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Industrie

L’automobile française ne s’exporte plus

Publié le 7 mai 2010

Par Alexandre Guillet
7 min de lecture
Indépendamment de la crise, le solde du commerce extérieur automobile français est désormais structurellement déficitaire. Alberto Balboni, analyste chez Xerfi, décode cette nouvelle donne subie depuis quelques années et apporte...
Indépendamment de la crise, le solde du commerce extérieur automobile français est désormais structurellement déficitaire. Alberto Balboni, analyste chez Xerfi, décode cette nouvelle donne subie depuis quelques années et apporte...
...de précieuses nuances à quelques interprétations répandues mais trop caricaturales.

D'une manière générale, le solde du commerce extérieur français est structurellement en déficit depuis quelques années. Ce déficit a même atteint un niveau record en 2008, payant notamment le prix de la facture énergétique. En 2009, il a pu être réduit de 12 milliards d'e, par le bénéfice d'un rééquilibrage de la facture énergétique et des économies réalisées vis-à-vis du $US. "En fait, presque tous les grands secteurs se dégradent, l'agro-alimentaire, l'aéronautique, etc.", note Alberto Balboni. Le secteur automobile n'échappe plus à la règle, ayant affiché un déficit de 2,8 milliards d'e en 2008, s'étant creusé à 3,7 milliards l'an passé. "Il faut désormais parler d'un déficit structurel pour l'automobile, l'explication ne pouvant pas se réduire à la crise de fin 2008-2009", souligne Alberto Balboni. Comment expliquer ce changement de fortune alors que l'automobile était historiquement un contributeur du solde du commerce extérieur ? Au-delà du jeu des localisations de production, Alberto Balboni soulève une autre question : "L'industrie automobile ne se caractérise pas par un contenu technologique à forte valeur ajoutée. Dès lors, l'item "coûts" prend une grande importance. Ce qui renvoie naturellement au coût du travail". Un allégement des charges, réclamé par la plupart des industriels, peut alors se muer en levier de compétitivité, permettant notamment de freiner l'augmentation du coût unitaire de production. Certes, affirme Alberto Balboni, tout en élargissant immédiatement le débat : "Mais attention aux raccourcis, la lutte sur les coûts est perdue d'avance par rapport à des pays comme la Chine ou l'Inde, par exemple. Donc attention aux simplifications".

L'Allemagne, cette exception européenne

La comparaison avec l'Allemagne se fait naturellement jour en filigrane de ces considérations. Outre-Rhin, le coût du travail par unité produite a ainsi stagné entre 2000 et 2009, tandis qu'il s'envolait de 17 % dans l'Hexagone. "Il est évident que les Allemands ont su rester très performants au niveau des coûts, exploitant des mesures destinées à soutenir la compétitivité des entreprises. Mais il convient aussi de prendre en compte la dimension politique de la problématique. Le modèle économique allemand est très largement orienté vers les exportations alors qu'en France, il est beaucoup plus axé sur la consommation des ménages", explique Alberto Balboni. Par ailleurs, en l'espace d'une quinzaine d'années, la part de la France dans les exportations mondiales est passée de 8 % à 5,8 %, tandis que l'Allemagne résistait, 21 % à 20 %. "D'une part, cela démontre que la montée en puissance des pays émergents ne saurait tout expliquer. D'autre part, cela tend à asseoir que l'Allemagne est une exception, avec le choix politique que nous évoquions à l'instant. Ainsi, une comparaison avec le Japon révèle que sur la même période, la part des exportations mondiales du pays a chuté de 21 % à 14,4 %", indique Alberto Balboni. L'Allemagne fait donc figure d'exception, notamment en Europe, et il faut de surcroît tenir compte du fait que son industrie automobile est fortement ancrée dans le haut de gamme, ce qui implique un haut niveau technologique.

Le secteur des équipements automobiles reste excédentaire

Or, en France aussi, les secteurs qui s'en sortent sont ceux qui ne reposent pas que sur les coûts et font valoir la valeur ajoutée et la recherche. Dans un panorama général à - 17 %, l'industrie pharmaceutique a ainsi vu ses exportations progresser de 8 % l'an dernier. De même, un distinguo s'impose entre constructeurs et équipementiers. En France, le déficit provient essentiellement des constructeurs (- 7,3 milliards d'e), le secteur des équipements restant excédentaire, de l'ordre de 3 milliards l'an dernier, en légère hausse par rapport à 2008. "On continue à produire beaucoup d'équipements en France et dans ce domaine, la valeur ajoutée est forte".

