S'abonner
Industrie

Les défis de la distribution de pneumatiques

Publié le 2 avril 2014

Par Frédéric Richard
9 min de lecture
Comme ce fut le cas avec l’arrivée des centres-autos à la fin des années 70, la distribution de pneumatiques vit aujourd’hui une véritable révolution avec le développement de la vente en ligne. Retour sur la montée en puissance d’un canal devenu respectable.
Depuis trois ou quatre ans, les manufacturiers approvisionnent directement certaines plates-formes de sites Internet, alors qu’il leur fallait passer par des distributeurs français ou étranger auparavant. Ce qui montre combien la vision des uns sur les autres a évolué en moins de dix ans.

Replaçons-nous dans le contexte des années 2000. Les canaux de distribution de pneumatiques en France sont bien établis, structurés, et la cohabitation entre réseaux constructeurs, spécialistes, centres-autos et MRA laisse paraître un certain équilibre. Puis quelques initiatives vont faire bouger les lignes (tout d’abord 123pneus, puis Allopneus en 2004, suivis d’autres trublions…). La montée en puissance de l’Internet haut débit, sa démocratisation chez les particuliers tout d’abord, puis chez les professionnels, font émerger une offre de vente de pneumatiques en ligne, avec des promesses de prix tout à fait significatives. Dans un premier temps, les manufacturiers voient ces opérations d’un assez mauvais œil, considérant avant tout le phénomène comme un perturbateur du marché. Dans ce secteur, comme dans bien d’autres d’ailleurs, on n’aime pas le changement. D’autant que l’axe de communication choisi par ces nouveaux acteurs, évidemment orienté sur le prix, écorne l’image des réseaux traditionnels, appartenant souvent à des manufacturiers et soupçonnés de faire leurs choux gras depuis des années… Les marques les plus connues se montrent donc méfiantes face à ce déréglage annoncé du marché.

Toutefois, certains fabricants voient dans le développement de l’Internet une opportunité. En effet, les manufacturiers disposant de produits très spécifiques, souvent mal distribués, vont profiter de cette nouvelle exposition pour se faire connaître. “Pour ma part, chez Yokohama, j’ai découvert une bonne occasion de commercialiser nos produits et de les mettre en avant”, se souvient Dominique Stempfel, expert du pneumatique depuis quarante ans et aujourd’hui reconverti dans le consulting, notamment pour Allopneus.

Les spécialistes à l’affût

Les constructeurs, les enseignes de pneumaticiens, les fast-fitters et les centres-autos ont rapidement pris conscience du bouleversement de marché qui se profilait avec l’arrivée des pure players de l’Internet en pneumatiques. Il faut dire que d’autres secteurs avaient déjà essuyé la concurrence du Web, parfois avec de lourdes casses commerciales, dans la high-tech notamment… Rapidement, donc, ils prennent conscience de la nécessité de réagir, ce nouveau business model émergent risquant de changer la donne dans la distribution de leur produit phare. Mais, à l’époque, leur méfiance reste très mesurée. Ils comptent en effet sur un paramètre qu’ils jugent rédhibitoire pour un internaute… Le pneu n’est effectivement pas à proprement parler le produit de prédilection pour le commerce sur Internet. Il n’est pas attirant pour deux sous, lourd à transporter… Sans oublier qu’un particulier qui saute le pas ne peut s’affranchir de l’intervention d’un tiers pour le montage. Et, au départ, aucun pure player ne dispose d’un réseau de partenaires de montage suffisamment étoffé pour en faire la promotion !

Pourtant, le concept va séduire, les particuliers recherchant avant tout un tarif, quitte à se rendre eux-mêmes en centre pour négocier le montage d’enveloppes achetées sur le Net. Les professionnels qui acceptent en profitent alors pour surfacturer la prestation, et ainsi compenser le manque à gagner sur la vente… Peu à peu, les sites de vente en ligne parviennent à s’accorder les faveurs des ateliers pour le montage, principalement des MRA. Pour eux, l’objectif consiste à accepter le montage des pneus achetés sur Internet, pour générer du trafic supplémentaire en atelier, et ainsi tenter de réaliser des prestations additionnelles. Les grands réseaux en place, bien sûr, ne se montreront pas très ouverts au concept, et aujourd’hui encore, rares sont ceux qui acceptent de monter des pneumatiques acquis en dehors de leur enseigne…

Une progression à double tranchant

Progressivement, ce perturbateur de la distribution de pneumatiques, qui attire de plus en plus de clients, va devenir un acteur à part entière du marché. Les volumes augmentant substantiellement, les structures et les charges des entreprises s’étoffent, tout comme les besoins en stockage, en référencement, ce qui fait évoluer leur modèle économique. Mécaniquement, les prix des principaux sites vont augmenter. Les pure players sont contraints de se professionnaliser, et vont chercher à proposer des services supplémentaires pour faire passer les hausses de prix auprès de leur clientèle. Le pneu sur Internet n’est plus une histoire de low cost. “J’ai été très surpris de voir le niveau de professionnalisme des équipes quand je suis entré chez Allopneus. Aujourd’hui, on parle de plus de 200 personnes, un stock de 41 000 m2 avec 600 000 pneus. Vous imaginez bien ce que cela représente en termes de charges de structure et de référencement Internet, pour rester numéro 1”, reconnaît Dominique Stempfel.

