"Nous avons beaucoup de devoirs par rapport aux constructeurs, mais peu de droits"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Vous avez procédé en 2008 à une réorganisation stratégique qui a abouti à la filiale Clara. Pouvez-vous rappeler quelles étaient les finalités de cette mutation ?
PAUL-HENRI DUBREUIL. Clara, que nous avons créée en septembre 2008, est la réunion de toutes nos concessions sous une seule entité juridique. Elle est aujourd’hui dirigée par un unique patron, Robert-Claude Soria. Historiquement, notre pôle automobile était constitué d’affaires très indépendantes avec des concessionnaires qui étaient associés dans le capital dans des proportions très importantes. Désormais, nos directeurs de sites se concentrent sur le commerce à clients et le management des hommes. Toutes les activités “centralisables”, à savoir le marketing, la logistique, la préparation des VO, le stock VN ou encore la relation avec le constructeur, sont gérées depuis notre siège des Essarts (85). Les sites sont ainsi délestés de ces tâches périphériques et fastidieuses au bénéfice du commerce local. La naissance de cette nouvelle structure de 650 salariés, qui s’est accompagnée d’une réduction des effectifs, a conduit à la redéfinition des postes de chacun. Nous avons trouvé une nouvelle sérénité et une vision stratégique à moyen terme en adéquation avec celle du constructeur.
JA. Ce projet structurel a-t-il porté ses fruits au niveau des résultats du groupe ?
P-HD. Cette réorganisation est intervenue en plein cœur de la crise financière, même si le secteur automobile n’avait pas encore été touché. Nous avons donc plutôt été précurseurs. Pour autant, la réorganisation a été dure et a nécessité plusieurs mois. Clara a commencé à donner ses pleins effets au courant de l’année 2010 qui a été une belle année, il est vrai aidée par la prime à la casse et les incitations gouvernementales. Aujourd’hui, au global, nous sommes plutôt performants en VN, puisque nous sommes régulièrement au-dessus de la pénétration du constructeur. Nos rentabilités sont relativement satisfaisantes par rapport à l’environnement Peugeot. Cette entité a permis de fédérer véritablement le pôle automobile qui était auparavant constitué de gens un peu trop “francs-tireurs” à notre goût. Si les responsables de sites suivent le chemin que nous avons balisé, s’ils appliquent les procédures et s’ils sont bons commerçants, ils ont des réussites. Clara a permis de lisser vers le haut le résultat des affaires.
JA. Cette réorganisation répondait aussi à un objectif de synergies, d’optimisations. Comment opèrent-elles désormais ?
P-HD. Le stockage VN est centralisé, c’est-à-dire que tous nos VN arrivent et sont préparés aux Essarts. Nos 17 sites peuvent donc choisir des voitures dans un stock mutualisé de 1 000 unités. Désormais industrialisée, la préparation VN assure une meilleure qualité de préparation. Nous disposons d’une flotte intégrée de six camions qui desservent nos sites une à trois fois par semaine, selon leur taille. Nous avons allégé nos stocks VN et VO sur nos points de vente, ce qui nous permet de bâtir de nouvelles concessions de taille restreinte, comme notre prochaine affaire de Fontenay-le-Comte (85). Nous avons nommé dans chaque métier des responsables - financement, ventes à sociétés, VO, après-vente - afin de mettre de l’huile dans les rouages et d’amener de la performance. La gestion des ressources humaines a également été redéfinie car nous nous sommes rendu compte que nous manquions d’une politique de groupe à ce niveau. Un salarié est chargé des opérations marketing au sein de Clara, relayé par un call-center composé de cinq opératrices qui font des appels sortants afin de prendre des rendez-vous pour nos vendeurs. Nous faisons 1 000 appels par mois, c’est loin d’être symbolique et cela produit des résultats intéressants. L’avantage, avec Clara, est que nous pouvons faire 15 000 véhicules demain sans rien changer.
