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Industrie

Hydrogène : faut-il encore y croire ?

Publié le 25 décembre 2024

Par Jean-Baptiste Kapela
11 min de lecture
Dans la course aux véhicules électriques à batterie, le marché a tendance à éclipser les modèles à hydrogène. Les acteurs de la mobilité H2, eux, espèrent encore changer d’échelle dans les mois à venir et sortir de leur statut de technologie complémentaire pour s’imposer comme une solution de décarbonation à part entière.
Hydrogène
70 973 véhicules à hydrogène (VP + VU) ont été vendus dans le monde. ©AdobeStock

Discret, mais bien pré­sent. Au Mondial de l’Auto de Paris, tous les projecteurs étaient braqués sur les véhicules à batterie. Pourtant, l’hydrogène avait bel et bien sa place dans le salon.

 

À commencer par Re­nault, qui a présenté l’Emblème, un concept car conçu pour réduire de 90 % les émissions de CO2 sur tout le cycle de vie du véhicule, au côté de sa R4 E‑Tech. Question mécanique, la marque au losange a choisi la "bimo­torisation" électrique – une motorisa­tion hybride entre la batterie et la pile à combustible.

 

 

Un pavillon plus loin, sur le stand de BMW, c’était un iX5, le modèle hydrogène de la marque encore à l’essai, qui était exposé. Mais il fallait se rendre à la Fabrique de l’électrique, tenue par la Plateforme automobile (PFA), pour que l’hydro­gène prenne toute sa place dans l’éco­système de l’électromobilité. "Nous avons aussi inclus l’hydrogène, pour montrer que plusieurs technologies coexistent aujourd’hui. La batterie n’étant pas la seule solution", résume Marc Mortureux, directeur général de la PFA.

 

La technologie hydrogène n’a pas à rougir face à la batterie et se retrouve souvent brandie comme un étendard de modernité par les constructeurs.

 

Pourtant, à ce jour, le nombre de véhi­cules H2 mis en circulation demeure extrêmement faible. Il faut compter, à l’échelle mondiale, seulement une centaine de milliers de véhicules roulant à l’hydrogène à la fin de l’an­née 2024, d’après le baromètre de la mobilité terrestre hydrogène publié cette année par l’association Pôle Vé­hicule du Futur.

 

Un chiffre légèrement biaisé puisqu’il inclut à la fois les près de 67 000 engins de logistique et de manutention, les 9 580 poids lourds, les 7 548 bus et les 112 trains roulants à fin 2023.

 

En observant les chiffres de l’association, les VP représentent la deuxième catégorie de véhicules à hydrogène présents sur les routes avec 66 834 unités vendues dans le monde à fin 2023. Face aux 65,5 millions de voitures particulières écoulées dans le monde, le nombre de véhicules H2 semble plus que marginal.

 

Un marché en trompe-l'œil ?

 

Si elle n’est pourtant pas la cible principale de la motorisation hy­drogène, la voiture particulière tracte le marché. Un marché mon­dial particulièrement fort en Corée du Sud, où la moitié des véhicules à hydrogène sont immatriculés. Un segment porteur qui affiche aussi ses faiblesses avec une baisse des ventes de voitures H2 de 41 % à la fin de l’année 2023.

 

 

En Europe, les ventes de véhicules à hydrogène ont aussi chuté, de 37,3 % avec 856 immatri­culations en 2023. Mais la perfusion de mises à la route de taxis H2 pour les Jeux Olympiques en France per­met de redonner un coup de boost aux immatriculations de véhicules à hydrogène sur le Vieux Continent.

 

En France, elles ont bondi de 158 % entre 2022 et 2023. Une croissance qui devrait être aussi forte à la fin de l’année 2024 puisqu’à Paris, la flotte de taxis roulant avec une pile à combustible a atteint les 1 000 uni­tés.

 

Néanmoins, face à la baisse de la demande en matière de véhicules électriques, il serait légitime de se de­mander si cette croissance n’est pas un trompe-l'œil.

 

"Je tiens à rappeler que le véhicule particulier n’est pas forcément la cible. Mais l’hydrogène permet le meilleur des deux mondes entre les véhicules à batterie et ceux thermiques. La so­lution est ainsi particulièrement per­tinente pour les usages intensifs, donc essentiellement professionnels, tient à souligner Loïc Voisin, président d’Hysetco. L’émergence d’un marché de l’hydrogène dépend d’un travail collectif à l’échelle de toute la filière, de la production de l’énergie aux constructeurs automobiles, en passant par l’infrastructure. Les vrais grands plans de développement autour de la mobilité hydrogène, hors construc­teurs asiatiques, ont commencé à se structurer à partir de 2021. Trois ans plus tard, il est difficile d’avoir du recul et il s’agit d’une filière qui se jugera sur une dizaine d’années."