La France dépend fortement de la demande européenne

Au niveau des flux d'échanges, l'Allemagne demeure notre premier client et notre première destination d'exportations. "A ce propos, la fin de la prime à la casse en Allemagne aura une conséquence négative sur les exportations françaises", indique Alberto Balboni. Suivent notamment des pays comme l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni ou la Belgique. La crise, qui a sévèrement touché l'Espagne et le Royaume-Uni, a aussi eu un impact négatif sur les exportations françaises. D'une manière générale, pour l'industrie, la France dépend beaucoup de la demande européenne, à hauteur de 60 % dont plus de 50 % pour la seule zone euro. Pour l'automobile, les pays émergents interfèrent peu avec les exportations, dans la mesure où il faut s'implanter sur place. "L'essentiel réside dans la pénétration et dans l'activité commerciale qui génèrent d'importants revenus pour les groupes", souligne Alberto Balboni qui précise que la France dispose de positions fortes en Europe et dans les pays de l'Est, mais pas en Chine ni dans la zone Asie.

Plus pessimiste que les prévisions officielles…

Selon lui, la reprise est désormais attendue car on constate actuellement un redressement du PIB dans de nombreux pays. Plusieurs niveaux de reprise doivent bien sûr être appréhendés. "Les pays émergents n'ont pas connu de crise au sens où nous l'entendons chez nous. D'ailleurs, dans ces pays, le rythme de croissance du PIB est resté élevé". En Europe, l'Allemagne devrait pouvoir bénéficier de son économie mieux accrochée au train de l'économie mondiale, tandis que l'Italie se situera en dessous de la moyenne de la zone euro et que l'Espagne et le Royaume-Uni mettront plus de temps à se remettre sur les bons rails. Quant à la France, Alberto Balboni avance d'emblée que son organisme est plus pessimiste que les prévisions officielles : "Mais cela ne veut pas dire que la gestion de la crise a été insuffisante. Ainsi, par exemple, l'aide au secteur automobile a été pleinement justifiée même si cela s'opère au détriment des finances publiques, le déficit venant peser sur la dette". En fait, le principal danger porte aujourd'hui sur la consommation, d'autant que le chômage progresse de façon avérée et que les prix augmentent aussi, ce qui n'était pas le cas l'an passé. "Pour 2010, nous tablons sur une progression du PIB de 0,6 %, ce qui est tout de même assez faible", conclut Alberto Balboni.

ZOOM

L'avis du Conseil d'Analyse Economique sur la disparité entre France et Allemagne

Pour le Conseil d'Analyse Economique, la spécialisation sectorielle des exportations des deux pays ne constitue pas une explication déterminante pour justifier l'écart de performances constaté. Pas plus que la spécialisation géographique des exportations des deux pays. En fait, la dégradation des exportations françaises renvoie à deux enjeux. Primo, si près de 20 000 entreprises françaises se lancent chaque année sur les marchés étrangers, seules 20 % d'entre elles parviennent à y "survivre" plus de trois ans. De leur côté, les entreprises allemandes font moins d'entrées sur les marchés étrangers, mais pérennisent nettement mieux leur activité. Secundo, la France souffre d'un nombre de "grosses" PME relativement faible par rapport à l'Allemagne (et aussi l'Italie). Or ces entreprises sont les principaux contributeurs des exportations. Par ailleurs, à taille égale, les entreprises exportatrices allemandes exportent 2 à 4 fois plus que leurs homologues françaises. En outre, le Conseil d'Analyse Economique relève que le problème de compétitivité des entreprises françaises ne tient pas à un problème de compétitivité-prix, ni a à un problème de compétitivité-coût (le coût de la main-d'œuvre est légèrement moins élevé en Allemagne, mais là encore, ce n'est pas déterminant). C'est la compétitivité hors-prix, la plus difficile à évaluer rigoureusement, qui fait la différence. Pour l'ensemble des produits vendus par les deux pays, les entreprises allemandes arrivent à vendre, en moyenne, le même produit 8 % plus cher que les entreprises françaises. La compétitivité hors-prix renvoie directement aux valeurs de l'innovation, de la qualité, de l'image, de la confiance et du niveau de formation de la main-d'œuvre.

Photo : En France, le déficit du solde du commerce extérieur automobile provient essentiellement des constructeurs (- 7,3 milliards d'euros).

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