S'abonner
Industrie

Paquet automobile européen : comment la France veut se servir de la voiture pour décarboner la production d'acier

Publié le 22 décembre 2025

Par Catherine Leroy
5 min de lecture
Derrière l’assouplissement envisagé des objectifs CO₂ après 2035, Bruxelles cherche à mobiliser l’automobile comme levier de décarbonation de la sidérurgie européenne. En conditionnant une partie des émissions résiduelles des véhicules à l’intégration d’acier vert made in Europe, la Commission espère créer un signal de demande capable de déclencher des investissements industriels massifs.
acier vert européen automobile
ArcelorMittal, seul acteur européen mondial, dispose d'un four électrique sur le site de Belval au Luxembourg. ©ArcelorMittal

Avec l'annonce par la Commission européenne le 16 décembre 2025 de la révision des limites d'émissions de CO2 après 2035, la référence à l'utilisation de l'acier vert peut surprendre. Pourtant, les instances européennes l'ont clairement indiqué : les constructeurs automobiles ne seront autorisés à réduire leurs émissions de CO2 que de 90 % (au lieu de 100 %) en 2035 à condition de démontrer l’intégration d’acier vert décarboné européen dans leur production.

 

Les 10 % d'émissions restantes devraient être pleinement compensés en amont, via un système de crédits. Les constructeurs pourraient acquérir ces crédits via l'utilisation d'acier bas carbone "made in Europe" pour 7 % et pour 3 % grâce à des carburants renouvelables ou durables (carburants de synthèse ou biocarburants avancés). Cette proposition de la Commission européenne est largement soutenue par la France. Lors d'un briefing avec la presse, Bercy l'a clairement confirmé.

 

Derrière le paquet automobile, l'enjeu de la sidérurgie européenne

 

"En introduisant une part d'acier vert, l'automobile va aider à décarboner les hauts-fourneaux encore utilisés par la sidérurgie en France comme dans le reste de l'Europe", a déclaré un porte-parole du ministère de l’Économie, en charge de l'automobile.

 

Mais qu'en est-il réellement ? Et où en est l'Europe dans la production de cet acier vert ? Sur le papier, l'idée semble astucieuse. Mais sur le terrain, la mise en œuvre apparaît beaucoup plus complexe. D'autant qu'aucune définition précise de ce qu'est un acier vert n'a été apportée. La sidérurgie française produit environ dix millions de tonnes d'acier, sur un total de 130 millions de tonnes en Europe. Une industrie lilliputienne comparée à la production mondiale.

 

 

L'année dernière, 1,8 milliard de tonnes d'acier a été produit dans le monde. Et, une fois encore, la Chine est déjà un acteur majeur avec plus de la moitié de cette production mondiale. Avec des exportations vers l’Europe en forte hausse, accentuant la pression sur les producteurs européens.

 

Moins de 1 % d’acier réellement "vert" en Europe

 

Mais plus des deux tiers de la production européenne sont issus aujourd’hui de hauts-fourneaux alimentés en charbon avec des émissions comprises entre 1,8 et 2,2 tonnes de CO₂ par tonne d’acier.

 

Sur environ 130 millions de tonnes d’acier produits chaque année dans l’Union européenne, moins de 20 % peuvent aujourd’hui être considérés comme réellement bas carbone, essentiellement grâce au recyclage.

 

L’acier "vert" au sens strict, produit à partir de minerai sans charbon, représente moins de 1 % des volumes européens. Les projets industriels existent, mais ils ne sont pas encore entrés à grande échelle en production.

 

Autrement dit, pour une tonne d’acier véritablement décarboné, l’Europe produit encore plus de 60 tonnes d’acier issu des hauts-fourneaux traditionnels.

 

Créer la demande pour déclencher l’investissement

 

C’est dans ce contexte que la Commission européenne, soutenue notamment par Bercy, cherche à mobiliser l’industrie automobile comme moteur de la demande.

 

Le raisonnement est simple : l’automobile représente près de 17 % de la consommation d’acier en Europe. Sans débouchés garantis, aucun sidérurgiste ne prendra le risque d’investir plusieurs milliards d’euros dans des aciéries décarbonées.

 

En intégrant l’acier vert dans le calcul des objectifs CO₂ des véhicules, Bruxelles ouvrirait la voie à une forme de "crédit carbone industriel", permettant aux constructeurs de valoriser leurs achats d’acier bas carbone produit en Europe.

 

Le passage à un acier à plus faible teneur en carbone pourrait réduire les émissions liées à la fabrication des véhicules de plusieurs millions de tonnes de CO₂ par an. Par exemple, atteindre 40 % d’acier vert d’ici 2030 dans les voitures pourrait réduire d’environ 6,9 Mt de CO₂ par an les émissions industrielles du secteur automobile en Europe.

 

Selon l'organisation Transport & Environment, supprimer ces émissions équivaudrait à retirer environ 3,5 millions de voitures thermiques de la circulation. L'ONG estime le surcoût pour une voiture électrique avec 40 % d’acier vert en 2030 très faible (environ 57 euros de plus par véhicule), et quasiment nul à l’horizon 2040.

 

Des milliards d'euros pour transformer la sidérurgie européenne

 

Le coût industriel est colossal. La décarbonation de la sidérurgie européenne implique une transformation en profondeur des hauts-fourneaux existants. Pour les seuls sites intégrés européens, le remplacement progressif des hauts-fourneaux au charbon par des chaînes combinant réduction directe du minerai (DRI), fours électriques et hydrogène bas carbone représente 10 à 15 milliards d’euros par grand bassin sidérurgique, sans compter les infrastructures énergétiques associées.

 

"La transformation d'un haut-fourneau traditionnel, que ce soit vers la voie électrique ou par Direct Réduction Iron (DRI) par hydrogène, coûte environ deux milliards d'euros. Or, il en existe plus d'une cinquantaine encore en Europe", fait remarquer Bruno Jacquemin, délégué général d'A3M (Alliance des minerais, minéraux et métaux).

 

 

À l’échelle d’un site comme Dunkerque (59) ou Fos-sur-Mer (13), dans le cas d'ArcelorMittal, par exemple, le surcoût d’investissement pour produire de l’acier décarboné est évalué à un à deux milliards d’euros par four, avec un coût opérationnel durablement supérieur tant que l’électricité et l’hydrogène restent chers en Europe.

 

C’est précisément ce différentiel de coûts, face à des aciers chinois produits à bas prix dans des installations très carbonées, qui explique la réticence des sidérurgistes européens à s’engager sans garanties de marché, aides publiques massives ou signal réglementaire fort sur la demande.

 

"Notre vrai sujet dans la sidérurgie comme dans l'automobile est de définir précisément le Made in Europe. La Commission européenne a donné un peu d'oxygène à l'automobile. Mais l'auto doit aussi nous aider en jouant le jeu patriotique", ajoute Bruno Jacquemin.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle