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Vrai coup de génie de BMW ?

Publié le 30 janvier 2015

Par Gredy Raffin
11 min de lecture
A peine plus d’un an après leur entrée dans le paysage, les Genius de BMW et Mini font valoir un bilan plutôt satisfaisant qui pousse aux investissements et met en lumière la question de la relation client à travers un nouveau recrutement.
Lié à la numérisation des showrooms et aux mutations de la relation client, le poste de Product Genius préfigure sans doute d’autres évolutions dans le domaine de la vente.

Au départ, l’idée semblait un peu folle. On est en 2012 et le marché de l’automobile français, inscrit sur une pente descendante, suscite quelques craintes. Pourtant, c’est le moment choisi par le groupe BMW pour présenter son concept Futur Retail, soit l’évolution de la distribution selon la vision munichoise. Outre la refonte architecturale et l’incursion de nouvelles technologies sur la liste du matériel obligatoire, la marque propose aux 81 investisseurs d’alors de créer un nouveau poste au sein de leur concession : les Product Genius.

Nul moyen de s’en cacher, BMW s’est inspiré des boutiques en propre d’Apple, les Apple Store, où des “petits génies” se chargent d’accueillir les prospects et les clients pour répondre à leurs besoins avec une connaissance parfaite des produits de la gamme. A cette époque, les 175 points de vente de la marque, dispersés dans l’Hexagone, avancent sur une tendance qui verra l’année se boucler avec une rentabilité de 1,35 %. Le pari est un peu risqué, mais les volumes encouragent néanmoins à suivre cette nouvelle voie. “Les Product Genius constituent un des piliers du programme Futur Retail et très vite, des concessionnaires ont adopté l’idée, se positionnant en pilote”, se souvient Olivier Philippot, directeur du développement réseau de BMW France.

Intégrer un tel profil demande de l’investissement. Non seulement financier, mais également humain, car il s’agit de remettre à plat le parcours d’achat du client et donc les méthodes de travail. Le Product Genius se place en effet en amont du vendeur. Pour ce qui a trait à la dimension pécuniaire, comme à son habitude avec les projets révolutionnaires, BMW apporte un soutien aux concessionnaires – rappelons-nous le déploiement du label VO, BMW Premium Selection. Subventions déduites, les formations des Product Genius coûtent environ 300 euros par jour (frais logistiques compris), soit quelque 3 600 euros au total, compte tenu du fait que treize jours minimum sont nécessaires à “la mise en condition”. En effet, il y a d’abord les modules communs aux conseillers commerciaux, auxquels s’ajoutent la spécialisation aux produits, et une visite dans une usine. Cette étape obligatoire s’étale sur une période de quinze mois, sachant que cinq jours doivent être effectués au cours des six premiers mois. Cela s’applique aux recrutements extérieurs à la marque, autrement, une semaine suffit, est-il important de préciser.

150 Genius d’ici à juin 2015

Avant cela, justement, il faut identifier des candidats : “Nous nous interdisons toute ingérence, insiste Olivier Philippot, cette étape appartient aux distributeurs.”. Néanmoins, un accord-cadre a été passé avec le cabinet RPC Associés afin d’apporter une force supplétive aux concessionnaires. Entre le repérage et l’évaluation des candidats, la prestation est forfaitisée à 3 600 euros. La décision finale revenant toujours au concessionnaire. Un autre contrat lie BMW à EY, dans le domaine de la conduite du changement.

En un peu plus d’un an, 75 Genius sont venus grossir les rangs des concessionnaires en France. A fin décembre, 20 de plus achevaient leur formation. “Nous sommes en cours de recrutement, annonce Olivier Philippot, et nous devrions donc avoir doublé les chiffres à fin juin.” Cette dynamique, d’après le responsable du développement réseau, traduit la demande croissante du réseau.

En majorité, les Product Genius proviennent des services commerciaux et après-vente des concessions. Mais, dans certains cas, il faut se tourner vers l’extérieur, faute de candidature ou de profil adéquat. “Nous avons décidé de partir d’une feuille blanche et de prospecter hors de la concession”, raconte ce distributeur nordiste. Pour lui, ce sera un ancien conseiller en bricolage. Pour un de ses collègues dans l’Est, un ancien pilote-instructeur, quand un troisième, basé dans l’Ouest, a retenu un restaurateur. Ces profils “atypiques” représentent plus d’un recrutement sur cinq et tendent à s’accroître.

