L’Autorité de la concurrence dénonce de mauvaises pratiques en après-vente
En juillet 2011, l’Autorité de la concurrence s’est autosaisie pour ouvrir une enquête sectorielle dans le domaine de l’entretien et de la réparation, suite aux différents débats découlant du projet de loi Lefebvre. L’objectif de cet exercice consiste à étudier le marché afin de définir si la concurrence joue pleinement son rôle, et si des dysfonctionnements existent. L’automobile pèse 12 % dans le budget des ménages, l’entretien et la réparation représentant le premier poste de dépenses (37 %), devant le carburant.
Ainsi, le marché de la rechange et de la réparation atteint en France un chiffre d’affaires d’environ 30 milliards d’euros HT, dont 50 % provient de la vente de pièces. Depuis dix ans, soit entre 2000 et 2010, les prix des prestations d’entretien et réparation ont connu une forte augmentation, de 28 %, la hausse pour la partie pièces uniquement atteignant 13 %. Pour l’autorité de la concurrence, cette évolution, au regard des documents fournis, des facteurs économiques et des tendances des autres pays européens, proviendrait d’une distorsion des prix. Particulièrement dans la pièce, puisque les autres pays enregistrent plutôt une stagnation des prix, voire une baisse.
L’enquête sectorielle pointe une prépondérance des réseaux constructeurs sur le marché de l’entretien et de la réparation, particulièrement sur “les véhicules de moins de 5 ans, avec une part de marché des réseaux agréés de 80 % pour les véhicules de moins de 2 ans et de 70 % pour les véhicules de moins de 4 ans”. Le rapport note que le canal des indépendants représente un acteur clé pour la régulation des prix, ceux-ci exerçant bien leur rôle de pression concurrentielle. Toutefois, l’Autorité de la concurrence souligne qu’ils ne progressent plus sur le marché depuis quelques années, et annonce avoir identifié cinq obstacles à la concurrence.
1- Le monopole des pièces visibles contesté
L’institution s’interroge sur le bien-fondé de cette protection, puisque les constructeurs détiennent un véritable monopole, sans substitut possible, alors que ce marché représente tout de même 20 % du chiffre d’affaires pièces (soit environ 15 milliards d’euros HT). En outre, le rapport dénonce une hausse du prix des pièces qui ne s’explique pas par une augmentation des coûts de production. Et l’Autorité de la concurrence de comparer, pour exemple, les tarifs des pièces en France, en Allemagne et en Espagne, en se basant sur les données de l’étude CEA 2010. Ainsi, sur les véhicules de catégorie A, les prix moyens des pièces de l’échantillon sont en France supérieurs de 25 % à ceux pratiqués en Espagne et 5 % à ceux de l’Allemagne.
De plus, “les différentes études d’impacts menées en Europe et aux Etats-Unis montrent que cette protection a pour effet d’augmenter le prix des pièces visibles de 6 à 15 % environ par rapport aux pays dans lesquels elle n’existe pas”. Par conséquent, l’Autorité estime qu’en “offrant à un plus grand nombre d’opérateurs la possibilité de distribuer les pièces visibles, la mise en œuvre d’une clause de réparation permettrait aux réparateurs, notamment aux carrossiers, de mieux faire jouer la concurrence sur le prix des pièces visibles de rechange et de s’affranchir ainsi des réseaux agréés de constructeurs, tant en métropole que dans les départements d’outre-mer”. Pour autant, l’organisme rappelle qu’il s’agit d’un débat politique, et que les seuls arguments économiques, même s’ils sont fondés, ne suffiront pas à libéraliser la pièce de carrosserie.
2- Un accès aux pièces entravé
“La disponibilité des pièces de rechange non visibles est, dans certains cas, insuffisante pour assurer une réelle concurrence.” Voilà une autre des conclusions à laquelle l’Autorité de la concurrence est arrivée après étude de différents documents et bases de données. Son enquête a permis d’établir que le taux de disponibilité des pièces dans le canal de distribution indépendant était faible sur les modèles récents, avec un taux de disponibilité d’environ 56 % pour les modèles commercialisés en 2010. Au-delà des raisons économiques (demandes trop faibles dans environ 25 % des cas), le rapport met en avant les obstacles liés aux contrats de clauses contractuelles ou d’outillage. L’Autorité de la concurrence s’interroge d’ailleurs sur le fait que l’équipementier développe et investisse dans l’outil, et que le constructeur en devienne, au final, le propriétaire.
3- Les informations techniques mal ou peu communiquées
L’Autorité de la concurrence estime que, pour pouvoir concurrencer les réseaux constructeurs en termes d’entretien et de réparation, les indépendants doivent pouvoir accéder aux informations techniques du véhicule, notamment les fabricants d’outils de diagnostic. Or, l’organisme a constaté que les sites Internet mettant à disposition les données n’utilisent pas de formats standardisés, et qu’un retraitement des informations s’imposait alors. Ou encore que l’offre tarifaire repose sur un abonnement et qu’en cas de résiliation, l’opérateur ne peut plus utiliser les informations qu’il a collectées auparavant. Il se trouve également tributaire de l’augmentation du coût de l’abonnement. Enfin, le manque d’exhaustivité de l’offre ou le décalage de transmission pousse également les indépendants à effectuer du reverse engineering, autrement dit à collecter eux-mêmes leurs propres informations à partir, entre autres, de pannes.
