Guillaume Couzy, Stellantis : la performance sera le moteur des nouveaux contrats de distribution
Journal de l'Automobile : Quel sera l'impact en terme de nombre d’investisseurs et de points de vente de la résiliation des contrats de distribution ?
Guillaume Couzy : Dans notre stratégie, nous souhaitons avoir la possibilité de consolider nos partenaires dont le nombre sera inférieur à celui que l’on connaît aujourd’hui. L’idée est de proposer à certains de nos partenaires plus de marques et plus de volume de business. Mais le nombre n’est pas encore quantifié. Concernant les points de vente, je dois préciser que l'interprétation est souvent erronée. Nous n'allons pas diminuer le maillage, ni les contacts physiques avec les clients. Nous allons avoir un modèle de distribution qui va proposer une empreinte immobilière réduite sans baisser le nombre de contacts. Par exemple dans une ville, deux investisseurs de marques seront regroupés sur un même site sans pour autant réduire le nombre d’adresses commerciales. Ce sera juste la rationalisation de la présence de ces marques au sein d’un même site.
J.A. : Quel sera l’impact de cette réorganisation sur le personnel au sein des concessions ? Estimez-vous qu’il y a aura beaucoup de suppressions d’emplois ?
G.C. : Dans un premier temps, il n’y aura pas d’impact du tout sur le nombre de personnel. Sans doute sur le nombre de mètres carrés mais pas sur l’emploi. Si le volume de business augmente dans atelier grâce à la multiplication des marques au sein d’un même point de vente, les besoins en terme de mécaniciens, par exemple vont augmenter. Le sujet de l’emploi à court terme n’existe pas. A moyen terme, peut-être, mais ce ne sera pas lié au nombre d’investisseurs mais sera plutôt au modèle de distribution qui va évoluer. Le rôle des commerciaux va également changer parce que le parcours du client change. Mais je ne vois pas de relation directe entre notre annonce et l’emploi. Il faut faire attention à une fausse idée qui circule et qui annonce que nous ne voulons voir qu’une seule tête et faire le supermarché de l’automobile. Ce n’est pas du tout cet esprit. Un investisseur ne représentera pas toutes les marques sur une région donnée. Ce n’est pas possible de mettre les 8 marques du groupe au sein d’une même entité. Nous serons amenés à intégrer plusieurs marques basées sur des sites différents et donc sur une empreinte immobilière plus raisonnable mais sans impact sur les équipes. L’idée est de booster le business et non de le diminuer.
J.A. : Peut-on imaginer des regroupements par typologie de marques ?
G.C. : Deux réponses possibles. On va fonctionner de façon ultra pragmatique et donc notre souhait est d’évaluer les opérateurs et les partenaires les plus performants et ceux qui ont la volonté de se développer dans les marques du groupe. Tout dépendra de la situation existante qui est la performance des opérateurs. Nous n’avons pas de dogme en la matière. Mais bien sûr, je vous rejoins dans le fait que certaines associations sont plus complémentaires que d’autres. Carlos Tavares l’a annoncé en présentant le portefeuille des marques sur divers axes : des marques généralistes core avec Fiat et Citroën, plus haut de gamme avec Peugeot et Opel et des marques premium comme DS et Alfa Romeo. Il vaut mieux chercher de la complémentarité avec certaines tranches de prix et différentes segmentations de clientèles. Ce sera sans doute un mix de ces deux facteurs.
J.A. : Baisser l’empreinte immobilière signifie-t-il que les investissements faits par les distributeurs auront été inutiles ?
G.C. Attention car il ne faut pas oublier non plus que des marques qui sont moins représentées comme DS, Jeep ou Alfa Romeo peuvent avoir des opportunités d’aller dans des endroits où elles ne sont pas présentes aujourd’hui et donc augmenter leur maillage territorial dans le cadre de bâtiment existants. Sans doute, il y aura une partie de transactions qui se fera avec des opérateurs qui ne resteront pas et ceux-là devront effectivement vendre leurs affaires. Mais il y a toujours des opportunités pour l’immobilier.
J.A. : Certains distributeurs craignent un traitement de faveur pour les opérateurs Peugeot, dont la marque possède près de 19 % de part de marché en France et les autres distributeurs. Pouvez-vous les rassurer ?
G.C. C’est une préoccupation que l’on ressent aussi. Mais je peux vous assurer que seule la performance protège. Globalement, nous allons juger la performance dans la marque représentée. Tous les opérateurs doivent avoir des opportunités de développement au sein du groupe. C’est une crainte aujourd’hui parce que le réseau Peugeot est sans doute le plus structuré et qu’il enregistre le plus de ventes. Mais justement, c’est peut-être celui qui a le moins besoin de diversification pour préserver un business pérenne et rentable. Ce sont plutôt les autres réseaux qui devront consolider leur volume pour arriver au point mort. Cet argument doit être de nature à les rassurer. Ce ne sera pas les grands groupes contre les petits mais les performants contre les autres. Faisons des champions régionaux de nos marques.
J.A. : Pourquoi avoir décidé de résilier les réseaux avant même de connaître le nouveau règlement européen ? La décision de la Cour suprême des cartels en Autriche a-t-elle joué un rôle dans cette résiliation en avance ?