JA. Votre plate-forme occasion Oscar fêtera ses cinq ans début 2012. Pourquoi a-t-elle été si longue à accoucher ?
P-HD. Oscar s’inscrivait dans la mouvance de la réussite d’Opal* et dans la philosophie de spécialisation du groupe. A cette époque, la gestion VO était trop disparate et ne répondait pas à une cohésion d’ensemble. Nous n’étions pas un groupe automobile, mais une juxtaposition d’affaires. En 2003, Opal a très vite trouvé ses marques grâce à une bonne compréhension du système par les directeurs des sites qui y ont trouvé leur intérêt.
A contrario, Oscar a été très difficile à mettre en place car nous touchions au cœur de l’activité des points de vente du groupe. Oscar a été mal accueilli et mal compris par nos concessionnaires de l’époque, qui n’ont donc pas été moteurs de ce projet qui préfigurait pourtant la nouvelle stratégie du groupe. Par conséquent, nous avons déploré quelques frictions avec nos concessions, qui ont abouti à des départs, et nos volumes de ventes de VO à particuliers comme à marchands se sont effondrés. La page difficile est derrière nous, mais nous aurons mis trois ans à mettre Oscar en ligne et à trouver des règles du jeu qui conviennent à toutes les parties.
JA. Comment expliquez-vous cette incompréhension ?
P-HD. Nous sommes allés vite et le concept n’était peut-être pas encore totalement calé. A l’époque, nous prenions toutes les décisions pour les concessions, qui n’étaient donc plus maîtresses de leur politique VO. Ce fut notre principale erreur, qui a conduit au départ de nos responsables occasion.
JA. Comment se porte le pôle automobile du groupe à ce jour ?
P-HD. Si nous additionnons les résultats d’Opal, de Clara et d’Oscar, nous affichons une rentabilité supérieure à 2 %, ce qui, dans notre métier, est bien. L’année 2011, et plus particulièrement le second semestre, sera plus difficile, mais pas catastrophique car les prises de commandes sont convenables. Nous nous attendions presque à pire. C’est dans ce contexte plus rude que nous pourrons observer si notre organisation Clara va nous permettre d’être meilleurs que les autres. Notre volonté est de figurer dans le haut du panier.
JA. Le groupe est monomarque Peugeot depuis deux ans. Cette situation vous satisfait-elle ?
P-HD. Nous avons vendu nos deux affaires Citroën fin 2009 parce que nous n’avons pas eu d’opportunités de développement avec cette marque. Or, dans notre groupe, notre valeur ajoutée repose sur une taille critique organisationnelle. Nous avons eu l’opportunité de reprendre deux sites Peugeot dans les villes où nous étions présents avec Citroën, aussi avons-nous préféré renforcer notre dispositif Peugeot. Nous sommes donc monomarque, mais il ne s’agit pas d’une volonté délibérée. Nous ne fermons la porte à aucune opportunité à condition qu’il y ait des volumes et qu’elles répondent à une cohérence géographique, c’est-à-dire dans un rayon de 250 kilomètres autour de La Roche-sur-Yon. Si une belle marque généraliste ou une plaque de 4 000 à 5 000 véhicules venait à se libérer sur ce même secteur, nous manifesterions notre intérêt. Notre priorité absolue serait d’acquérir des concessions Peugeot dans cette zone. Le fait est que nous avons en face de nous les groupes PGA et Gemy, et très peu d’indépendants. Mais nous ne sommes pas à tout prix dans une logique d’acquisitions.
JA. La dynamique actuelle de Citroën ne vous laisse-t-elle pas des regrets ?
P-HD. Certes, la marque Peugeot est peut-être légèrement moins en forme aujourd’hui que Citroën, mais elle n’en reste pas moins une valeur sûre avec un plan produit et un renouvellement de design encourageants. Je préfère m’appuyer sur 17 concessions Peugeot où je trouve des synergies.
