Dis, Toto, c’est loin l’électrique ?
Se référant à l’étude “eVech, du concept à l’achat”, Bertrand Delain, associé conseil responsable du secteur Manufacturing chez Deloitte France, indique que “les Européens sont bienveillants vis-à-vis des nouvelles motorisations : deux tiers d’entre eux manifestent un réel intérêt pour ces solutions, dont le VE, et 16 % seraient même prêts à sauter le pas dès aujourd’hui”. Cependant, l’étude portant sur sept pays européens, des différences sont mises à jour et on apprend que le meilleur accueil du VE est réservé par les pays du Sud (Italie et Espagne), tandis que les Français sont les plus sceptiques !
Un paradoxe de plus, dans la mesure où la France est identifiée par les principaux analystes mondiaux comme l’un des trois marchés majeurs du VE à moyen terme, avec les Etats-Unis et la Chine. Au chapitre des principaux freins qui viennent entraver une adoption plus massive du véhicule électrique, pas de surprise, avec un triptyque qui se décline comme suit : l’autonomie, le prix d’achat et le temps de recharge. Certes, plus de 80 % des automobilistes font moins de 80 km par jour avec leur voiture en semaine, mais ils restent toutefois 74 % à réclamer une autonomie minimum de 480 km. Un hiatus qui rend la position du VE difficile à tenir…
Au niveau du temps de recharge, la communication sur les bornes rapides semble avoir eu un effet à double tranchant, car un quart des sondés de l’étude jugent que l’opération ne doit pas excéder trente minutes. Et ils ne sont qu’un petit tiers à accepter un temps de charge supérieur à deux heures. On peut, certes, avancer l’hypothèse que ces freins seront levés assez aisément à l’usage, mais encore faut-il qu’il y ait usage. Et cela reste une hypothèse…
Le prix, ennemi public n° 1 du VE
Reste l’épineux problème du prix ou, plus exactement, du surcoût que le client accepte d’assumer pour s’offrir une nouvelle technologie : 57 % des clients ne tolèrent aucun surcoût. Ils sont environ 30 % à envisager un surcoût acceptable entre 400 et 1 500 euros, et 10 % à accepter un surcoût de 2 300 euros ou plus. “50 % des automobilistes se détournent clairement du VE à cause de son coût, mais on peut aussi relever qu’ils sont 66 % à être prêts à reconsidérer leur position si le tarif des carburants traditionnels venait à dépasser la barre des deux euros”, met en exergue Bertrand Delain, avant d’ajouter : “La consommation des véhicules traditionnels a aussi un impact important sur la perception du VE. Et au-dessous de 4,7 l/100 km, il est difficile au VE de trouver sa place”. Guy Maugis, président de Robert Bosch France, ne dit pas autre chose : “Nous avons fait et ferons encore des progrès significatifs sur les motorisations thermiques, à des coûts acceptables par l’ensemble de la filière. Dès lors, attention, car à un certain stade du rapport coût / performances environnementales, on peut se demander comment les nouvelles technologies vont pouvoir rivaliser…”
A court terme, le “géant” devrait rester dans une niche
Sur la base de ces différentes observations, Bertrand Delain affirme que Deloitte estime que seulement 1 à 2 % des consommateurs franchiront le pas du VE à court terme. En outre, le potentiel des premiers adoptants est seulement estimé à 16 % des automobilistes. Ayoul Grouvel, directeur des Véhicules Electriques de PSA Peugeot Citroën, reconnaît volontiers la difficulté d’établir des prévisions fiables à court terme. “La feuille de route qui nous conduit à l’électrification n’est pas claire ! En 2020, on sait grosso modo ce que sera le parc de VE, mais dans l’espace intermédiaire qui nous sépare de cette date, il n’y a guère de certitudes. Surtout que l’ampleur du développement du VE dans cet intervalle dépend aussi de celui d’autres nouvelles technologies, dont l’hybridation Diesel et l’hybride rechargeable.” En élargissant la réflexion au-delà de l’écosystème automobile, on peut aussi envisager que la tendance du développement d’une conscience écologique dans l’opinion publique pourrait avoir pour conséquence un essor des mobilités dites de substitution, comme le vélo ou les transports en commun par exemple. Dans cette hypothèse, le marché adressable du VE se réduirait, concède d’ailleurs Bertrand Delain.
