"Depuis plus de cent ans, nos véhicules sont sous-utilisés pendant plus de 95 % du temps. Cela va changer !"
Dans une carrière riche et qui ne vous a pas mené immédiatement à l'automobile, quels principaux jalons mettriez-vous en avant ?
Diplômé d'une formation d'ingénieur "Electrique/Electronique", je me suis dans un premier temps orienté vers l'industrie, en travaillant notamment beaucoup sur les convertisseurs électroniques de commande des moteurs électriques. Je n'ai donc rejoint l'automobile qu'à l'orée des années 90, dans le fil de l'émergence des nouvelles énergies et notamment du véhicule électrique. Chez PSA, nous avons donc lancé les Saxo, 106, Partner et Berlingo électriques dans une réelle effervescence, même si l'aventure a ensuite tourné court. Par la suite, j'ai été détaché durant deux ans au Ministère de la Recherche où j'ai acquis une vision plus européenne des enjeux et des problématiques des transports J'ai d'ailleurs réintégré PSA avec une fonction plus européenne et j'ai lancé l'initiative de recherche EAST-AEE qui s’est concrétisée par le standard Autosar. C'est allé très vite ensuite car il n'y a eu que six ans entre le concept et la réalité de grande série pour les architectures open source modulaires. Et j'ai ensuite rejoint la direction des Affaires Publiques du groupe.
Comment vous définiriez-vous en quelques mots ?
Je me définis volontiers comme un visionnaire pragmatique. "Pas la peine de faire ce qui ne marche pas" figure parmi mes devises favorites !
Vous évoquiez les véhicules électriques des années 90 de PSA et nous pourrions aussi parler du novateur projet Tulip, mais à cette période l'opinion publique était peu sensibilisée aux enjeux environnementaux : vingt ans plus tard, l'état d'esprit a-t-il considérablement évolué ?
Dans les années 90, le véhicule électrique avait aussi le vent en poupe en France. D'ailleurs, le projet Tulip, qui réinterprétait la mobilité urbaine et se posait en vecteur de mutualisation des véhicules, s'est ensuite concrétisé à La Rochelle par le service Liselec et existe encore aujourd'hui. Mais d'une manière générale, vous avez raison, le contexte n'était pas le même. Tout d'abord, le rapport au pétrole et à la notion d'indépendance énergétique n'est plus du tout le même. Par ailleurs, dans les années 90, nous n'étions pas nombreux à nous engager dans cette voie alors qu'aujourd'hui, tous les constructeurs y vont ou s'y préparent. De plus, la technologie des batteries s'est améliorée et les coûts vont diminuant. En outre, nous traitons désormais une plus grande partie des usages avec le VE et les compromis technologiques sont moindres. Attention, je ne dis pas que le VE couvre tous les usages et je crois que ce serait une grande erreur de vendre un véhicule de ce type pour ce qu'il ne sait pas faire. Mais l'autonomie a tout de même significativement progressé, par exemple. Et au final, l'équation économique d'usage est devenue beaucoup plus rationnelle. Sans même parler de l'incontestable plaisir d'usage.
Par conséquent, diriez-vous qu'un nouvel échec du déploiement du VE n'est cette fois guère envisageable ?
Je pense effectivement que les probabilités d'un échec sont très faibles. Surtout qu'au-delà de toutes les raisons que je viens d'évoquer, il faut aussi prendre en compte le fait que l'engagement de l'Etat français, et des états en général, est plus fort. Ce qui n'avait pas toujours été le cas par le passé… On peut donc considérer que le VE est dans une phase porteuse et qu'il va trouver sa juste et vraie place.
On entend très régulièrement que le VE est taillé sur mesure pour la ville, mais n'est-il pas aussi idoine dans un environnement rural ?
Le véhicule électrique ne peut pas être limité aux usages urbains. Il est aussi adapté aux besoins de mobilité en banlieues et à la campagne, notamment parce que l'accès à la prise y est beaucoup plus simple.