“Nous rencontrons un succès au recrutement, commentait Céline Trébitsch, responsable RH de BMW Group France, lors d’un forum organisé par le Journal de l’Automobile et Equip Auto en novembre dernier. Il s’agit d’un métier nouveau, et l’important est le sens du service client. On parle d’une qualité innée, contrairement à la connaissance de la technique automobile. Pour cette raison, nous communiquons dans la presse nationale afin d’attirer de nouveaux profils.”

+ 25 % d’activité commerciale

Tous les concessionnaires ne sont pourtant pas convaincus. “Sur le plan commercial, le Product Genius fait sens, mais sur le plan économique, il y a place au débat”, tempère ainsi l’un d’eux, qui juge son volume d’immatriculations trop faible pour s’ouvrir au concept. BMW France n’impose d’ailleurs rien, en effet, à moins de 400 unités par an (exception faite en cas de présence de BMW i, N.D.L.R.). “Certains de mes confrères amortissent avec des missions qui ne sont pas sur la fiche de poste, croit savoir le distributeur, ce qui peut faire varier le salaire du simple au double.” Dans les grandes agglomérations, le Product Genius trouve un vrai rôle, mais en revanche, dans des concessions de province où la majeure partie des ventes sont réalisées “par fax” à des entreprises, il se fait moins indispensable. “Il n’est pas productif, et donc difficile à rentabiliser”, martèle le distributeur. “Le Genius, c’est la personne qui a du temps à perdre dans la concession et qu’il consacre aux clients. Il n’a rien d’un productif, mais son action contribue à la productivité générale”, défend Olivier Philippot.

Le bilan de la première année semble lui donner raison. Le rôle du Genius repose sur l’absence de pression commerciale. Il consiste à accueillir les visiteurs, à renseigner sur la marque et ses produits, à qualifier des prospects, à recruter à l’après-vente, à présenter les technologies complexes et à faire les mises en main… ou simplement à échanger pour le plaisir. Autant de tâches qui ont un impact sur les résultats des concessions. En particulier sur les ventes : “L’activité des commerciaux a augmenté en moyenne de 25 % lorsqu’ils sont épaulés d’un Genius”, rapporte le responsable de BMW. Les marges et l’indice de satisfaction aussi évoluent à la hausse. Ce qui constitue d’ailleurs les critères de rémunérations variables des Product Genius. Sur ce point, le modèle économique demeure flou. “Il faut fidéliser le collaborateur avec un salaire intéressant car on parle d’une mission à inscrire dans le temps”, prévient Raphael Kattan, consultant pour le cabinet TalenCo. Une idée qu’épouse Olivier Philippot. “La clé de la réussite des concessions qui performent a toujours été la longévité des collaborateurs, rappelle le consultant. Le Genius se pose en point de contact unique pour les clients, et on ne saurait que trop préconiser la stabilité.” Si BMW France recense des jeunes fraîchement sortis de l’école, Raphael Kattan estime qu’une personne expérimentée, de 30-35 ans, correspond à l’idée qu’il se fait de ce rôle.

Un concept qui ne fait pas que des émules

L’influence des Product Genius soulève quelques questions. Est-il possible de dupliquer une telle équation économique ? Chez Audi France, l’avis se veut négatif : “Nous préférons conserver les commerciaux dans leur mission complexe, mais complète”, explique un porte-parole de la marque. Une complexité dont le groupe ByMyCar, par exemple, veut libérer ses forces de vente, comme le confiait récemment au Journal de l’Automobile Jean-Louis Mosca, le co-président. Le groupe va repenser, sur ce modèle, l’ensemble de son organisation au cours des dix-huit prochains mois. “Le groupe BMW fait preuve d’une forme de nombrilisme en voulant former des personnes qui auront une vision égocentrée”, confie, plus incrédule, le président d’une filiale française d’un constructeur asiatique interrogé sur le sujet. N’est-ce pas néanmoins la définition de territoire de marque, pourrait-on répliquer ? “Ce rôle ne fait qu’ajouter une couture de plus pour le client et une dispersion de la connaissance”, soutient-il. Contactés par nos soins, les représentants de General Motors France disent “avoir intégré le sujet à la réflexion, sans prendre position”. Pour mémoire, ce profil existe déjà chez le constructeur aux Etats-Unis, en réponse à la croissance exponentielle du nombre de technologies embarquées.

