Vente aux enchères : gare à l'arnaque !
...en Allemagne avec des compteurs kilométriques trafiqués et qui pratique aujourd'hui sans aucun agrément, en toute illégalité.
En janvier 2003, Monsieur X a cru faire une bonne affaire en acquérant dans une vente aux enchères organisée par la Générale des Ventes (LGV), à Vitry-sur-Seine (94), une Audi A6 peu kilométrée (23 000 km, carnet d'entretien en bonne et due forme à l'appui). Un professionnel lui aurait dit de se méfier de ce véhicule immatriculé en Allemagne mis à la vente par une société allemande, D. Haddad Import Export. Il s'est en effet avéré que le véritable kilométrage du véhicule dépassait amplement les 100 000 km. Depuis, Monsieur X ne s'est pas encore fait dédommager et n'est pas parvenu à faire condamner la salle des ventes, ni le commissaire-priseur. Celui-ci, Bernard Rey, a d'ailleurs disparu il y a deux mois, en emportant pour 1,6 million d'euros de recettes. Quant à la société LGV, elle n'a jamais eu d'agrément par le Conseil des ventes chargé du contrôle de la profession. Cela ne l'empêche pas de continuer à organiser des ventes, ce qui constitue une infraction pénale. "Comme aucun commissaire-priseur ne peut travailler avec eux sans être agréé, ils ont recours à des huissiers pour organiser leurs ventes, explique Gérard Champin, président du Conseil des ventes. C'est désormais le Parquet qui a le dossier en main."
Un VO sur trois avec un faux kilométrage en Allemagne
"Pour notre part, nous nous interdisons d'acheter des véhicules en provenance de Belgique ou d'Allemagne, il y a trop de risques que leur compteur kilométrique soit falsifié", déclare Fabrice Léger, directeur commercial du réseau Five Auction (25 000 véhicules vendus en 2003 à travers 6 sites). En effet, si la remise à zéro des compteurs est interdite en France (Décret du 4 octobre 1978) et si le kilométrage doit être indiqué en préfecture lors de la vente d'un véhicule, afin d'assurer sa traçabilité, ce n'est pas le cas en Allemagne ou en Belgique. "Environ un véhicule d'occasion sur trois s'est fait rajeunir le kilométrage en Allemagne", estime-t-on à la direction régionale de la répression des fraudes de Strasbourg qui reçoit chaque année une cinquantaine de plaintes d'acheteurs français pour ce problème. La seule obligation légale pesant sur le vendeur est d'en informer l'acquéreur. Ainsi, dès lors que le véhicule est une seconde main, le kilométrage n'est plus pris en compte par les acheteurs allemands qui ne se basent plus que sur l'âge et l'équipement du véhicule. La pratique est si courante en Allemagne que des petites annonces paraissent régulièrement dans la presse, dans lesquelles des "spécialistes" offrent un "réajustement" du compteur kilométrique. Et les véhicules récents ne sont pas à l'abri : "Certains sites Internet proposent des outils dédiés qui permettent de modifier l'affichage du kilométrage, explique un garagiste. Les véhicules des marques les plus touchées, Mercedes et BMW, disposent néanmoins de boîtes noires inviolables sur lesquelles le kilométrage réel peut être consulté à l'aide d'un outil de diagnostic classique." Mais c'est souvent trop tard pour le particulier français qui s'est fait flouer.
Travailler avec des apporteurs qui ont pignon sur rue
La robustesse des marques allemandes permet en outre de faire passer un compteur de 200 000 km à moins de 100 000 km sans que cela soit trop voyant. "Surtout qu'avant d'être vendus, les véhicules allemands sont révisés et les pièces d'usure sont changées, analyse Fabrice Léger. Il n'y a plus guère que les pédales qui donnent des informations sur l'ancienneté du véhicule : à 20 000 km, elles doivent encore être comme neuves." Quant au carnet d'entretien, outre le fait qu'il n'est pas fourni systématiquement, il est facilement falsifiable dès lors que l'on dispose du tampon d'une concession ou d'un garage.
Pour Eric Jacquard, qui dirige la salle des ventes de Toulouse du réseau Kantium (28 500 véhicules vendus en 2003 à travers 5 sites), "la seule façon de ne pas tomber dans ces pièges, c'est de travailler avec des apporteurs réguliers qui ont pignon sur rue : des loueurs longue durée, des établissements financiers, des constructeurs. Ceux qui proposent des véhicules étrangers obtenus par des sociétés dites d'import/ export savent très bien où ils mettent les pieds". "Ces pratiques frauduleuses ne sont pas possibles en province, estime Fabrice Léger, car le bouche à oreille ferait vite son effet. En revanche, en région parisienne, la quantité d'acheteurs potentiels est telle que ces pratiques peuvent perdurer."
Quels sont les recours juridiques possibles ?
"Si l'on prouve que le kilométrage est erroné, en recourant au service d'un expert, la vente est nulle et la société de vente doit rembourser l'acheteur", explique Gérard Champin. "Le client peut également recevoir des dommages et intérêts s'il démontre que la société de vente n'a été pas assez regardante sur la qualité de ses fournisseurs." Certaines salles tentent de s'exonérer de leurs responsabilités en indiquant des mentions du type : "Toutes les informations décrites sur notre catalogue sont données à titre purement indicatif, aucune réclamation ne sera admise après l'adjudication." Mentions qui n'ont aucune valeur juridique.
En revanche, pour obtenir la condamnation pénale de la salle et faire cesser un éventuel trafic, il faut prouver qu'il y a intention frauduleuse de sa part, c'est-à-dire qu'elle avait connaissance de la falsification du kilométrage, chose beaucoup plus difficile puisqu'il faut remonter la filière allemande. "La légèreté de leur législation en matière de modification des compteurs et l'absence d'un homologue au niveau national rend notre mission presque impossible", explique notre interlocuteur de la DRCCRF de Strasbourg. Avis donc aux acheteurs : fuyez comme la peste les sociétés de vente non agréées par le Conseil des ventes (informations sur le site conseildesventes.com) et méfiez-vous des véhicules en provenance d'Allemagne ou de Belgique.
Xavier Champagne
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