Éditeurs de logiciels : la bataille des titans dans la distribution automobile
L’information est tombée en février 2022. Imaweb vient d’entériner le rachat simultané de trois entreprises, dont deux françaises et une suédoise. Dans un enchaînement de mouvements bien coordonnés, l’éditeur de logiciels pour les concessionnaires automobiles a fait l’acquisition de Midrange Solutions & Services, de Custeed et de FordonsData.
Ainsi, il gagne sur trois tableaux. Le groupe hispano‑français se dote à la fois d’une infrastructure d’hébergement avec le premier, d’une solution de pointe pour la gestion des avis de clients avec le deuxième et d’une part de marché majoritaire sur le marché scandinave des DMS qu’il pénètre enfin avec le troisième.
Une opération qui s’ajoute à une longue liste. Depuis qu’il est né du rapprochement de la société espagnole Imaweb avec le duo d’éditeurs I’Car Systems‑Datafirst, sous la coupe du fonds d’investissement Providence Strategic Growth, le groupe multiplie les rachats. Rappel des événements : il y a eu Esker pour automatiser la facturation, TMS‑Soft pour l’accès au fichier SIV, Procar pour couvrir le marché germanophone, Stieger pour confirmer ses vues sur la Suisse et Stampyt pour la maîtrise des photos de véhicules. Autant d’exemples de l’appétit de titan dont Imaweb fait preuve.
Au total, ce sont 12 reprises qui ont été bouclées en 24 mois. Une cadence qu’on peut qualifier d’industrielle. Nombreux sont les dirigeants de sociétés du digital à confier, d’ailleurs, avoir été pistés par les chasseurs d’Imaweb. De toute évidence, certains acceptent l’offre.
"Pousser dehors les vielles solutions"
Cela jette les bases d’un nouveau monde de l’édition que certains experts avaient vu venir de longue date. Kosi Vuti, directeur conseil et innovation de Midrange Group, prédisait cela à ses clients, les concessionnaires, depuis plusieurs années. Dans nos colonnes, il décrivait une nouvelle structure de plateforme ouverte au sein de laquelle le DMS deviendrait schématiquement "une simple composante".
Voilà où en est Imaweb avec la création en 2021 de NextLane. "Cette interface permet à toutes nos solutions technologiques de communiquer sans nécessiter de lourds développements et donc de construire un environnement fonctionnel pour les utilisateurs", explique Olivier Bisson, nouveau directeur des opérations du groupe Imaweb. Il est vrai qu’en deux décennies, le DMS a perdu de son influence, de son importance. "Dans l’informatique de demain, le DMS va se contenter de faire de la facturation et d’assurer le lien administratif avec le constructeur, expertise un connaisseur du sujet. Ils ne peuvent plus répondre aux besoins fonctionnels et ne sont pas taillés pour assurer les enjeux de mobilité ou de nouveaux modes de consommation de l’automobile."
En devenant toujours plus gros, les éditeurs visent à accompagner les constructeurs et les distributeurs à une plus grande échelle, au‑delà des frontières nationales. Il faut être capable de répondre aux besoins de groupes comme RCM, GCA, BYmyCAR ou LG qui n’hésitent plus à investir chez nos voisins. Encore faut‑il disposer d’une solution consolidée pour éviter l’effet de millefeuille de produits. Nul ne veut avoir à dépêcher des ressources humaines pour reconstituer des tableaux Excel en provenance d’une multitude de DMS. Et le travail effectué en France depuis une décennie s’avère payant à bien des égards. "Les marchés européens sont tous différents, mais la France est en avance sur le phénomène de concentration des réseaux. Nous y préparons donc l’avenir de la distribution automobile", explique Philippe Dressy, directeur commercial d’Imaweb.
Les chiffres traduisent ce mouvement de fond : en France, le groupe affiche une moyenne de 65 postes équipés par groupe client, alors qu’en comparaison, il est encore à 18 postes en moyenne au Benelux, 12 en Allemagne et 4 en Suisse. Il faut dire que les parts de marché sont encore à des niveaux différents.