Les soucis rencontrés concernent pour l’essentiel la prise en charge de certains véhicules, la remise à zéro, le télécodage et la reprogrammation des calculateurs, l’interprétation des codes zéro, le couplage des données d’entretien ou de réparation avec des données protégées, ou encore l’accès au carnet d’entretien dématérialisé. Pour l’Autorité, ce problème découle notamment de clauses incluses dans les contrats de cession de données, le constructeur émettant notamment une restriction dans la diffusion des informations. L’institution souligne également qu’aucune sanction n’est mise en place pour que les marques se mettent en conformité avec la loi. Si cette dernière précise que le véhicule ne devrait pas être homologué si les données ne sont pas fournies, le blâme se révèle trop gros pour être sérieusement appliqué. De plus, aucun moyen de contrôle n’existe, et pour l’Autorité, la régulation des comportements passe par la mise en place de normes.
4- Des clauses de garantie illégales
Les garanties des constructeurs sont également pointées du doigt. En effet, le rapport souligne que certaines “clauses consistent, par exemple, à lier le bénéfice de la garantie à la réalisation des opérations d’entretien au sein du réseau constructeur et à l’utilisation de pièces d’origine constructeur. Ou bien encore à faire porter sur le consommateur la charge de la preuve que la défectuosité du véhicule n’est pas due à la réalisation de travaux de maintenance qui auraient été réalisés en dehors du réseau agréé”. L’Autorité de la concurrence appuie son propos sur le nombre de plaintes de consommateurs relevées, ainsi que sur une enquête de la DGCCRF réalisée en 2011, qui a donné lieu à des rappels de réglementation à l’encontre de plusieurs constructeurs.
5- Une définition du prix opaque
Enfin, le rapport conteste l’utilisation, par l’ensemble de la filière, des prix de détail conseillés, qui entraîne un “effet ambigu sur l’intensité de la concurrence entre les canaux constructeur et indépendant”. En clair, malgré la différence de canal ou de vendeur, l’écart de prix reste relativement similaire. L’Autorité s’interroge donc sur la façon dont les prix des pièces sont fixés.
Devant toutes ces interrogations, l’Autorité de la concurrence a décidé d’ouvrir un débat public, conviant tous les acteurs du secteur à répondre à 26 questions avant le 24 mai, afin que l’institution rende ses conclusions définitives en juillet. L’Autorité de la concurrence souhaite ainsi avoir des arguments documentés, pour définir si les menaces brandies par les constructeurs (emploi, compétitivité, R&D, contrefaçon, etc.) sont réelles ou non. La bataille des chiffres va donc reprendre de plus belle, et les autorités vont devoir user fortement du principe de “Fact Checking”…
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ZOOM - Yves Riou, délégué général de la Feda
“Nous apprécions le caractère objectif de la démarche de l’Autorité de la concurrence. Le rapport met le doigt sur les points bloquants en après-vente, et également en amont, puisqu’il souligne les problématiques liées à l’outillage ou encore aux pièces réservées constructeurs avant même que celles-ci ne soient produites. L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs bien compris que le principal déficit provient de l’absence d’égalité de traitement entre les réseaux constructeurs et les indépendants. L’argument “tarte à la crème” de l’emploi, ou encore la compétitivité, ne sont pas recevables. L’emploi est un sujet très important, et nous estimons qu’ouvrir le marché en créera de nouveaux. Quant à la compétitivité, c’est justement l’absence de concurrence qui a émoussé la dynamique des constructeurs. De plus, pour revenir sur les informations techniques, la standardisation devait être un sujet réglé depuis 2009, et rien n’est effectif aujourd’hui. Nous allons nous attacher à répondre point par point aux interrogations de l’Autorité de la concurrence, notamment en lui apportant les documents attestant de ce manque d’égalité sur le terrain”.
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ZOOM - Les constructeurs réagissent aussi !
Son de cloches bien différent du côté des producteurs de véhicules. Le CCFA (Comité des constructeurs français d’automobiles), la Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle (CSIAM) et le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA) ont fait cause commune pour prendre position en faveur du maintien du monopole de la commercialisation des pièces de carrosserie. Les trois organisations professionnelles contestent les analyses publiées, résultant, selon elles, “de la prise en compte de statistiques non comparables et ne permettant ainsi pas de conclure à un impact de la protection juridique au titre du droit des dessins et modèles sur le prix des pièces de rechange visibles ou à l’existence de facteurs anti-concurrentiels sur le marché français”. Pour aller plus loin, les constructeurs rappellent que la concurrence sur le secteur de l’après-vente est déjà réelle et intense dans de nombreux domaines (hors carrosserie), la preuve étant la part de marché qui dépasse déjà celle des réseaux de marque.
La décision de libéraliser la pièce de carrosserie aurait également pour effet pervers supplémentaire une baisse de l’offre de réparabilité et un surcoût des pièces de rechange visibles pour les voitures âgées. En effet, les constructeurs et leurs réseaux ont l’obligation légale d’assurer à leurs clients la disponibilité des pièces dix ans après la fin de vie d’un véhicule. Ils sont donc tenus de stocker des pièces à très faible rotation, ce qui représente un coût certain ; tandis qu’il y a fort à parier que les producteurs et distributeurs indépendants, soumis à aucune obligation sur le sujet, se concentreraient sur les pièces les plus vendues…