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Les assurances pour pertes d'exploitation en première ligne

Publié le 26 mai 2021

Par Catherine Leroy
10 min de lecture
La crise sanitaire associée aux confinements et aux couvre-feux a mis en avant le risque de perte d’exploitation des professionnels de la distribution automobile. Une garantie fondamentale en cas de sinistre majeur, mais avec des critères d’application stricts.
Considérée comme un risque systémique, la pandémie n’entre pas dans le champ de couverture des contrats d’assurance garage.

 

Par Ludovic Bellanger

 

Au sortir d’une année atypique pour l’ensemble des acteurs économiques, où les assureurs ont été montrés du doigt, le courtier Bessé n’a pas échappé au questionnement des distributeurs en matière de perte d’exploitation. Une interrogation de courte durée, car les polices d’assurance du spécialiste sont construites avec les concessionnaires. "Nous identifions avec eux leurs besoins, pour définir les formules d’assurance les plus adaptées, au meilleur coût, et les règles du jeu", explique Cyprien Laubin, directeur de Bessé Motors.

 

L’enjeu est aussi de formuler les couvertures de manière à ne pas laisser planer d’interprétation par l’assureur. Au cours de la crise sanitaire, "les professionnels se sont rappelé que la perte d’exploitation sans dommage n’était pas couverte ni sur la forme, ni sur le fond". Considérée comme un risque systémique, la pandémie n’entre pas dans le champ de couverture des contrats d’assurance garage. Sur le plan technique, une perte d’exploitation résulte d’un dommage matériel, précise Patrice Guizard, président-directeur général de Cetri. Une telle garantie peut intervenir après un incendie, une tempête ou un acte de vandalisme par exemple. Une fermeture administrative qui résulterait d’un événement tiers soudain et imprévisible, comme une explosion de gaz à proximité d’une concession, est prise aussi en compte.

 

Dans le cadre du coronavirus, le dommage est immatériel. Il n’est donc pas couvert par la perte d’exploitation. À de rares exceptions près, Axa, Allianz ou encore Groupama n’ont attribué d’ailleurs aucune indemnité en ce sens. MMA a pris l’initiative en octroyant un versement aux professionnels des services de l’automobile. Quelques compagnies ont accordé aussi une aide, à l’image de CAT Assurances. Le courtier spécialisé, qui assure 1 200 agents de marque et réparateurs indépendants, a procédé au versement d’une indemnité équivalente à un mois de prime. Au regard de la méthode de calcul forfaitaire de la prime d’assurance versée par les réparateurs (contre une cotisation basée sur le chiffre d’affaires pour la majorité des concessionnaires), la démarche se veut solidaire. Les dispositifs ne répondent à aucune obligation légale ou contractuelle.

 

 

L’exception des restaurateurs parisiens

 

La prise en charge de la perte d’exploitation des restaurateurs parisiens n’est donc pas appelée à faire école, ni même jurisprudence. Le risque sanitaire est exclu (à 99 %) de tous les contrats distribués par les compagnies d’assurance, rappellent les professionnels du secteur. Le sujet demeure néanmoins potentiellement explosif. Les compagnies comme Axa ou Groupama contactées n’ont d’ailleurs pas souhaité s’exprimer.

 

En matière de construction des contrats d’assurance multirisques, des intercalaires permettent d’ajuster les programmes à l’image de MMA ou de Generali avec CAT Assurances. Le dispositif regroupe des garanties négociées et adaptées à chaque secteur d’activité. Les conditions générales et contractuelles propres aux compagnies sont préservées, mais des couvertures additionnelles viennent les enrichir. Des clauses spécifiques qui expliqueraient l’avantage dont ont bénéficié les restaurateurs parisiens pendant le confinement. En province, les restaurateurs titulaires d’un contrat d’assurance différent obtiennent parfois gain de cause devant le tribunal de commerce. Le doute profite à l’assuré. Mais en appel, la lecture pourrait se révéler différente.

 

 

Vers une garantie Perte d’exploitation sans dommage direct

 

 

Du côté des professionnels de l’automobile, les pertes subies au cours des derniers mois restent difficiles à évaluer avec précision. Malgré les confinements et les couvre‑feux, les conséquences réelles semblent mesurées, en particulier au sein des agents de marque et des indépendants. Le chômage partiel, les aides de l’État et le rebond de l’activité après‑vente l’été dernier ont permis de soutenir l’activité. D’autant que les services de l’automobile ont été autorisés à ouvrir pendant le confinement.