Reynolds & Reynolds, un coleader bien ancré
Revendiquant 97 % du réseau privé Renault, une présence dans 3 concessions sur 4 de l’ancien périmètre PSA et 30 % des ex‑FCA, mais aussi chez 70 % des concessionnaires Nissan et une conversion de 15 % du réseau Volkswagen France en deux ans aux dépens de Carbase, Eris Informatique et DataCar, l’équipe de Reynolds & Reynolds défend solidement sa position de coleader du marché des éditeurs en France.
À la faveur des bonnes relations entretenues avec la clientèle, la société entrevoit même un moyen de percer sur d’autres segments. À titre d’exemple, le groupe Chopard, qui vient de faire des acquisitions de concessions Toyota dans la région de Saint‑Étienne (42), a commandé une migration des systèmes existants vers ceux de Reynolds & Reynolds. Si l’éditeur n’a signé aucun contrat avec des distributeurs Ford et Mercedes‑Benz, il se projette dans les affaires de BMW.
En effet, le constructeur bavarois a retenu Reynolds & Reynolds, Imaweb, Incadea et Skilliance pour la prochaine période. "Nous débuterons les développements en 2023 et installerons les premiers pilotes début 2024", explique Jean‑Philippe Brosseau, directeur produits de Reynolds & Reynolds France. Ensuite, l’approche sera la même que chez Volkswagen : être porté par les clients pour émerger dans la marque.
Une méthode de travail dont l’éditeur de DCSnet neo espère tirer profit chez un nouveau type de partenaires, à savoir les constructeurs chinois. Son outil DMS est présent officieusement dans le réseau MG Motor. "Nous nous tenons prêts à collaborer avec le constructeur lorsque celui‑ci en fera la demande", reprend Jean‑Philippe Brosseau. Cela peut prendre du temps. Hyundai et Kia l’ont prouvé. Tout comme cela prend du temps de maîtriser le langage et la subtilité de fonctionnement d’un constructeur pour atteindre un niveau de qualité suffisant.
Internationalisation sous condition
"Les constructeurs demandent une multitude d’interfaces et seul le DMS le permet". Les mots du directeur commercial de Reynolds & Reynolds, Christophe Loyez, sont sans équivoque. Pour l’éditeur, il est clair que le DMS reste le cœur du réacteur. Charge aux équipes de faciliter la connexion avec des tiers. "Dans l’absolu, nous privilégions les compétences internes pour développer les nouvelles solutions, comme nous l’avons fait avec le module dédié à la gestion des plateformes PR", explique‑t‑il.
Reynolds & Reynolds est aux antipodes de son grand rival. L’éditeur américain ne cède pas à la tentation des acquisitions en série ou de la délégation à des tiers. "Nous avons ainsi une pleine maîtrise de l’environnement notamment technologique, gage d’efficacité pour nos clients", ajoute‑t‑il. Les changements à venir sont nombreux pour les distributeurs, entre les futurs contrats de distribution et la baisse d’activité à l’après‑vente découlant de l’augmentation de véhicules électriques dans le parc roulant. Reynolds & Reynolds veut donc un environnement le plus flexible pour ses clients. "Maîtriser le périmètre produit reste alors le meilleur moyen", achève d’argumenter Christophe Loyez.
Le géant applique en réalité la même logique dans tous les pays. Chacune des filiales constitue une verticale indépendante en charge de son marché. Il n’est donc pas prévu à court terme pour la branche française de se pencher sur une traduction du logiciel pour aller le distribuer au‑delà des frontières. "Nous restons cependant toujours prêts à accompagner nos clients qui en feraient la demande, intervient Christophe Loyez, à la seule condition d’avoir des perspectives de couverture du marché suffisantes pour financer l’entretien de notre solution et assurer une qualité dans le temps."
