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"L'introduction du VE se fait sur des temps record !"

Publié le 17 octobre 2012

Par Alexandre Guillet
7 min de lecture
Romain Beaume, Chaire Management de l'Innovation de l'Ecole Polytechnique et directeur de l'Institut de la Mobilité Durable (Renault-Paris Tech) - Une tête bien faite et un souffle de jeunesse : Romain Beaume nous explique sa vision, à la fois précise et exigeante, de la mobilité durable et pourfend au passage quelques idées reçues sur la supposée lenteur du développement du VE.
Romain Beaume, Chaire Management de l'Innovation de l'Ecole Polytechnique et directeur de l'Institut de la Mobilité Durable (Renault-Paris Tech) - Une tête bien faite et un souffle de jeunesse : Romain Beaume nous explique sa vision, à la fois précise et exigeante, de la mobilité durable et pourfend au passage quelques idées reçues sur la supposée lenteur du développement du VE.

Pouvez-vous nous rappeler votre itinéraire, déjà fort riche malgré votre jeune âge ?

Diplômé de l'Ecole Polytechnique et ingénieur au Corps des Mines, j'ai toujours été passionné par l'innovation. Durant mes études, j'ai eu l'occasion de faire deux stages, à Snecma Moteurs et au Crédit Agricole et entre 2006 et 2009, je me suis orienté vers l'enseignement de la gestion de l'innovation. J'ai eu alors une première occasion de travailler dans le cadre de la Chaire Management de l'Innovation de l'Ecole polytechnique et parmi d'autres choses, j'ai traité des sujets sur l'industrie automobile en général et le véhicule électrique en particulier. Nous avons notamment mené une étude comparative entre 9 constructeurs sur leur approche et leur gestion de l'innovation[1]. J'ai ensuite été appelé à rejoindre le ministère en charge de l’économie, toujours dans le périmètre de l'innovation, de façon plus transverse, mais aussi plus opérationnelle, en m’occupant du bureau des politiques d’innovation et des technologies à la DGCIS.

Avant de revenir plus directement à l'automobile via la Chaire Management de l'Innovation et l'Institut de la Mobilité Durable ?

Tout à fait, depuis 2011, je partage mon temps entre la Chaire Management de l'Innovation, où j'enseigne, et l'Institut de la Mobilité Durable, qui fut créé par Paris Tech et Renault, à l’initiative de sa direction RSE. Dans ce cadre, nous travaillons et menons des recherches sur la mobilité durable, dont le VE. Il s'agit d'animer des équipes de recherche et de bien orienter les travaux vers des objectifs identifiés. C'est riche car l'Institut concerne, certes pas à temps plein, une cinquantaine de personnes chez Renault et une autre cinquantaine à Paris Tech.

A partir de quel moment y a-t-il eu un net point de connexion entre innovation et mobilité durable, sachant que cette dernière était encore très évanescente il y a encore 8 ou 10 ans ?

C'est vrai que lorsque j'étais sur les bancs du lycée, mon goût pour l'innovation me portait vers d'autres secteurs que ceux de la mobilité et de l'automobile. Je crois que le déclic a eu lieu dans la période 2006-2009 que j'évoquais précédemment. L'industrie automobile était alors soumise à des contraintes extraordinaires et elle a réussi à muter. Contrairement à ce qu'on entend souvent, cette industrie sait évoluer. Elle l'a fait en 1910 avec la production de masse, plus tard avec le multimarquisme dans les groupes, plus tard encore, après la seconde guerre mondiale, au niveau de la qualité, sous l'impulsion de Toyota et, plus récemment, avec la forte accélération de l'offre de produits. Et une fois qu'on touche à ces problématiques, passionnantes et stimulantes intellectuellement et humainement, on n'en sort plus ! Surtout que l'innovation est plus que légitime dans ce territoire. Aujourd'hui, les enjeux proposés à l'industrie automobile sont multiples, entre durabilité, avec la question environnementale, et utilité sociale, à savoir la réinvention de la mobilité. Et il y a aujourd'hui une forte convergence entre innovation et durabilité pour l'automobile.

Plus précisément, quel regard portez-vous sur le véhicule électrique, souvent surmédiatisé et dont le marché peine à prendre son envol ?