Parmi les autres réflexions binaires associées au VE, on entend aussi souvent qu'il s'adresse prioritairement au marché des flottes : qu'en pensez-vous ?
L'achat d'un véhicule électrique constitue manifestement un achat différent. En effet, on ne raisonne plus en coût d'achat à proprement parler, mais en TCO. Or, le TCO, c'est le mode de pensée des flottes depuis plusieurs années déjà. Le cheminement vers le VE est donc plus naturel pour les flottes et les commandes actuelles en témoignent. Cependant, cela ne signifie nullement que le VE n'est pas adapté à la clientèle des particuliers. Ces derniers y viendront en l'essayant, c'est là un point essentiel. Dans cette optique, des dispositifs comme Autolib' sont positifs car les usagers essayent vraiment les véhicules dans des conditions d'usage réelles. Ce sera un travail de longue haleine, mais nous sommes bien arrivés au stade du marché. L'offre de produits est là ; les technologies développées sont adaptées à certains usages. Bref, il faut dépasser les expérimentations et y aller vraiment.
Ne pensez-vous pas que la prochaine introduction de VE premium allemands va servir l'ensemble des VE, en leur donnant une image plus attrayante, loin du cliché de la voiturette de golf qui a encore la peau dure ?
J'abonde dans ce sens. Les marques Premium vont élargir la dimension du plaisir liée au VE. Ce plaisir émane de la sensation de glisse, de la franchise des accélérations et de la valeur du silence. On en revient aussi à l'importance de l'essai des véhicules.
Pensez-vous que le développement des infrastructures de charge va dans le bon sens ?
Les infrastructures sont clairement indispensables pour le développement du VE ! Il faut donc accélérer le mouvement, notamment pour les rendre visibles dans l'espace public, afin de rassurer les utilisateurs potentiels. Les dernières annonces du gouvernement vont dans le bon sens.
Alors que c'est une fonction très chronophage, pourquoi avoir brigué la présidence de l'Avere France ?
Honnêtement, je me suis dit que nous n'avions pas réussi à amener le VE à sa juste place une première fois et que nous avions là une opportunité unique de réussir. Ce ne serait pas seulement une satisfaction personnelle, entendons-nous bien, mais une immense satisfaction pour tous les acteurs de la filière. En outre, l'Avere était à un tournant de son histoire et cherchait un profil à la fois technique et gestionnaire. Vu ma carrière et compte-tenu du fait que j'ai aussi dirigé une PME, je pense que j'avais le profil idoine.
Pour conclure, au-delà du seul VE, comment imaginez-vous la, ou plutôt les, mobilités de demain ?
Depuis plus de cent ans, nous sous-utilisons nos véhicules plus de 95 % du temps. Cela va changer et le choix du véhicule va à l'avenir s'opérer en fonction de l'usage principal. Ce qui importe, c'est de proposer pour chaque client le véhicule qui répond le mieux à ses usages. Avec les économies d'énergie et l'écologie en fil directeur bien entendu. Nous nous orientons donc vers une mosaïque entre thermiques, hybrides, hybrides rechargeables, VE et véhicules à PAC. L'autre évolution majeure résidera dans le passage à une mobilité servicielle.
Comme certains le prédisaient déjà il y a quelques années, la PAC peut-elle mettre tout le monde d'accord, entre guillemets ?
A court terme, non. C'est beaucoup plus complexe qu’il n'y paraît. L'hydrogène est avant tout un vecteur d'énergie et selon que vous choisissez l'électrolyse de l'eau ou le reformage du gaz naturel, vous ne parvenez pas au même bilan environnemental global. En outre, le problème du coût doit encore être levé. Nous y verrons sans doute plus clair en 2020.
Article écrit pour la Newsletter du véhicule électrique - Collaboration Avere-France - Journal de l’Automobile
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