Pierre Guirard, Wyz Group : "Maintenir le lien avec les équipes"
Wyz Group est implanté à Compiègne, dans l'Oise, l'un des premiers clusters français à avoir été confiné, deux semaines avant que tout le pays ne soit touché. Comment vous êtes-vous organisés ?
Nous ne vivons pas tous la même histoire et il est vrai que pour nous cette crise a commencé très tôt. Dès le 26 février, alors qu'un premier décès lié au Covid-19 avait été constaté à l'hôpital de Compiègne, qui se trouve à 200 mètres de notre siège, nous avons pris la décision de mettre tous nos collaborateurs en télétravail. Même si, à l'époque, nous n'avions pas le même niveau de connaissance sur cette pandémie qu'aujourd'hui, nous pressentions la gravité de la situation et nous ne voulions prendre aucun risque avec nos équipes. Pour l'anecdote, nous avions créée quelques semaines plus tôt un groupe de travail censé plancher, pour la fin 2020, sur une nouvelle organisation du télétravail chez Wyz. Finalement, tout s'est accéléré. Nous avons l'avantage de pouvoir travailler facilement à distance et d'avoir déjà des outils communiquants ce qui nous a permis de ne pas tomber dans les pièges habituels induits par ce genre de situation.
Depuis le début de l'aventure Wyz en 2009, vous rappelez souvent que votre réussite est autant liée à votre savoir-faire qu'à vos collaborateurs. On vous imagine très attentif à eux…
Ce qui est important, c'est de maintenir le lien avec tout le monde, que personne ne perde le fil. Il faut bien comprendre que, du jour au lendemain, les habitudes de chacun ont été bouleversées. A cela s'ajoute aussi le côté anxiogène de la situation et ses répercussions économiques. Nous avons fait le choix de laisser notre équipe IT mobilisée à 100 % pour que, dans cette période moins intense, ils aient le temps d'améliorer nos outils informatiques, nos plateformes, nos outils de gestion, de sorte à être encore plus performants à la sortie. A l'inverse, nous avons mis une partie des équipes en chômage partiel et cette différence de "traitement" a pu créer de la frustration car tout le monde voulait participer activement à la vie de l'entreprise. Il a donc fallu prendre du temps avec chaque collaborateur pour bien expliquer les choses. Finalement, tout s'est bien passé mais cette étape était incontournable car, quand l'activité va repartir, nous aurons besoin de tout le monde et nous ne pouvons pas laisser des gens de côté.
"Il y avait une réelle crainte chez certains de ne plus être dans l'histoire"
Plus que de les rassurer, impliquez-vous vos salariés dans l'évolution de votre situation ?
Absolument. Il y avait une réelle crainte chez certains de ne plus être dans l'histoire et nous avons réglé ce problème en étant totalement transparent. De suite, nous avons expliqué aux collaborateurs que nous faisions notre maximum pour gérer la crise et que nous maintenions le lien avec nos interlocuteurs, qu'il s'agisse de nos associés, nos banquiers ou nos clients. Très tôt, nous avons eu une vision nette de la situation et nous l'avons partagé avec les équipes. Nous leur avons expliqué que nous perdions de l'argent tous les jours mais que nous avions la capacité de tenir quelques mois. Ce qui est très important, c'est aussi de donner des objectifs aux gens. Dès le départ, nous avons donné une projection : nous tablions sur deux mois minimum d'arrêt et nous avons étayé sur la manière dont nous allions gérer cette période ainsi que sur notre vision de l'après. Le tout est restant serein malgré la tempête.
Pour garder le lien avec eux, vous avez aussi créé les "Rendez-vous RH de Wyz" auxquels participent des gens d'horizons variés (Jean-Michel Aulas, Cécile de Ménibus, Gérard Saillant, Elodie Gossuin…). Quel est l'objectif ?
