Goodyear dans le tourbillon judiciaire après plusieurs accidents mortels
Dix ans que dure une affaire qui a pris cette semaine un nouveau tournant. Mardi 14 mai 2024, trois sites européens de Goodyear ont fait l'objet de perquisitions. Ces investigations entrent dans le cadre d'enquêtes pour "homicides involontaires" ouvertes après l'éclatement de pneus de poids lourds à l'origine d'accidents mortels, a indiqué le procureur de la République de Besançon Étienne Manteaux.
Ce dernier a confirmé que des "perquisitions concomitantes, avant tout informatiques" ont été menées "chez Goodyear en France, au Luxembourg et au siège européen de l'entreprise à Bruxelles", après une "demande d'entraide pénale internationale émise par le juge d'instruction de Besançon", a déclaré à l'AFP le procureur de la République.
"L'objectif de ces perquisitions est de déterminer le degré de connaissance par Goodyear de la dangerosité des pneus Marathon LHS II et Marathon LHS II+ et le nombre de sinistres qui ont été portés à sa connaissance", a-t-il encore précisé.
Des accidents fatals à sept personnes
En juillet 2014, le camion-citerne de Jean-Paul Rollet est violemment percuté par un autre poids lourd qui vient de traverser la glissière centrale après l'éclatement de son pneu avant gauche, sur l'autoroute A36 dans le Doubs. Les deux chauffeurs décèdent.
Refusant la "fatalité du routier" et le classement sans suite de l'affaire, sa femme Sophie Rollet enquête et se persuade de la responsabilité des pneus dans la collision. L'ancienne assistante maternelle, mère de trois enfants, dépose une plainte en 2016 avec constitution de partie civile auprès du tribunal de Besançon.
Un juge d'instruction de Besançon enquête depuis sur trois dossiers de collisions mortelles, dont celle concernant Jean-Paul Rollet, impliquant des poids lourds équipés de pneus fabriqués par la société américaine, des modèles Marathon LHS II ou Marathon LHS II+.
Quatre personnes ont perdu la vie dans ces collisions survenues dans le Doubs et dans la Somme en juillet 2014 ainsi que dans les Yvelines en avril 2016. D'après les investigations, ces accidents mortels ont été causées par l'éclatement du pneu avant gauche, qui a fait perdre le contrôle des véhicules aux chauffeurs.
Un défaut de fabrication identifié par les experts
Pour chacun de ces dossiers, des experts différents ont conclu que l'éclatement des pneus n'était pas dû à une cause extérieure mais à un défaut de fabrication, relevant notamment d'"une décohésion des nappes" métalliques qui constituent la structure du pneu et le fait que "la bande de roulement s'est décollée".
Les dossiers de quatre autres collisions similaires survenues entre 2011 et 2014 dans l'Hérault, l'Indre et l'Isère, dans lesquelles deux personnes sont mortes, ont par ailleurs été versés à l'instruction judiciaire, à titre d'information en raison de la prescription des faits. Plusieurs experts ont également conclu à un défaut de fabrication.
Aucune campagne de rappels
"Goodyear n'a jamais reconnu de problème de sécurité", même pressé par les constructeurs de poids lourds suédois Scania et allemand MAN qui, constatant la dangerosité des pneus Marathon LHS II et LHS II, ont expressément demandé à l'automne 2014 à leurs clients de "retirer" ces pneus, remarque le procureur.
Pourtant, dès "mars 2014, la société Goodyear a mis en place un programme d'échange auprès de ses clients baptisé Tango", selon Étienne Manteaux.
La société "aurait pu faire une campagne de rappel, mais là c'est un échange commercial : beaucoup de sociétés n'ont pas répondu car on ne leur a pas dit qu'il y avait un problème de sécurité", relève-t-il. "Si un programme de rappels avait été mis en place, on peut penser que ces personnes (décédées après mars 2014) seraient encore en vie", regrette le magistrat.
Des données informatiques vont être analysées
Un programme comparable à Tango avait également été déployé en Espagne dès 2013, précise-t-il, soulignant l'effet néfaste de la chaleur sur les pneumatiques mis en cause. "Un lanceur d'alerte", a par ailleurs versé au parquet "des éléments provenant de la société Goodyear sur des dossiers d'indemnisation ouverts après des sinistres similaires", confie Étienne Manteaux. "Il y en a plein, dans plein de pays européens".
À la suite des perquisitions, "de nombreuses données informatiques" ont été collectées. Elles "vont pouvoir être exploitées par les enquêteurs", a déclaré jeudi 16 mai 2024 le procureur de la République de Besançon.
Ce dernier a toutefois souligné que Goodyear pouvait encore contester en justice les saisies effectuées au Luxembourg et en Belgique. "La remise des scellés aux enquêteurs français sera donc subordonnée à la validation des saisies opérées par un juge au Luxembourg et en Belgique", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. (Avec AFP)
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