Se méfier des effets d’annonce…
Le prix restant le principal frein à l’adoption du VE, Jean-Richard Randé, porte-parole d’Opel, ajoute un élément de prudence dans le calendrier qui nous sépare de 2020, battant en brèche certains effets d’annonce : “On entend beaucoup parler d’une diminution spectaculaire du prix des batteries. Ce sera le cas, car l’effet d’échelle est en effet déterminant dans notre industrie. Mais il ne faut pas pour autant en déduire que cela se produira dans les deux ou trois années qui viennent. Les cycles et les programmes industriels restent longs.”
A l’écouter, si on prend l’exemple “maison” de l’Ampera, les tarifs ne sont pas appelés à baisser à court terme et il faudra vraisemblablement attendre la seconde génération du modèle pour constater une avancée dans le prix d’accès. Pour Didier Blocus, responsable du développement des véhicules électriques pour ALD Automotive France, il convient de ne pas tirer de conclusions définitives, dans un sens ou dans un autre, et de laisser du temps au temps : “D’une part, il ne s’agit pas de faire table rase du passé, mais d’implémenter un nouveau type de motorisations et, d’autre part, une nouvelle technologie ne s’impose quasiment jamais en un claquement de doigts.” Il se veut réaliste : “Le coût total de détention d’un VE n’est toujours pas identique à celui d’un véhicule thermique, même en tenant compte des aides. En revanche, le doute qui planait sur les valeurs résiduelles tend à s’estomper et il n’y a pas de décalage avec les modèles traditionnels.” Ayoul Grouvel souligne aussi ce dernier point, mais regrette qu’il ne soit pas encore pleinement reconnu sur le marché.
2012 : convergence et premier tremplin ?
Mais au final, plusieurs experts estiment que 2012 pourrait marquer une première phase de décollage pour le VE, au moins en France. Primo, même si le projet n’est pas exempt d’imperfections, Autolib va permettre à un nombre important de personnes de tester un véhicule électrique et, ainsi, de mesurer ses atouts. Ce sera de plus, à n’en pas douter, une formidable caisse de résonance médiatique. Un recalé de l’appel d’offres, qui ne comprend toujours pas bien la décision en faveur de Bolloré, reconnaît toutefois que le VE et plusieurs métiers qui lui sont associés ont tout intérêt à ce que le dispositif soit un succès populaire.
Secundo, l’effet Ugap va pouvoir se produire, avec les premières livraisons programmées et l’exploitation des VE qui s’ensuivra. Là encore, on pourra voir et entendre, entre guillemets, les VE et, par extension, expérimenter leurs avantages. Enfin, Renault va - enfin… - entrer dans une phase commerciale opérationnelle. Si la Fluence sera confidentielle, l’accueil du Kangoo ZE et l’orchestration du lancement de Zoe seront intéressants à suivre. Bref, même s’il ne faut pas s’attendre à un raz-de-marée commercial, Yves Leichtnam, directeur Energie et Logistique d’ADP, note que “beaucoup de choses ont évolué ces derniers mois et que 2012 pourrait donc bien marquer un premier tournant pour le VE, surtout que certaines aides ont été reconduites récemment”. C’est l’un des éléments clés soulevés par l’étude de Deloitte : “Le consommateur n’est pas prêt à payer un supplément pour un VE, ce qui veut dire que les mesures incitatives telles que les réductions et exonérations d’impôts et versement de primes continueront à être déterminantes dans la décision d’achat.” Ayoul Grouvel appelle d’ailleurs de ses vœux le maintien des aides dans une perspective à moyen terme, par exemple un horizon 2015 ou 2016, en avançant que “le risque financier est pris par les seuls constructeurs”, ce qui reste discutable.
Batteries : un hiatus recherche / industrie…
Jean-Louis Legrand, coordinateur interministériel du plan véhicules décarbonés au MEEDDM, s’attarde précisément sur le dispositif ternaire mis en œuvre par le gouvernement pour soutenir la R&D (Predit, Ademe…), l’industrie (OEM, PIA, filière batteries…) et aussi le marché en tant que tel (bonus / malus, Ugap, charte de 06/09/2011…). Au sujet des batteries, Mathieu Morcrette, brillant chercheur du CNRS et de l’Université Picardie-Jules Verne, soulève un débat de fond : “Nous avons une excellente recherche en France, mais aussi un problème de relais au niveau industriel. Les chiffres relatifs à la production de batteries dans le monde en 2010 sont éloquents : 41 % pour le Japon, 36 % pour la Corée, 16 % pour la Chine et 7 % pour les autres… Vu notre savoir-faire, nous avons le temps de réagir, mais il ne faut pas trop tarder.”