Ce fameux fil conducteur, nous avons voulu le concrétiser d'une autre manière. Chaque lundi, pendant une heure, tous les collaborateurs sont invités, sans obligation, à suivre ce rendez-vous d'information. Nous consacrons 15 minutes à la vie de l'entreprise de façon simple et efficace. Ensuite, nous donnons pendant 45 minutes une sorte de bouffée d'oxygène à chacun avec le témoignage exclusif d'une personnalité qui va nous parler de son parcours, de son savoir-faire, de ses idées et qui va partager son enthousiasme, son dynamisme, sa bienveillance sous forme de questions-réponses. L'idée étant que les gens ressortent regonfler de ce moment. Ce qui est très sympa, c'est que nous partageons ce moment avec les équipes mais aussi avec leurs familles puisque le conjoint et les enfants y assistent.
"Nous avons perdu 96 % de notre chiffre d'affaires…"
Sur le plan du business, la majeure partie de vos clients sont des constructeurs ou des groupes automobiles (Ford, Mercedes, Nissan, PSA, Renault, Toyota, Volkswagen, Volvo…). Avec la fermeture de leurs points de vente, votre activité est-elle complètement à l'arrêt ?
Nous avons perdu 96 % de notre chiffre d'affaires… La chute a été brutale puisque le lundi suivant l'annonce du Premier ministre Edouard Philippe de fermer tous les commerces non-essentiels nous étions tombé à 40 % et le mardi, au premier jour du confinement, nous descendions à 4 %. Depuis, c'est globalement notre rythme même si, la semaine dernière, nous avons réussi à doubler notre chiffre d'affaires (rires) ! Cette situation est d'autant plus dommageable que nous avions réalisé un très bon début d'année avec une croissance de 24 % à fin février. L'objectif de passer en 2020 du statut de PME à ETI, en dépassant les 50 millions d'euros de CA, ne pourra pas être tenu. En résumé, nous allons enregistrer un résultat comparable à 2019 mais sur seulement neuf mois et avec un rythme d'ETI.
Votre entreprise a la réputation d'être saine. Où en êtes-vous sur le plan de la trésorerie ? Cette situation est-elle tenable à long terme ?
Nous avons effectivement une trésorerie qui est saine. Entre le confinement et la reprise, nous imaginons ne pas avoir d'activité pendant trois mois et nous avons la capacité de passer ce moment. C'est aussi cette gestion qui nous a convaincu, dans un soucis d'intégrité, de ne pas mettre tout le monde en chômage partiel. Après, le retour à la normale dépendra d'une part du redémarrage de nos clients, chose que nous ne maitrisons pas du tout, et de leur capacité à alimenter la chaîne financière. En prévision d'éventuels retards de paiement, nous avons déjà anticipé une ligne de crédit supplémentaire auprès de nos partenaires banquiers.
"J'espère que nous ressortirons grandis de ce moment"
Pour conclure, et même si la situation rend toute projection très difficile, que retiendrez-vous de cette expérience ?
Quelque jours après le début de cette crise sanitaire, je me suis souvenu du témoignage prémonitoire que Didier Leroy, ex-numéro deux monde de Toyota, avait tenu en début d'année à HEC. Il soulignait que son groupe était souvent raillé par les analystes financiers pour ses énormes réserves financières et expliquait que c'était ce qui avait permis à Toyota de se sauver du tsunami de 2011. En faisant le parallèle avec ce que nous vivons actuellement, j'espère que nous allons apprendre aux futurs entrepreneurs à être encore plus vigilants en ayant 4, 5 ou 6 mois de trésorerie d'avance pour le bien de leur société. Ça rendra les choses plus saines. Sur le plan humain, je crois que cette épisode va fondamentalement changer le management des salariés. Cette expérience rend les gens encore plus responsables qu'ils ne le sont déjà et crée de la cohésion dans les équipes. Enfin, j'espère aussi que les gens vont prendre conscience des bêtises que nous avons fait ces dix ou vingt dernières années sur le plan écologique, sur le plan des rythmes de travail aussi, ou encore sur le plan des multiples déplacements qui coûtent autant d'argent que d'énergie… J'espère que nous ressortirons grandis de ce moment.
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