Le marché du lubrifiant au ralenti
Pas d’exception pour le secteur des lubrifiants malgré le bilan 2021 établi avec les traditionnelles statistiques du CPL (Centre professionnel des lubrifiants). L’exercice enregistre une hausse de 6 % exactement, de quoi atteindre un volume global de 291 430 t. Il s’agit bien sûr du secteur relatif à l’automobile, les lubrifiants industriels accusant, pour leur part, un recul de presque 2 % (1,9 % exactement).
Certes, cette augmentation reflète une (relative) bonne santé du marché intérieur. Seulement, une observation plus pointue de ces statistiques montre qu’à fin juin 2021 (mois pourtant à - 8 %), la progression ne se situait à pas moins de 14 %, selon les estimations du CPL. Autrement dit, le deuxième semestre s’est avéré moins porteur que le premier.
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Un écart à mettre sans nul doute au crédit d’un phénomène de rattrapage constaté dans les ateliers sur les six premiers mois de l’année, dû pour une grande part aux conséquences du pic de la crise sanitaire de 2020. Par ailleurs, d’aucuns ne manqueront certainement pas d’évoquer une progression en trompe-l’œil ! En effet, si l’on se réfère à l’année 2019 (synonyme d’un volume de 297 200 t), la véritable référence, le marché intérieur accuse bel et bien une régression de 1,9 %.
Mais, retour à 2021. Sur le volume global de 291 430 t, les moteurs des voitures de tourisme pèsent 162 855 t, dont 141 920 t pour le segment essence et mixte (+ 7,7 %), toujours largement majoritaire. À noter la bonne tenue du segment diesel tourisme (+ 5 %), de celui des moteurs diesel utilitaires (+ 4,1 %) et surtout de celui des transmissions automatiques (+ 13 %). Sur l’ensemble des segments, les pétroliers représentent 57,8 % des parts, contre 35,2 % pour les IG (indépendants du graissage) et 6,9 % pour les autres sociétés.
Le 1er plein intimement lié aux immatriculations
Évidemment, comme de coutume, certains éléments entrent en ligne de compte, à commencer par la consommation des carburants routiers sur le territoire. Certes, selon l’Ufip (Union française des industries pétrolières), celle‑ci a augmenté de 13,2 % en 2021, par rapport à 2020. Cela dit, elle accuse toujours une baisse de 3,8 % au regard de 2019, l’année de référence.
Deuxième élément à prendre en considération, les espacements de vidange. Calme plat à ce niveau. En effet, pour rappel, la plupart des constructeurs européens ont désormais fixé les espacements de vidange à la fois en kilométrage, mais aussi dans la durée. Soit entre 20 000 et 30 000 km en fonction des motorisations pour une durée maximale de 2 ans, sachant que les véhicules de grande série sont calés sur 1 an.
Enfin, le troisième élément réside au niveau du premier plein relatif aux véhicules neufs, pris en compte par le CPL. Pour rappel, le marché des VN a enregistré l’an passé une progression infime de 0,5 % par rapport à 2020, avec 1 659 004 unités. Toutefois, au regard de 2019, la baisse s’établit à 25 %. Autre élément à prendre en considération, le parc roulant. Si le tout électrique ne représente que 1 % sur les 40 millions de voitures en circulation, au niveau des immatriculations, les VE se sont adjugés près de 10 % du marché 2021 avec 162 106 unités (+ 46,2 %). Un phénomène appelé à prendre de l’ampleur en 2022, quand bien même le marché VN dans son ensemble ne se porte pas au mieux, loin de là.
En effet, après un retrait de 19,5 % en mars, le mois d’avril a plongé de 22,6 % (108 723 unités). Depuis le début d’année, il accuse ainsi une régression marquée de - 18,6 %, soit 474 083 immatriculations au cumul. La faute à la crise des semi‑conducteurs, au contexte mondial quelque peu anxiogène du fait du conflit ukrainien, mais aussi, bien sûr, au pouvoir d’achat des Français, sans parler d’un certain attentisme durant la période électorale.
