle offre. Elle a permis de lancer de grandes innovations et de faire émerger des géants du transport comme Transdev. Une réforme pourrait la faire évoluer, mais il faut être clair sur son apport.

 

Le 7 février 2019, l'institut de la Ville en mouvement, au sein duquel vous collaborez, organisera un événement. De quoi sera-t-il question ?

YL. Nous nous sommes justement concentrés sur les usages possibles du véhicule autonome. Mais au lieu de partir d'une feuille blanche, nous avons regardé ce qui se fait à travers le monde, les activités qui prendraient une tout autre dimension avec l'automatisation de la conduite. Dans cette idée, nous avons qualifié le véhicule autonome "d'hyperlieu mobile", soit un lieu dans lequel on se trouve physiquement et qui cependant nous projette ailleurs en nous connectant au monde extérieur, tout en nous déplaçant.

 

Comment avez-vous procédé ?

YL. Nous nous sommes intéressés à toutes les catégories de population, à toutes formes d'initiatives et ce, dans plusieurs pays du monde. Nous avons retenu beaucoup de choses. Parmi les exemples, je retiens ceux liés au déplacement domicile-travail. Basé à Chicago, je passe une heure par trajet, soit un vrai temps perdu que je pourrais mettre à profit en intégrant un de mes loisirs, la pratique sportive. Nous avons découvert, à Boston puis à Chicago, des bus connectés, équipés de matériels de sport. Demain, Transdev pourrait permettre de consommer ce type de véhicule, sous forme de navette autonome à la demande ou, à l'inverse, d'en faire un lieu de consommation mobile.

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