Par ailleurs, depuis trois ou quatre ans, la relation avec les manufacturiers est de plus en plus fondamentale pour les sites Internet, et c’est aussi l’une des raisons qui les pousse à se montrer toujours plus dynamiques et innovants. Car les fabricants, qui jadis se montraient méfiants vis-à-vis de ce canal émergent, ont bien compris ce qu’il pouvait désormais leur apporter, depuis qu’il enregistre un trafic tout à fait colossal. En effet, en marge du nombre d’enveloppes qu’ils représentent (environ 12 % des ventes totales annuelles en France), les sites de vente de pneumatiques en ligne sont de formidables vitrines pour communiquer sur les produits. Avant d’acheter, un grand nombre d’acheteurs se rendent sur le Web pour se renseigner. La qualité de l’information disponible constitue donc un véritable enjeu pour les manufacturiers, qui sont désormais très coopératifs et surveillent avec attention ce qui se dit de leurs produits.

La difficile réponse des acteurs en place

Les réseaux traditionnels ont eu du mal à réagir, car ils font face à un paradoxe de taille. Comment parvenir à proposer des tarifs compétitifs avec ceux d’Internet avec des charges de structure beaucoup plus lourdes, tout en ménageant la rentabilité de leurs adhérents. Autre problème de taille, la disponibilité. Aujourd’hui, les gammes se complexifient énormément. Pour exemple, sur les segments HP et UHP, les manufacturiers proposent à ce jour 4 100 références actives. Sur ce plan, qu’il détienne son propre stock physique (Allopneus, Delticom) ou qu’il fasse appel à une multitude de fournisseurs en Europe, le site Internet dispose d’une longueur d’avance sur le magasin du coin, qui ne peut, bien entendu, présenter une telle disponibilité.

Ce qui se révèle encore plus vrai pour les points de vente appartenant à des enseignes de manufacturiers, qui doivent mettre en avant la marque de leur partenaire capitalistique. Or, ce dernier ne propose pas forcément la référence demandée par le client, qui se tourne alors vers Internet. Pour réagir face à ce phénomène, quand ils ont compris que de nombreuses ventes leur échappaient, les réseaux ont créé leurs propres plates-formes d’achats B-to-B à destination de leurs adhérents, un peu à la manière des Gettygo et autres 07ZR, afin de pouvoir obtenir rapidement des produits en dépannage et ne plus générer d’insatisfaction.

Les centres-autos ont été les premiers à réagir, se sentant moins embarrassés de préjugés face à leur réseau. Pour se battre contre Internet, ils ont tout d’abord opté pour la vente directe, en vendant des enveloppes à l’internaute, et en lui proposant de les faire monter en centre. Sans pouvoir garantir au réseau leur venue… Ils ont également mis en ligne des sites dédiés, comme par exemple Oxyo, pour Norauto.

Les constructeurs ont aussi travaillé d’arrache-pied pour défendre leurs parts de marché. Les concessionnaires se sont structurés et de grands groupes créent désormais leurs propres centrales d’achats, forts des dizaines de milliers de pneus qu’ils représentent. Le pneumatique est une question de survie pour eux, le premier point d’entrée en atelier, et ils ne veulent pas le perdre.

Et demain ?

A l’avenir, il ne faut pas compter sur une progression du marché en volume pour tirer la croissance des uns et des autres. La concurrence entre réseaux physiques et acteurs du Web va donc se poursuivre. Les réseaux traditionnels pourraient encore souffrir, au risque de voir des fusions ou des concentrations à moyen terme. Car chaque jour, leur position sur le marché leur coûte un peu plus cher. En effet, le développement des sites Internet a forcé les acteurs historiques à dépenser plus en communication et en marketing, à monter leurs propres offres, quitte à générer des coûts additionnels aux centrales, donc aux manufacturiers et aux adhérents, eux-mêmes alors gênés pour proposer des tarifs attractifs. Mais les réseaux de spécialistes ne sont pas perdus pour autant. Ils jouent la carte de la proximité, communiquent de façon active en local ou en national pour attirer le chaland. Par ailleurs, les prix se lissent entre les différents acteurs, les niveaux de marge ayant beaucoup baissé dans les réseaux traditionnels. Enfin, ils mettent en place de nouvelles activités (distribution, vitrage, débosselage) afin d’afficher une moindre dépendance au pneumatique (70 % aujourd’hui), un peu à la manière des centres-autos, qui pratiquent cela depuis plus longtemps. Enfin, c’est la qualité du point de vente, au cas par cas, ainsi que la relation client, qui joueront un rôle primordial et permettront aux magasins de rester dans la course, ou pas. En bref, les bons vont rester, la concurrence plus forte jouant alors le rôle d’épurateur du marché.
Du côté des sites Web, la problématique reste assez proche, puisque les dépenses en marketing et en référencement (Google), de plus en plus importantes, alourdissent leurs structures, les rendant moins compétitifs au plan tarifaire. Sans compter que, sur Internet également, il existe des perturbateurs, et l’on peut toujours imaginer de nouveaux concurrents avec des structures légères leur permettant de proposer des prix attractifs. L’avenir est donc à la différenciation par le service. Le leader français, Allopneus, mise sur la disponibilité : 600 000 pneus en stock pour répondre le plus vite possible à toutes les demandes, même celles touchant à des références rares. Sans oublier le service à domicile, fer de lance du site. Une initiative de 80 camionnettes à ce jour, qui se rendent chez le client ou dans son entreprise, et montent les pneumatiques achetés sur le site. “Un coup de génie de Didier Blaise, le fondateur, qui permettra à son entreprise de rester leader, tout en se différenciant de ses concurrents avec un service à forte valeur ajoutée”, explique Dominique Stempfel. D’autant que l’initiative lève une autre objection face à la vente en ligne de pneus. Décidément, le paysage de la distribution pneumatique n’a pas fini sa mutation.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

cross-circle