Les concessionnaires et les groupes de distribution se sont révélés néanmoins plus exposés. Les ventes de véhicules neufs ont baissé de 25,5 % et l’activité après‑vente s’est contractée sur le 2e semestre avec un repli de près de 15 %. Seul le marché de l’occasion a tiré son épingle du jeu.

 

Le chiffre d’affaires a été bousculé, "stressé", observe Cyprien Laubin. En revanche, l’impact sur le résultat net a été moins dégradé. À l’avenir, en cas de nouvelle pandémie, les compagnies d’assurance semblent s’accorder sur la nécessité de mettre en place un dispositif de couverture similaire à celui pour les catastrophes naturelles. L’État prendrait en charge les sinistres à hauteur de 50 % par exemple. À l’image du risque attentat, la mesure pourrait faire l’objet d’une taxe "pandémie", mais le débat n’est pas tranché.

 

 

Les réflexions engagées apparaissent pour l’heure prématurées au regard d’une crise sanitaire qui perdure encore. Un risque global sur tout le territoire n’est pas assurable, prévient le dirigeant de Bessé Motors. Un tel événement pose le problème de la construction du modèle de l’assurance. Il repose sur la mutualisation d’un risque qui survient de manière aléatoire, rappelle Patrice Guizard. Une couverture pandémique pourrait dès lors se limiter aux TPE/ PME. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ayant la résilience suffisante et la capacité financière pour gérer ce type de crises. "Nous préconisons davantage de travailler à l’échelle individuelle avec chaque client, pour identifier ce qui peut être conservé en interne ou transféré à l’assurance", avance Cyprien Laubin.

 

Car les résultats nets des groupes de distribution se situent en moyenne à 0,5 % du chiffre d’affaires. L’assurance représente, quant à elle, déjà 0,2 % ! Dans le même temps, afin de renforcer les protections des professionnels de l’automobile, le cabinet Cetri a engagé des réflexions avec les assureurs pour compléter les couvertures traditionnelles. Elles portent sur la notion de perte d’exploitation sans dommage direct.

 

La garantie pourrait intervenir dans le cadre d’une fermeture administrative ou de la perte d’un panneau de marque suite à des désaccords commerciaux avec un constructeur par exemple. Des événements qui ne génèrent pas de dommages directs ou matériels. Parmi les autres pistes avancées, la dépollution des sites est aussi envisagée (en cas de contamination), tout comme le rachat des franchises et la paramétrique climatique (destinée à couvrir les conséquences de la grêle par exemple).

 

Incendie et risque climatique

 

 Au‑delà de la crise sanitaire, la perte d’exploitation figure en bonne place dans les couvertures multirisques globales. Elle concerne notamment l’incendie, les dégâts des eaux et le risque climatique (inondation, tempête, tornade, grêle). Des événements graves qui représentent entre 15 et 20 % du coût des sinistres enregistrés chaque année par les assureurs.

Si les professionnels sont exposés aux risques de sinistres et donc de perte d’exploitation, force est de constater que les garages sont mieux structurés. Ils répondent à des contraintes réglementaires toujours plus strictes. Dans le cadre des agents de marque, leurs exploitants ont investi. Ils souhaitent préserver leur outil de travail.

Au quotidien, la "PE" fait partie des couvertures historiques. Et pour cause. En France, 70 % des entreprises qui connaissent un sinistre majeur font faillite dans les mois qui suivent. La notion de perte d’exploitation n’est pas neutre pour Bessé Motors. Elle représente 1/3 de la valeur assurée par l’intermédiaire du spécialiste. "L’assurance ne couvre pas seulement une matière palpable, souligne son directeur. Notre objectif est de permettre aux professionnels d’être sereins en cas de coup dur. De savoir que leur activité ne s’effondra pas et qu’ils disposeront des moyens pour la reconstruire."