 

 

Hysetco compte parmi les pionniers en ma­tière de mobilité hydrogène et détient une flotte de 700 véhicules H2 en circulation dans la capitale, qu’il loue notamment aux chauffeurs de taxi.

 

Des constructeurs en poste pour proposer des véhicules H2

 

Pour le moment, peu de construc­teurs se sont essayés à cette motorisa­tion pour les VP. Parmi eux, en pre­mière ligne, Toyota se place comme le principal pourvoyeur de véhicules H2 dans le monde grâce au succès de sa Mirai.

 

 

Hyundai s’est aussi lancé dans la course avec son Nexo ou encore Honda avec la Clarity et le CR‑V H2.

 

Côté européen, outre l’incursion ratée d’Hopium avec la Machina, ce sont les Allemands qui se sont positionnés sur le VP à l’image de Mercedes‑Benz qui propose le GLC‑F‑Cell (hybride hydrogène) ou encore de BMW qui met actuellement à l’essai l’iX5.

 

L’en­treprise a d’ailleurs noué un partena­riat avec Toyota sur les membranes des cellules du système de pile à com­bustible hydrogène de son véhicule. Un partenariat qui s’est d’ailleurs ren­forcé en septembre 2024.

 

Depuis quatre ans, BMW avance pas à pas et met à l’épreuve son modèle à hydrogène par le biais d’une tour­née mondiale d’une centaine d’iX5, que ce soit dans les climats froids de Suède, sous l’humidité ambiante de la Thaïlande ou encore dans les températures extrêmement élevées du désert saoudien.

 

 

"Nous sommes une entreprise d’envergure mondiale et nous voulions tester le véhicule dans des conditions extrêmes afin de voir ses performances dans le but de décou­vrir les différents points de vigilance. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’a rencontré aucune difficulté. Notre expérience nous a permis de recueillir de nom­breux retours positifs, que ce soit de la presse ou des personnes ayant essayé les véhicules", assure Jürgen Guld­ner, directeur du programme général hydrogène chez BMW.

 

Un véhicule à l’essai qui semble prêt à la commercialisation. Pourtant, "la production prévue pour 2028 est maintenue, assure Jürgen Guldner. Le véhicule personnel à hydrogène a toute sa place parmi les modèles à batterie, dans la mesure où il répondra à des cas d’usage vraiment différents. Ac­tuellement, nous pouvons dire que le secteur avance lentement. Les clients sont prêts, mais les infrastructures tardent du fait de la situation politique en Europe. Les États doivent se mettre d’accord dans l’Union européenne et cela prend du temps. Nous pensons qu’en 2028, les infrastructures néces­saires seront installées en Europe et nous ciblons les marchés où elles seront les plus présentes."

 

Hysetco se donne pour objectif d’installer une quinzaine de stations H2 en Île‑de‑France et possède sa propre flotte de taxis. ©Hysetco

 

La stratégie française de l’hydrogène

 

En effet, à l’image de la borne de re­charge comme cheval de bataille du véhicule électrique, les stations de ravitaillement sont primordiales pour voir se démocratiser la mobilité hydrogène.

 

Dans le monde, 900 sta­tions de recharge ont été recensées à la fin de l’année 2023. Un nombre qui devrait dépasser les 1 000 d’ici décembre 2024.

 

Dans l’Union eu­ropéenne, les pays membres n’ap­pliquent pas la même stratégie. Par exemple, les Pays‑Bas ont une poli­tique plutôt nationale, tandis qu’en France, la tendance est aux "écosys­tèmes locaux", où les régions sont mises en concurrence pour attirer les grandes entreprises de la filière.

 

L’Hexagone est l’un des premiers pays à s’être dotés d’un plan hydro­gène. Dans le cadre de son plan de relance, l’État a déjà alloué une enve­loppe de deux milliards d’euros et pré­voit un financement public total de sept milliards d’euros d’ici 2030.

 

Si l’heure est aux économies, Loïc Voisin se veut rassurant. "Si nous sommes davantage dans une forme d’atten­tisme avec les épisodes politiques ré­cents, il faut toutefois noter que les investissements dans l’hydrogène sont tous confirmés dans le cadre du PLF."

 

Là où des régions comme la Bourgogne‑Franche‑Comté ou les Hauts‑de‑France voient en l’hy­drogène une manière de réindustria­liser leur fief, d’autres misent sur les infrastructures de mobilité et l’usage, comme la région Auvergne‑Rhô­ne‑Alpes ou l’Île‑de‑France.

 

Ces der­nières peuvent, en effet, compter sur des acteurs locaux ambitieux comme Hympulsion pour la région Au­vergne‑Rhône‑Alpes, coentreprise entre Michelin, Engie, le Crédit Agri­cole et la Banque des territoires.

