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“Le brevet est un droit d’interdire”

Publié le 19 mars 2015

Par Frédéric Richard
6 min de lecture
Lavoix nous ouvre les portes d’un monde pour le moins méconnu, celui de la propriété intellectuelle. Bertrand Domenego nous détaille les méandres d’un dépôt de brevet, et explique l’importance de faire appel à des structures spécialisées.
Bertrand Domenego, directeur général en charge de l’activité brevets du cabinet Lavoix

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pouvez-vous décrire brièvement Lavoix et ses prérogatives ?

BERTRAND DOMENEGO. Lavoix a été créé en 1898, et regroupe aujourd’hui 200 personnes. Notre activité est essentiellement centrée sur les problématiques de propriété intellectuelle, qu’il s’agisse de protéger des solutions techniques par des brevets, mais également des marques, des droits d’auteur, des modèles (formes esthétiques). Nous intervenons dans tous les secteurs d’activité, de l’automobile aux biotechnologies, en passant par l’aéronautique… L’un des premiers clients du cabinet fut Peugeot vers la fin du 19e siècle. L’automobile se place donc en secteur très important pour Lavoix. Même si, aujourd’hui, ce sont les équipementiers qui tirent désormais l’activité auto avec, au premier chef, Faurecia.

JA. Pouvez-vous définir le périmètre de vos activités ?

BD. Nous intervenons tout au long de la vie d’un brevet par exemple, de son obtention jusqu’à l’exploitation. En général, les grands groupes, bien structurés autour de la propriété intellectuelle, viennent nous voir avec une invention dont ils ont déjà validé l’intérêt de la protection, en interne. Nous définissons ensuite avec eux le cadre de cette protection. Puis nous établissons le projet de demande de brevet, qui leur est soumis. Par la suite, s’il s’agit d’une forte rupture technologique, le brevet peut donner lieu à une extension de la protection à l’étranger.

Mais nous pouvons également être amenés à gérer d’autres opérations durant la vie d’un brevet. Il peut notamment se voir concédé en licence, servir à des partenariats, ou simplement être utilisé pour éviter qu’un concurrent ne vienne pénétrer un marché. A ce titre, nous disposons en interne d’avocats capables d’intervenir auprès des tribunaux, en cas de contrefaçon par exemple.

JA. Pourquoi de grandes entreprises comme les constructeurs ou les équipementiers font-ils appel à des cabinets extérieurs pour gérer ces problématiques de protection, alors qu’ils disposent d’équipes juridiques en interne ?

BD. Certes, ils possèdent des ressources internes, mais qui ne présentent pas forcément les compétences ou le temps nécessaire pour intervenir sur tous les aspects d’une protection. Pour nous attacher à l’ensemble des problématiques de la protection intellectuelle, nous disposons d’équipes importantes chez Lavoix.
Par ailleurs, les services des constructeurs ou équipementiers abordent le problème de manière plus stratégique, en faisant remonter toutes les innovations en un point central et en décidant ensuite de ce qui doit être ou non protégé, au regard du caractère innovant, de la concurrence… Et ils nous délèguent alors la gestion opérationnelle des brevets. Il faut avoir la capacité de rédiger très rapidement les demandes de brevets, puis les déposer.

JA. Pourquoi se montrer si réactif ?

BD. Pour commencer, quand on dépose un brevet, on n’est jamais sûr de l’obtenir. Chaque organisme (office) chargé des brevets dans les différents pays mène des examens, et chaque pays impose ses propres critères de reconnaissance. D’où l’importance de bien connaître les us et coutumes des différentes zones géographiques, afin de proposer des dossiers collant au plus près des attentes des autorités. Nous pratiquons 3 000 dépôts à l’étranger par an, nous connaissons donc bien les pratiques dans les pays, et nous formons nos personnels en interne, pour tous les pays dans lesquels nous sommes amenés à intervenir. Chaque dépôt demande un investissement, financier ou en temps (traduction, taxes, examens de validation), nous devons donc nous montrer le plus rationnel possible.

JA. Quels sont justement les critères déterminants pour l’obtention d’un brevet ?

BD. Tout d’abord, le produit doit se montrer industrialisable. Par la suite, la notion de nouveauté est évidemment essentielle. On ne peut protéger quelque chose de déjà connu. Enfin, le projet ne doit pas être évident et apporter une véritable différenciation. Si le client le souhaite, nous effectuons des recherches dans les publications techniques et sur tous les supports possibles pour nous assurer que le projet est bien innovant. C’est aussi notre rôle d’alerter le client, en lui expliquant que son projet existe déjà par ailleurs.

JA. Tout est déposable ?

BD. Oui, sous réserve que ce soit nouveau, non évident, technique, et donc pas une idée abstraite. On ne dépose pas une façon de faire de la balançoire ! Ni même un concept de site Web. La voiture autonome en elle-même n’est pas non plus déposable. Ce sont les technologies qui la composent qui le sont. Sur ce sujet, le jeu consiste à trouver et protéger LA technologie incontournable, sans laquelle on ne peut obtenir une voiture autonome.

JA. Qui délivre les brevets ?

BD. L’Europe, comme le continent américain, dispose d’un office de délivrance des brevets. Ainsi, une fois qu’un brevet est délivré au plan européen, il éclate automatiquement en autant de brevets nationaux que de pays que compte l’Union. Après, bien entendu, pour rester valable, le brevet est soumis au paiement d’annuités dans chaque pays. Bien sûr, l’idée maîtresse de tout brevet, c’est qu’au bout d’un certain temps, les ayants droit renoncent à payer les annuités, de sorte que le brevet tombe dans le domaine public et que l’innovation puisse être exploitée par d’autres personnes. La durée de validité initiale d’un brevet est de vingt ans, mais l’expérience montre que les brevets sont en moyenne abandonnés au bout de sept ans.

JA. Comment déterminer le périmètre de protection d’une innovation ?

BD. Un brevet dans un pays interdit la fabrication, la vente, l’exportation, l’importation, la détention du produit concerné. Bien sûr, cela ne sert à rien de déposer dans tous les pays. Il faut surtout verrouiller les bons marchés et, surtout, gérer ensuite son portefeuille de brevets. Aucun intérêt à protéger un alternateur au Guatemala, par exemple. Le marché est trop restreint, personne n’irait fabriquer et distribuer un produit comme celui-là sur place.

JA. Est-il aussi compliqué de déposer un modèle ?

BD. En matière de modèle, en Europe, l’examen est quasi inexistant ou purement formel. C’est-à-dire que vous pouvez enregistrer un modèle communautaire qui va vous protéger dans les 28 pays de l’Union quelques semaines plus tard. On dépose par exemple des différentes vues d’une voiture. En fait, l’office communautaire n’examine pas la nouveauté d’un modèle. En revanche, pour étendre à l’étranger, là, l’examen du critère de nouveauté est incontournable.

Les constructeurs français n’utilisent quasiment pas la protection au titre des modèles. Très peu de modèles sont déposés en France, ou au plan communautaire, par des Français. Alors que VW, par exemple, ou Nissan déposent quasiment tout (formes, sièges, volant…). Les Français se contentent d’une protection franco-française, basée sur les droits d’auteur. Et, comme les modèles ne sont pas déposés, ils ne peuvent se prémunir de l’utilisation de formes approchantes.
 

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