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Distribution

Un nécessaire changement d’ère

Publié le 22 mai 2009

Par Alexandre Guillet
6 min de lecture
OL : Les constructeurs ont apporté la preuve qu'ils ne savaient pas vendre de voitures. Ils ont essayé. Par leur propre réseau de succursales, ça n'a pas marché… Par Internet, en direct, ça n'a pas marché… Ils doivent se raccrocher...
...au réseau de distributeur à chaque fois, sans quoi ça se passe mal. Aujourd'hui, nous considérons que nous ne devons pas partir en guerre avec les constructeurs. Nous devons travailler avec les constructeurs dans un cadre rééquilibré. On ne peut pas continuer comme ça. Cela fait 30 ans que je suis dans la distribution, j'ai connu des délits de faciès, des gens qu'on a mis dehors, acculé à la faillite parce qu'à un moment, leur tête ne revenait pas à un des cadres de la direction commerciale d'un constructeur.

PC : Mais dans la réalité, il n'y a pas beaucoup de multimarquisme au sein de mêmes locaux.

OL : J'ai une concession Renault qui fait également Dacia, Nissan et Toyota. Je peux vous dire que ça n'a pas enchanté les gens de chez Renault que je mette Toyota, mais ça fonctionne.

PC : Globalement, sur le nombre de concessions qui existent…

OL : Mais là aussi, c'est parce que nous sommes au début du règlement. Les mentalités sont longues à changer. Vous avez énormément de distributeurs qui n'ont pas un lien adulte avec le constructeur… J'ai eu des dizaines de collègues qui m'ont dit, "ah tu fais Volkswagen, tu fais Toyota, t'as du bol. C'est une bonne marque. J'ai failli le faire mais je ne l'ai pas fait". Pourquoi ? "Parce quand j'ai demandé à Renault, ils n'ont pas voulu…". Il y a des dizaines d'exemples comme ça. C'est bien la preuve de cette dépendance qui peut exister. Nous sommes une nouvelle génération de distributeurs qui nous affranchissons de la tutelle des constructeurs. Je pense que même du côté des constructeurs, on a tout intérêt à trouver une relation beaucoup plus équilibrée.

OG : Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait eu une croissance du rapport de domination des constructeurs vis-à-vis de leur réseau. Il n'y a pas de déséquilibre accru par rapport à autrefois. Il me semble même qu'après six années d'application du règlement 1400/02, les relations sont plus apaisées qu'autrefois et sans doute grâce à la distribution sélective.

OL : Il n'y a pas plus de dépendance. De toute façon, il ne pouvait pas y en avoir plus. Le souci est qu'en sortant de l'exemption, un certain nombre de choses pourraient disparaître. Encore une fois, on gère et on régule les relations entre distributeurs. Soit. Mais nous, ce qui nous intéresse, ce sont les relations avec les constructeurs. Si demain, nous sommes dans un règlement général, nous n'aurons plus le droit de faire du multimarquisme, un constructeur pourra imposer que 80 % des pièces viennent de chez lui, il n'y aura pas de durée de contrat, il n'y aura pas de préavis de résiliation, pas de motivation de résiliation. Il y a la possibilité pour le constructeur de s'opposer à la vente d'un autre opérateur du réseau… Il y a quand même tout un tas d'éléments qui font que le règlement général renforcerait la position dominante des constructeurs.

PC : Nous serions alors dans un système de franchise, sans les contraintes de la franchise.

OL : Exactement ! Et demandez donc aux distributeurs automobiles s'ils veulent entrer dans un système de franchise, si on leur garantit un résultat de 2 % après impôts. Moi, je veux bien étudier la possibilité. Je suis convaincu que la crise actuelle va changer profondément les choses parce que nous ne gagnons plus d'argent sur les voitures neuves. Tout le monde le reconnaît. Il y a une telle guerre des prix entre les constructeurs que, aujourd'hui quand nous proposons un véhicule à 5 900 euros, c'est le prix d'une Dacia Sandero GPL, nous sommes au bout du bout. Se rattraper sur le VO ? Bien sûr. Mais à partir du moment où le prix des voitures neuves chute comme il le fait depuis le mois de décembre, par l'effet combiné de la prime à la casse et de la promotion des constructeurs, vous avez une répercussion sur le prix de l'occasion qui fait qu'aujourd'hui, les collègues qui ont vendu en location, en longue comme en courte durée, ont des véhicules qui rentrent et qui sont à des prix supérieurs aux prix de vente des voitures neuves. Il n'y a personne qui peut acheter ça. Soit vous la gardez en vous disant, "tant que je ne l'ai pas vendue, ce n'est pas perdu" - et c'est une pratique assez répandue parce que de plus en plus de distributeurs n'ont plus les moyens d'afficher des pertes importantes - soit vous acceptez de perdre 1 000, 2 000 ou 3 000 euros par véhicule. J'ai même entendu dire que BMW AG avait provisionné plus d'un milliard d'euros sur ses buy-backs à venir. C'est quand même un vrai problème. Si on ajoute à ça, que pour certaines marques, la principale source de profit est l'après-vente et qu'aujourd'hui, vous avez des clients qui attendent avant de faire leur révision parce que les temps sont durs, les ateliers sont loin d'être pleins. Nous arrivons encore une fois au bout du bout et il va falloir des vraies discussions.

EF : Si le système de distribution actuel est trop onéreux, à quoi cela peut-il tenir ? Au sujet d'Internet, on a tous envie de dire que, un jour ou l'autre, ça se développera et qu'il s'agira de définir dans quelle mesure le réseau interviendra. Ce n'est pas simple, car la logique d'Internet, c'est qu'il n'y a pas de réseau du tout. Peut-être qu'on peut imaginer des points de livraison ou des centres d'essais.

PC : Internet est une demande forte des consommateurs. C'est un canal de distribution qui se développe de manière très forte. Les constructeurs ont y envie d'y aller. Or, ils sont actuellement un peu bloqués par le réseau et je pense qu'ils ont envie que le règlement leur permette de travailler directement avec Internet, quitte à livrer des véhicules en se servant des points de vente dont ils ne se sont jamais servis jusqu'à présent. C'est un point sur lequel il y a peut-être moyen de s'entendre entre réseau et constructeur, car je pense que l'une des attentes fortes des constructeurs est de faire de la distribution multicanal, sachant que la crise a modifié les comportements des consommateurs qui recherchent les bonnes affaires et qu'ils sont de moins en moins prêts à payer des systèmes de distribution coûteux…

Propos recueillis par Alexandre Guillet et David Paques

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