"Le fait que l’âge du parc ait de nouveau progressé (il est désormais de 11 ans, NDLR), en dépit des primes à la conversion, traduit l’indécision d’une partie des acheteurs potentiels qui préfèrent reporter leur démarche, note Éric Candelier, président de Yacco. Au niveau de l’après‑vente, nous ressentons une activité relativement calme dans les ateliers, bien que la notion de proximité bien ancrée chez les MRA et agents leur permette de tirer leur épingle du jeu. En ce qui nous concerne, nous sommes plutôt à l’équilibre voire en légère progression côté volumes par rapport à l’an dernier, ce qui n’est pas si mal."
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En fait, une situation comparable au marché dans la mesure où le premier trimestre 2022 se boucle sur une progression de 0,7 % selon le CPL, ceci grâce à un mois de mars à + 3,3 % (février se situant à - 2,3 %). Reste que, pour les professionnels de la réparation, un élément peut jouer un rôle non négligeable : l’effet de stockage, notamment par rapport à une hausse programmée sur les produits à forte rotation. "Le Covid‑19 et désormais les hausses successives dues à l’augmentation des matières premières ont complètement désorganisé le cycle habituel des commandes et livraisons, reprend Éric Candelier. À ce niveau, nous devons être très vigilants face au phénomène de stockage, qui peut poser problème en période de pénurie."
Un discours visant à apporter entière satisfaction à l’ensemble de la clientèle et que ne renie pas Olivier Lafarge, responsable communication & marketing de Minerva Oli. À fin avril, sa société enregistre une progression en volume à deux chiffres, tant au niveau de la prise de commandes que des livraisons. "Nous en sommes très heureux mais nous avons bien conscience que la progression sur les prochains mois ne s’établira pas dans les mêmes proportions, concède‑t‑il. Le verdict, nous ne l’aurons pas sur 3 ou 4 mois, mais plutôt à la fin de l’année, sachant que se projeter dans l’avenir se révèle délicat, voire impossible. Maintenant, quelle explication pour ce très bon quadrimestre ? Sans forcément parler d’un effet de stockage, la crainte de manquer avec des délais de livraison parfois allongés peut amener le professionnel à raccourcir sa démarche de commande, plutôt que d’attendre la dernière minute." Certes.
Le coût des huiles de nouveau à la hausse
Des arguments en mesure de faire le lien avec le principal problème de la profession, la flambée des matières premières. Face à l’envolée du cours du baril de brent (113 dollars le 23 mai) et ses répercussions à la pompe, comment le secteur des lubrifiants s’en sort‑il ? D’abord, du côté des additifs, les spécialistes ont déjà pratiqué deux hausses de prix depuis le début de l’année. Chacune comprise entre 5 et 15 % suivant les produits. À noter que celles‑ci viennent s’ajouter à une augmentation du même ordre, passée en fin d’année 2021.
Parallèlement, ils ont instauré des contingentements sur certains types d’additifs. Mais bien sûr, la matière première essentielle dans l’élaboration d’un lubrifiant demeure bel et bien l’huile de base et accessoirement sa qualité. Et cette fois, l’addition est plutôt salée. À titre d’exemple, l’huile de base synthétique de type mid 6 cSt référencée par l’Icis (Independent Commodity Intelligence Services), soit une huile synthétique de groupe III largement utilisée en automobile, a augmenté de quelque 84 % de janvier 2021 à fin janvier 2022, passant de 840 euros la tonne à 1 555 euros la tonne.
Certes, son cours à 1 600 euros la tonne environ, début avril, dénote un net tassement de l’inflation (+ 2,8 %) sur les quatre derniers mois. En revanche, ce n’est absolument pas le cas des huiles de base minérales de groupe I (type 15W‑40), directement impactées par la crise ukrainienne. En mars dernier, Olivier Lafarge ne manquait pas de prévenir : "Pour le moment, le conflit ukrainien n’a pas eu d’impact réel à ce niveau, mais on peut s’attendre à ce que la situation évolue dans les semaines à venir et de façon très marquée."