 

La société prévoit notamment d’implan­ter 15 stations H2 et vise à accompa­gner les professionnels dans l’achat de 400 véhicules utilitaires légers, 50 bus rétrofités et 30 véhicules lourds. La région avait d’ailleurs remporté le projet Zero Emission Valley.

 

 

L’Île‑de‑France, de son côté, voit en Hysetco un allié de taille. L’entreprise a déjà installé sept stations et vise à en déployer, à terme, une quinzaine. La société de Loïc Voisin compte dans sa flotte 700 véhicules à hydrogène (500 Toyota Mirai et 200 Peugeot e‑Expert H2).

 

L’entreprise connaît une forte croissance et a d’ailleurs levé 200 millions d’euros en 2024. "La stratégie des écosystèmes locaux est excellente pour impulser une dynamique. Dans notre cas, nous avons déjà un résultat opérationnel positif en se concentrant sur nos clients, le service et notre zone francilienne. Cela nous a permis de construire un bu­siness model solide et robuste. Mais il faut un moment quitter cette logique d’écosystème et déployer un réseau d’infrastructures à l’échelle euro­péenne", assure Loïc Voisin.

 

En effet, au niveau de l’Union euro­péenne, sur l’aspect réglementaire, des règles sont posées pour la produc­tion d’hydrogène, mais pas vraiment en matière de mobilité. À l’exception de la réglementation AFIR (Alterna­tive fuels infrastructure regulation), publiée dans Le Journal Officiel en 2023, qui donne des objectifs en ce qui concerne l’implantation de sta­tions de ravitaillement.

 

En effet, il est demandé que chaque station soit ca­pable de livrer une tonne d’hydrogène par jour. D’ici à 2030, les pays devront déployer des stations tous les 200 km le long des grands axes autoroutiers et dans les grands nœuds urbains pour les poids lourds et les utilitaires.

 

Les véhicules utilitaires à hydrogène sur le pont

 

Car ces derniers sont la cible privilé­giée de l’hydrogène. En effet, la batte­rie est une technologie qui convient peu aux véhicules utilitaires. Étant donné que ces véhicules sont amenés à beau­coup rouler, l’hydrogène semble être calibré pour ces derniers.

 

Actuelle­ment, à l’échelle mondiale, 4 139 uti­litaires légers parcourent les routes avec cette motorisation, particulière­ment en Chine où se situent 93 % des VUL à hydrogène. Les immatricula­tions dans ce segment ont d’ailleurs explosé de 185 % entre 2022 et 2023.

 

Sur ce marché, l’Europe est une fourmi avec 300 utilitaires H2 sur les routes à la fin 2023 (7 % des VUL H2 en circulation). Mais la donne pourrait bien changer, car les constructeurs, notamment français, ont bien cerné l’importance de ce segment.

 

 

Par le biais de sa filiale Hyvia, Re­nault, premier sur le marché des uti­litaires, s’est positionné sur le sujet. L’entreprise propose, de son côté, une version hydrogène du best‑seller de la marque au losange : le Master. Pour le moment, elle a immatriculé quelques dizaines de véhicules.

 

Hy­via investit, par ailleurs, dans la mise en place des écosystèmes en propo­sant des offres incluant des stations, l’après‑vente et le service. "Notre volonté est de déployer nos véhicules de façon ciblée, autour de hubs de métropoles ou de pôles hydrogène. Mais nous sommes conscients qu’il ne faut pas y aller seul, mais de ma­nière groupée avec des acteurs de la mobilité routière pour faire grandir le besoin et donner cette taille critique de consommation qui nous permet­trait d’avoir de grosses stations qui, à terme, deviendraient efficaces en prix, explique Nicolas Champetier, direc­teur général d’Hyvia. Je pense que les autorités françaises sont conscientes qu’il faut accompagner l’intention d’achat. Aujourd’hui, il manque un support, car il s’agit d’une technologie chère, avec de petits volumes. Tant que nous sommes dans cette situation de volume faible/prix élevé, nous ne pouvons pas enclencher la boucle de prix/volume classique du monde de l’automobile."

 

En 2022, Xavier Peu­geot, directeur de Stellantis Pro One, l’entité du groupe dédiée aux VUL des marques Opel, Fiat, Citroën et Peugeot, annonçait une gamme de fourgons à motorisation hydrogène.

 

Jusque‑là, les véhicules étaient rétro­fités en Allemagne. Mais deux ans plus tard, le constructeur annonce passer à une autre échelle avec une ligne d’assemblage dédiée à Hordain (59) dans les Hauts‑de‑France, pré­vue pour la fin d’année. L’avenir nous dira si l’État, les infrastructures et les clients répondront présents.

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