Sic… Jean-Louis Legrand en convient, mais repart de l’avant en réaffirmant l’objectif de 2 millions de VE et hybrides rechargeables en 2020. Un volume qui ne pose pas de problème de consommation d’énergie, même si les questions des infrastructures et de la gestion de puissance demeurent d’actualité. Sur le premier point, le fameux “droit à la prise” a été éclairci cet été par le décret du 25 juillet pour les nouveaux bâtiments comme les constructions anciennes. Mais de la théorie à la pratique, il y a parfois des détours, comme le souligne le responsable d’un test-pilote VE, qui reconnaît n’avoir pas pu donner satisfaction à des volontaires habitant en copropriété.
Ne pas dépasser les bornes et revenir à la charge
Par ailleurs, la nécessité des bornes publiques, dont on sait qu’elles sont fort peu utilisées, ne fait pas l’unanimité, même si le concept de “réassurance” revient comme un leitmotiv et qu’Alain Costa, de Sodetrel-EDF, souligne “leur caractère indispensable pour ceux qui ne disposent pas de parking, au travail et au domicile, cas de figure répandu dans les grandes villes comme Paris, par exemple”.
Reste alors à trouver la juste répartition entre bornes de charge rapide et bornes de charge lente et, là encore, le Livre Vert ne fait pas l’unanimité. Selon Jean-Rémy Gad, de la direction projets électromobilité de Veolia Environnement, “le programme ne prévoit pas assez de bornes rapides, des bornes qui permettraient pourtant de lever des contraintes d’usage liées à l’autonomie”. Sur le second point, la gestion de puissance, Alain Costa et Jean-Rémy Gad soulignent la nécessité de mieux prédire les appels de puissance et de contrôler la charge à distance, en offrant aussi de nombreuses fonctions secondaires (contrôle d’accès, télésuivi des points de charge, gestion de la facturation…). “Cela présente le double avantage de réduire la facture énergétique pour l’utilisateur et d’avoir une consommation plus lisse et, par extension, écologiquement plus vertueuse”, affirment-ils de concert en évoquant aussi les smart grids à venir.
Nouvelles offres et mutualisation
Jean-Louis Legrand acquiesce et rappelle que c’est aussi un immense chantier collectif avec un puzzle entre espaces en concession, espaces en régie, espaces privés et espaces privés ouverts au public (commerces en tout genre). En insistant sur le fait que si les investissements sont bien calibrés, ils ne sont pas pharaoniques pour les collectivités, et qu’il ne faut pas négliger les opportunités de l’autopartage : “Les véhicules électriques sont coûteux à l’achat, mais pas à l’usage. Ils ne deviennent très pertinents économiquement que s’ils roulent.” Et ils roulent beaucoup dans le cadre de ces dispositifs, assure Olivier Delassus, directeur de Proxiway-Veolia, mettant les villes de La Rochelle ou Nice en exergue, tandis que Bruno Flinois, directeur de Mopeasy, souligne “l’opportunité de mutualiser ainsi les coûts, mais aussi les risques”.
Et d’ajouter que si “le coût du VE est pour l’heure une contrainte à son développement, il offre néanmoins de vastes possibilités de mutualisation des coûts et l’immense opportunité de transformer 30 000 ou 35 000 euros en 29,90 euros par mois”. Une opportunité d’ores et déjà explorée par les constructeurs traditionnels, comme le rappelle Ayoul Grouvel en faisant référence à MU et Multicity. En somme, comme le résume Claude Cham, président de la Fiev, du Clifa, de la Peca et de l’URF, “même lentement, une nouvelle ère est bel et bien en train de s’ouvrir. On peut se féliciter de constater que les débats sont plus apaisés qu’il y a quelques mois et qu’une démarche collective est dorénavant envisagée. Même si nous savons pertinemment qu’à l’échelle des pays comme des entreprises, il y aura des gagnants et des perdants et, comme toujours, les gagnants seront les plus audacieux et ceux qui auront su prendre des risques avec justesse”.
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