Incontestablement, le contexte actuel lui donne raison, puisque le cours (en dollars) de l’huile de base référencée SN 150 par l’Icis est passé de 950 dollars début janvier à 1 230 dollars début avril, soit une hausse de près de 30 %. Éric Candelier explique : "Si nous avions atteint un pic à l’été 2021, le phénomène s’était tassé par la suite. Seulement aujourd’hui, le niveau de la courbe repart nettement à la hausse, de manière inquiétante et nous devrions arriver à une situation relativement inédite, à savoir celle d’un niveau de prix des huiles de groupe I supérieur à celui des huiles de groupe III. Ce phénomène trouve son origine dans les sanctions économiques prises contre la Russie après son invasion de l’Ukraine. La Russie se positionne en Europe comme le principal fournisseur d’huiles de base de groupe I issues du brut. Parallèlement, la profession doit actuellement faire face à une très forte tension sur les huiles de boite de vitesses et de transmission, avec une demande bien supérieure à l’offre."
Ainsi, selon lui, le pic inflationniste pourrait être atteint en ce mois de juin, avec de réels problèmes de disponibilité tant pour les huiles de base de groupe I que de groupe II (10W‑40).
Des hausses programmées sur les produits finis
Pour sa part, Éric Lhomer, directeur général de Lubexcel, a une approche plus globale : "Certes, le fait que la Russie demeure un gros producteur d’huiles de base va engendrer une baisse des volumes disponibles pour une demande identique, confirme‑t‑il. Cela dit, outre le prix du brut, la situation est liée à bon nombre de paramètres, tels que le cours du dollar qui a repris de la valeur par rapport à l’euro, la maintenance des raffineries à nouveau à l’ordre du jour et aussi la stratégie de ces mêmes raffineries qui ont tendance à produire davantage de gazole au détriment des huiles de base."
Des phénomènes quelque peu récurrents. Toujours est‑il que la plupart des acteurs, pétroliers ou IG, ont passé dès avril une hausse moyenne comprise entre 5 et 8 %, soit l’équivalent de 20 à 30 centimes sur un prix moyen au litre de 4 euros, prix d’achat professionnel bien sûr. En outre, certains en ont passé une deuxième du même ordre en mai, tandis que d’autres l’ont programmée sur ce mois de juin. Reste que, au-delà du produit lubrifiant en lui-même, d’autres éléments et non des moindres sont à prendre en considération. Comme le souligne Olivier Lafarge : "Dans le contexte haussier, figurent en bonne place les couts de transport du fait du prix des carburants, mais aussi et surtout le cout des emballages, fait‑il remarquer. Sur la période d’octobre 2021 à fin avril 2022, le prix des emballages métalliques et en particulier des futs a augmenté de 26,58 % (l’équivalent de 10 euros, en deux temps), les prévisions misant sur une hausse de près de 60 % par rapport à janvier 2021."
À ce tableau peu reluisant, s’ajoute une augmentation de 30 % sur le polyéthylène propre aux emballages en plastique, sachant qu’une tension réelle existe aussi sur le papier servant à l’élaboration des étiquettes adhésives. En effet, en Finlande mais aussi en Espagne, des grèves prolongées de papeteries essentielles (elles assureraient près de 25 % de la production européenne selon Finat, l’association européenne de l’industrie des étiquettes autocollantes) ont mis à mal toute la chaîne d’approvisionnement avec des délais fortement prolongés. Mais, Olivier Lafarge d’ajouter : "Au-delà du prix des matières premières, un faux problème dans la mesure où nous le reportons, certes, avec un certain décalage au détriment de nos marges, au final, il faut bien se dire que c’est le consommateur qui est impacte."
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