Je crois qu'il faut savoir prendre du recul. En effet, la communication sur le VE a été forte entre 2006 et 2009, alors qu'il n'y avait pas ou très peu de produits disponibles, car il s'agissait de préparer le terrain. Ce qui est tout à fait légitime si vous avez une vision à long terme. Par ailleurs, il faut prendre en compte que les temps de développement sont longs dans l'automobile, contrairement au domaine de l'électronique grand public par exemple. Cette communication avait pour but de mettre en place un écosystème global. Or, au-delà du produit, le VE fait appel à des enjeux multiples : convaincre en interne, expliquer au sein même des groupes concernés que cela fait sens, et convaincre en externe, au niveau des Etats, par rapport à la législation, aux aides, etc., et au niveau du consommateur et de l'opinion publique.

Est-ce à dire qu'il y a déjà eu beaucoup de chemin parcouru ?

En voyant plus loin que les seuls tableaux d'immatriculations, j'estime que oui. D'ailleurs, beaucoup d'engagements, produits, concepts novateurs, etc., pris vers 2006-2007 ont été menés à leur terme. Regardez le Mondial : il y a aujourd'hui une vraie gamme électrique chez plusieurs constructeurs. Que tout n'ait pas été couronné de succès est somme toute logique. Et il est aussi normal qu'une innovation de rupture suscite du scepticisme. Il est toujours long de battre en brèche les habitudes. Aujourd'hui, nous sommes dans une phase classique avec des early adopters, des sceptiques et des gens encore peu informés. Mais au global, l'introduction du VE se fait sur des temps record ! Vous le constaterez si vous faites un parallèle avec les hybrides et que vous remontez au lancement du programme Prius en 1993. De surcroît, un écosystème, certes perfectible, s'est mis en place et tout est réuni pour que les choses s'accélèrent. Là encore, ce n'était pas du tout la même chose en 1997, quand Toyota prêchait un peu dans le désert…

Quand on parle de mobilité durable, on a parfois la sensation que bien des experts vont plus vite que la musique, en parlant de smart-grids par exemple, alors qu'on sait notamment que le taux de renouvellement de l'habitat est très lent… Qu'est-ce que cela vous inspire ?

La mobilité durable couvre plusieurs champs. L'objet, la manière de le fabriquer et la manière de l'utiliser. Aujourd'hui, force est de constater que le rythme du changement est élevé dans l'automobile, à bien des niveaux, optimisation des moteurs thermique, hybridation, VE… Parallèlement, l'industrie automobile tend à se coordonner avec d'autres secteurs, dont l'habitat. Cela va dans le bon sens, mais cela s'inscrit aussi naturellement dans le long terme. En fait, l'automobile vient se placer au carrefour de plusieurs secteurs et tous n'ont pas les mêmes temps de cycles. Donc, il faut savoir être patient. Et dans le domaine de l'utilisation de l'objet, les choses vont plus vite, en lien avec les progrès de la télématique et de la téléphonie, domaines où les cycles sont plus courts. Le partage des véhicules se développe, comme les calculs d'itinéraires, par exemple. C'est très prometteur car le champ de l'innovation est vaste et couplé à des cycles rapides.

On a parfois le sentiment diffus que la mobilité durable est une affaire de "vieux" pays, mais que les pays à forte croissance n'en ont pas vraiment cure, est-ce exact ?

La question se pose avec acuité à l'échelle mondiale car le développement de l'automobile crée des tensions nouvelles, notamment sur les matières premières. Aujourd'hui, nous sommes dans une période de latence, mais il ne faut pas voir les choses négativement. D'une part, parce que certains pays ont déjà innové, comme le Brésil avec le bio-éthanol par exemple, et d'autre part, parce que d'autres pays, comme la Chine notamment, ont tout intérêt à développer le VE. En l'occurrence pour des questions d'indépendance énergétique et de bonne utilisation de leurs ressources telles les terres rares. Bref, je suis optimiste, car nous n'avons de surcroît pas vraiment le choix. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la capacité d'innovation des pays dits émergents. Un seul exemple : le paiement par mobile se développe principalement par le biais de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est. Enfin, il ne faut pas avoir peur et ne pas raisonner à périmètre fixe, car c'est ça qui mène les économies à l'impasse.

Le mot de la fin ?

D'un point de vue plus personnel, je soulignerais volontiers que nous sommes dans un contexte d'innovation de rupture et que cela ouvre des possibilités pour réinventer les relations entre les entreprises, l'enseignement supérieur et la recherche. R&D, Fondations, RSE…de nouveaux outils permettent en plus d'aller au-delà des préoccupations à court terme des groupes. Bien exploité, cet écosystème peut devenir un facteur de compétitivité pour la France. Ce n'est pas ce qui fera revenir des usines, entendons-nous bien, mais cela peut générer une grande force d'innovation.

 


[1] "Réenchanter l'industrie par l'innovation - L'expérience des constructeurs automobiles", 2012 Midler, Beaume et Maniak, éd Dunod

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