 

Face à un événement majeur, la perte d’exploitation revêt un caractère terriblement important, abonde Patrice Guizard. Elle prend en compte les délais de reconstruction liés aux règles d’urbanisme, aux mises en conformité, aux autorisations comme l’obtention d’un permis de construire. La saisonnalité d’un sinistre survenu juste avant l’été pourra ralentir aussi les process. Un recours administratif exercé par le voisinage retardera également le début de la remise en état. "Une couverture de 12 mois n’est pas suffisante, prévient d’ailleurs le dirigeant. Un minimum de 18 mois est conseillé." Quant à la franchise associée, l’instauration d’un montant doit prévaloir sur un nombre de jours de carence.

 

La marge brute en référence

 

«"Le principe de la perte d’exploitation est de reconstruire le compte d’exploitation tel qu’il aurait été sans sinistre", explique le président de Cetri. Le calcul intègre la marge brute, mais aussi les tendances commerciales observées lors de la survenue d’un événement. L’indemnité versée ne doit pas se réduire à la comparaison par rapport à l’année N‑1, souligne Patrice Guizard. Il faut tenir compte de la dynamique des ventes et de l’après‑vente. Dans les faits, la marge brute est prise en charge à hauteur de 100 % les premiers mois suivant le sinistre. Elle peut être ensuite dégressive. "La couverture ne se résume pas à la seule perte d’exploitation", remarque encore le courtier. Elle intègre aussi les frais supplémentaires d’exploitation qui peuvent être générés par la location d’un bâtiment, d’un terrain, le transfert d’activité vers un autre point de vente… "L’objectif est de limiter la baisse du chiffre d’affaires et surtout de préserver la clientèle et la continuité des services." En cas de non‑reconstruction, la perte de la valeur du fonds de commerce sera garantie. En détail, la prise en charge des pertes d’exploitation peut prendre parfois la forme d’un forfait mensuel. Il concerne dans ce cas essentiellement les TPE.

 

Pour les structures supérieures, la perte d’exploitation est calculée en fonction de la marge brute (estimée entre 10 et 15 % du chiffre d’affaires d’une concession et jusqu’à 50 à 60 % pour un agent de marque ou un indé‑ pendant). Les ventes de pièces détachées, les fournitures (pneumatiques, lubrifiants…), les véhicules d’occasion… sont pris en considération. Toutefois, la couverture impose aussi aux professionnels de se remettre en ordre de marche ! "En cas de sinistre, notre intervention ne se limite pas à l’exécution contractuelle de nos garanties, précise Cyprien Laubin. Nous coordonnons la reprise d’activité avec les distributeurs, en clarifiant le plan de continuité."

 

Des modèles repensés

 

En pratique, l’assurance professionnelle multirisque reste un incontournable du paysage de la distribution. Et pour cause, les entreprises concentrent l’ensemble des risques possibles : biens et personnes, capitaux, matériels, exposition aux événements naturels, vols, vandalisme… Au regard des investissements des groupes de distribution, il ne serait pas prudent de vivre sans une garantie de perte d’exploitation, avertit Patrice Guizard. "Il ne faut pas renoncer ou faire l’impasse sur des couvertures. En cas de sinistre important, les conséquences seraient trop lourdes à supporter." La stratégie des distributeurs ne doit donc pas être dictée par les seuls montants des primes d’assurance. Elle réside dans une meilleure gestion des risques qui permettra de conserver des garanties optimales à des conditions tarifaires adéquates.

 

"Il vaut mieux prévoir une franchise qui permettra de sortir les petits sinistres des déclarations que la suppression de la couverture d’un risque", estime le dirigeant de Cetri. Toutefois, la réalité conduit les distributeurs à repenser leur approche assurantielle. L’inflation des primes, la sortie des compagnies d’assurance du marché et une réassurance devenue délicate favorisent un nouveau modèle de couverture, à la croisée de l’autoassurance et des franchises élevées. Certains groupes préfèrent également scinder les couvertures entre l’assurance dommage aux biens de l’entreprise (incluant notamment le bâtiment, le matériel, les stocks, l’incendie, la tempête et la grêle…), la responsabilité civile et l’assurance des véhicules.

 

"Les distributeurs sont devenus des industriels de la distribution automobile, avec des actifs immobiliers et des stocks importants à couvrir, explique Patrice Guizard. De tels capitaux supposent une construction spécifique des contrats, sur le modèle des risques industriels." L’approche permet de mutualiser les risques sur l’ensemble du marché de l’entreprise. Elle préserve les garanties, maîtrise les franchises et améliore les primes des professionnels.

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