Skilliance lorgne le réseau BMW…
L’internationalisation, Christophe Lahitte, le président‑fondateur de Skilliance, y croit. Il a amorcé le mouvement il y a plusieurs années en ouvrant un bureau au Maroc. L’éditeur bordelais se verrait bien investir dans d’autres pays d’Europe désormais. Multilingue, son logiciel, Everlog, est taillé pour la conquête. L’homologation obtenue chez Stellantis par le biais de FCA – un de ses partenaires historiques – pourrait y aider car les contrats sont négociés à l’échelle européenne. Tout comme l’homologation accordée par BMW qui verra l’éditeur être, dès cette année, le premier de la liste à se mettre au diapason pour tenter de gagner très vite une dizaine de concessions françaises.
"Il nous faudra accélérer en 2023, pose Christophe Lahitte. Mais l’achat de parts de marché n’a jamais fonctionné, d’autant plus quand il s’agit d’agréger des entreprises sans aucune forme de cohésion." Il ne va donc pas se tourner vers les fonds d’investissement. Skilliance va privilégier les relations locales et accorder les univers technologiques en étant soutenu par les constructeurs eux‑mêmes.
"Les enjeux des fonds d’investissement sont avant tout financiers et non industriels. Ils n’ont pas d’intérêt à ce que les choses bougent car leur priorité est accordée au bilan financier en vue de la future revente", ajoute à son argumentaire le fondateur de Skilliance. Il n’exclut pas pour autant un rapprochement avec un autre acteur dans une poignée d’années afin de franchir un palier. Aussi rentables soient‑ils, les éditeurs peuvent toujours manquer de pérennité. "Le DMS est indissociable du CRM, partage‑t‑il son expérience, et il faut ajouter une bonne dose d’innovations pour rester globalement compétitif."
…et repense son organisation
Les deux dernières années ont provoqué un véritable changement de paradigme dans l’esprit de Christophe Lahitte. Le président‑fondateur de Skilliance Group a remis à plat son organisation et son rapport aux clients. "L’entreprise s’est adaptée aux mutations induites par la crise", résume‑t‑il ses différentes initiatives. Le groupe bordelais qui sortait d’une série d’investissements multiples pour diversifier ses activités a souhaité jeter les bases d’une relation qui sort de la notion de partenariat opérationnel pour migrer vers une logique de partenariat stratégique. "Nous pensons que la pérennité passera par une relation utilisateur et non plus une relation client", avance Christophe Lahitte. Comprendre que désormais, il s’agit de coconstruction avec les groupes de distribution équipés du DMS d’Everlog.
Au jeu du "push" et du "pull", c’est clairement la seconde approche qui s’impose maintenant et l’éditeur fait pencher la balance en faveur des remontées du terrain. Un choix assumé qui n’est pas sans conséquence sur la constitution des équipes. Skilliance a réduit le nombre de commerciaux pour embaucher des responsables du développement, dont la formation les rend plus aptes à inscrire l’entreprise dans cette relation partenariale.
En termes de solutions, Skilliance a aussi pris le virage des data. Au travers d’Everlog ou même de Select’up, l’outil de gestion de la relation client, Christophe Lahitte ne jure plus que par l’exploitation des données au service des concessionnaires. "Elles doivent venir en tout temps et en tout lieu éclairer les dirigeants et les services marketing dans leurs prises de décisions stratégiques et commerciales, répète à l’envi le président de la société d’édition de logiciels. Il y avait trop d’éparpillements entre les DMS, les outils CRM et les plateformes CRM des constructeurs."
Le DMS Everlog va s’employer à ce que la connaissance des clients soit la plus complète et la plus précise. À titre d’exemple, celui qui se présente comme la troisième force tricolore du secteur a créé les passerelles pour connecter le référentiel client au fichier des immatriculations (SIV). Il aspire ainsi à offrir plus de visibilité sur le patrimoine automobile des clients qui passent les portes de la concession.
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