Il est une anecdote que peut-être certains ont encore en mémoire. A l’aube du millénaire, Marc Tessier, alors directeur général de Skoda France, aurait soumis une fiche de poste similaire à la direction mondiale. Le projet, visiblement jugé irréalisable, aurait été retoqué et la France invitée à suivre le plan général. Depuis, une déclinaison de Genius s’est installée dans le point de vente conceptuel logé au cœur du centre commercial de Belle-Epine (94).

“Le Product Genius nous a permis de compenser le départ de deux commerciaux”, glisse un concessionnaire BMW. Lorsque la marque a présenté le concept en convention, un cas similaire aurait été évoqué. Un fait qui n’est pas anodin car, selon nos informations, des points de vente, notamment ceux de Nantes (44) et Rennes (35), devraient doubler le poste de Genius sous peu. Aujourd’hui, le réseau est toujours en phase d’intégration. Mais, bientôt, une problématique managériale pourrait alors se poser : les commerciaux seront-ils menacés ? D’après les données du Bilan des réseaux, édité en septembre dernier par le Journal de l’Automobile, les forces de vente VN constituaient 24,1 % des ressources des concessions BMW et Mini. Dans une quête de profitabilité, les investisseurs pourraient alors se laisser tenter par un nouveau genre de “modèle à la performance”.

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FOCUS

Stéphane Gomez, dirigeant du cabinet Auto Consultant

“L’arrivée des Product Genius en concession résulte avant tout d’une digitalisation croissante des points de vente. Aujourd’hui, avant d’acheter un véhicule, un client peut passer entre sept et dix heures à se renseigner devant son ordinateur. Il n’est désormais plus rare de voir un acheteur en savoir davantage qu’un vendeur, réduisant à néant le rôle et la crédibilité de ce dernier. Face à ce constat, il a donc fallu repenser le message commercial tout autant que les fonctions qui en découlent. La mise en place des Product Genius chez BMW matérialise précisément cette segmentation grandissante des compétences en concessions. L’idée consiste vraiment à accompagner le client dans sa démarche. Rien ne sert de lui vendre, pour ne pas dire lui survendre, un produit. Il est plus important de l’aider à affiner ces choix ou de les conforter et de le faire sans la moindre pression commerciale. C’est aussi pour cela que nous recherchons davantage des gens issus de filière marketing plutôt que vente. Il est primordial qu’ils aient un grand sens de la relation client, qu’ils soient à l’écoute et qu’ils fassent preuve d’empathie.”
 

Marie-Eugénie Dieu, fondatrice du cabinet Auto Job Conseil

“Le Product Genius constitue un nouveau levier pour stimuler les ventes des concessions. La première fois que nous avons eu un poste de ce type à pourvoir, c’était en 2009 et cela provenait de la concession BMW du groupe Altitude, basée à Vienne (38). Depuis, pour répondre à ce genre de demandes, nous recherchons des profils Bac +3, entre 21 et 25 ans, sans expérience professionnelle et avec une formation commerciale et/ou marketing. Ce sont là des prérequis qui vont permettre à la marque, dans un second temps, de les former en leur présentant leurs produits, leur histoire, leurs technologies et, chose extrêmement importante, le vocabulaire propre à employer. Aujourd’hui, c’est un poste encore récent, mais qui a déjà toute son importance dans les showrooms. Le Product Genius fonctionne en binôme avec le commercial et permet de briser la tension qui s’installe généralement entre ce dernier et le client.”
 

Joseph Williams, consultant pour le site Auto Recrute

“Alors qu’elles sont de plus en plus désertées, l’intégration de Product Genius constitue un excellent moyen de faire revenir les clients en concessions. C’est un poste extrêmement exigeant, qui nécessite tout à la fois un très bon sens du relationnel, une grande connaissance du produit ou de la marque, une certaine ouverture d’esprit et une capacité à intégrer un langage propre. Tout cela va permettre au Product Genius de placer le client dans un acte d’achat dénué de toute tension commerciale liée au prix ou à la négociation. Il est primordial de choyer ce dernier. L’accueillir chaleureusement, lui proposer des petites attentions, lui permettre d’essayer un véhicule vont aider à cela. En outre, il est important de l’écouter, d’être très attentif à son niveau de connaissance, à ses doutes, à ses remarques. Enfin, il faut susciter chez lui de l’intérêt et de l’envie en échangeant beaucoup, en ne fermant aucune porte dans la discussion et bien entendu, en lui présentant de manière détaillée et non excluante le véhicule. C’est seulement lorsque toutes ces étapes auront été franchies que le Product Genius proposera au client de rencontrer un vendeur.”

 

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