G.C. Pas du tout. C’est un sujet d’entreprise hyper structurant et nous travaillons sur ce sujet depuis plus d’un an. Nous n’avons pas pris de décision sur un épiphénomène comme celui-là. Le timing est complètement différent. Nous aurions pu donner un préavis d’un an mais nous avons choisi deux ans pour prendre du temps et travailler avec notre réseau. C’est de l’anticipation pour construire quelque chose qui doit être bénéfique à toutes les parties. La hausse des contraintes réglementaires, l’électrification forcée qui nous amène à dire que nous aurons 70 % de nos ventes en véhicules électrifiés, les changements de comportement du consommateur dans son parcours, qui mélange le physique et le digital… tout ça va nous conduire à un très fort changement et il est plus sain de l’anticiper avec notre réseau pour les dix ans à venir que d’attendre le dernier moment.
J.A. : Vous trouvez que cette décision de la justice autrichienne est un épiphénomène ?
G.C. Absolument. C’est une décision liée à la politique commerciale en Autriche. Et nous estimons qu’elle n’a aucune chance d’avoir des conséquences dans d’autres pays. C’est un sujet de politique commerciale et non de contrat.
J.A. : Qu’est ce qui va définir la performance : la part de marché locale ? La satisfaction client ?
G.C. Nous disposons de deux indicateurs majeurs. Le premier repose sur la performance commerciale avec la part de marché en local, sur les ventes à particulier et la réalisation des objectifs sur son territoire. Le second concerne le niveau de qualité de service donnée aux clients.
J.A. : Et donc les enquêtes de satisfaction client ?
G.C. Beaucoup de choses sont intégrées : la qualité de service au client, le respect des standards, la e-réputation… tous ces éléments sont pris en compte.
J.A. : Le groupe Stellantis évoque régulièrement les coûts de distribution allant jusqu’à 30 % mais qui englobent bien plus d’éléments que la distribution seule. Que pèse véritablement la distribution dans le coût d’un véhicule ?
G.C. : Vous avez raison. Ces 30 % sont la somme de tout ce qui est l’ensemble de la rémunération du réseau, la négociation et les remises aux clients. Le chantier n’est pas univoque, il est assez complexe. Je ne peux pas vous donner de chiffre aujourd’hui car c’est justement le travail qui nous attend jusqu’au début de l’été avec des représentants du réseau. Nous allons évoquer tous ces sujets même si nous avons des idées en tête. Et nous allons soumettre des scenarii à nos distributeurs pour réfléchir et construire ensemble ce modèle de distribution. Tout est sur la table.
J.A. : Quelle importance prendra la vente en ligne dans la commercialisation des marques ?
G.C. : La vente en ligne ne va pas structurer notre réseau physique car comme je vous le disais, notre sujet n’est pas le maillage mais l’empreinte immobilière. Je suis convaincu que l’opposition entre les ventes physiques et en ligne n’a pas de sens car le parcours client n’est jamais purement physique, ni purement digital. Même quand il achète une voiture 100 % en ligne, le client aura envie de l’essayer ou bien qu’on la lui livre ou il devra l’entretenir dans le réseau. Il faut juste que l’on s’adapte à chaque scenarii du parcours. En revanche, nous devons proposer des plateformes digitales aux clients qui souhaitent avoir une démarche 100 % en ligne ou mixte mais qui soient fluides pour qu’ils aient la meilleure expérience. Ce n’est pas un processus on-off. Aujourd’hui, nous avons besoin de l’ensemble des forces de vente du réseau. Concernant la part de ventes en ligne, je doute que le volume dépasse les 30 % dans les 5 à 10 ans.
J.A. : Peut-on imaginer des contrats différents par marque ou est-ce un contrat groupe ?
G.C. : Ce point fait partie des choses qui sont possiblement sur la table mais qui ne sont pas encore décidées. Nous avons l’intention de soumettre un certain nombre de scenarii aux réseaux pour regarder avec eux l’ensemble des possibilités, les avantages et les inconvénients et voir ensuite vers quoi on se dirige.
J.A. : Quelles sont les conséquences pour le réseau secondaire ?
G.C. Nous avons des contrats de réparateurs agréés en direct avec les agents, qui sont résiliés, au même titre que les contrats du réseau. Et du fait de la résiliation des contrats VN, ceux des agents sont également résiliés. Une fois dit, en réalité, pour les agents, nous n’avons pas volonté de baisser le maillage territorial, qui est adéquat. Notre parc automobile à entretenir est très important et les agents pourront postuler à un nouveau contrat de réparateur agréé puisque nous conservons une distribution sélective qualitative. Notre volonté est de revoir à la baisse des exigences dans les contrats pour en diminuer les coûts.
J.A. : Les standards vont donc être revus à la baisse ?
G.C. Absolument. Nous, constructeur, devons aussi faire le ménage devant notre porte. Nous devons dire quel est le bon niveau exigé pour nos distributeurs en terme de standards de façon à limiter leur coût. Il n’y aura pas de risque pour un réparateur agréé.
J.A. : Pouvez-vous donner des exemples de moindres exigences ?
G.C. L’empreinte immobilière est un sujet essentiel. On voit qu’aujourd’hui, le modèle de distribution repose sur une surface, une exposition. Mais on pourrait dire que pour une marque généraliste, le maximum de véhicules exposés ne doit être que de 5 véhicules par exemple et donc que la surface doit être moindre.
J.A. : La rémunération du réseau sera-t-elle aussi abordée lors de vos discussions ?
G.C. Le sujet sera abordé forcément car l’objet est de trouver un modèle de distribution qui soit pérenne et rentable dans un contexte où les marges VN sont en tension.
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