JA. Vous avez racheté en avril le groupe Carmoine via votre entité Auto Pièces Atlantique. Avez-vous d’autres velléités dans ce secteur d’activité ?
P-HD. Ce fut pour nous une belle acquisition qui va nous permettre d’entrevoir une organisation logistique différente, via une plate-forme ou des flux centralisés. C’est le projet sur lequel nous travaillons actuellement. Nous sommes persuadés que, dans ce métier de distributeur AD, il y a des choses à revisiter. Il ne faut pas casser les outils, mais les faire évoluer. Nous ne parviendrons à motiver les gens que si nous nous inscrivons dans une dynamique de mouvements et de projets. Nos distributeurs AD affichent une rentabilité entre 4 et 5 %, c’est un métier où il y a des marges brutes importantes, mais nous devons nous battre au niveau des prix contre les sites Internet de pièces qui viennent nous torpiller. Nous devons rester vigilants. Si nous affichons les mêmes tarifs, il n’y a pas de raison que les gens aillent sur Internet.
JA. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la distribution automobile ?
P-HD. J’ai commencé dans le groupe dans le secteur des produits alimentaires et des produits pétroliers avant de participer à la restructuration de l’activité automobile en 2008. Mais, à la base, il ne s’agissait pas d’un métier qui m’intéressait car je trouvais que l’espace de liberté laissé par le constructeur était très faible. Notre intérêt a donc reposé sur la création des structures Opal, Oscar et Clara, qui nous permettent d’avancer différemment.
JA. Sur votre site Internet, vous vous présentez comme un groupe financier familial. Quels sont les bases et les enjeux qui caractérisent ce positionnement ?
P-HD. Nous sommes un groupe financier avec une vision patrimoniale à long terme. Les banques nous prêtent, certes, de l’argent pour notre développement, mais elles ne sont pas décisionnaires dans la stratégie du groupe car son capital est entièrement familial. Nous ne changeons pas d’avis tous les deux ou trois ans, à l’image des fonds d’investissement. Nous avons vécu deux années et demie épouvantables dans le TP. Nous aurions pu revendre cette branche en estimant qu’elle ne rapportait plus rien, mais nous avons préféré restructurer en attendant une reprise, et l’activité est repartie cette année. Plus que les primes du constructeur, il est surtout nécessaire d’avoir une stratégie commerciale et de ressources humaines qui s’inscrive dans la durée pour conserver les gens de qualité.
En revanche, si nous estimons que nous avons fait le tour d’un métier, nous arrêtons. Nous sommes sortis du bricolage après trente ans parce que nous n’y trouvions plus d’opportunités d’expression et de développement. Nous avons été concessionnaires Citroën pendant neuf ans et pas une seule fois ils nous ont proposé de racheter une concession. Comme nous avions créé Opal et que nous étions un peu originaux dans notre approche du métier, nous avons toujours été un peu considérés comme des “parias” chez Citroën, qui préfère des concessionnaires qui respectent à 100 % la ligne du parti.
JA. Vous n’avez pas pu faire avec Citroën ce que vous avez fait avec Peugeot ?
P-HD. Quand nous avons demandé à Citroën de mettre en place un système de plate-forme identique pour les pièces, nous avons essuyé des non systématiques, alors qu’eux-mêmes le font pour leurs filiales. Les politiques commerciales sont radicalement différentes entre les deux marques. Ce n’est pas un hasard si l’on dit souvent que ce sont un peu des frères ennemis.
JA. Avez-vous songé à arrêter votre activité automobile ?
P-HD. Nous ne sommes pas figés sur un métier et nous ne sommes pas nés dans l’automobile. Au sein de notre groupe, ce secteur n’est pas nécessairement, à ce jour, le plus profitable. Nous avons fait un peu plus de 2 % de rentabilité en 2010 pour la partie automobile. Nous sommes en dessous de la moyenne groupe qui affiche 3 %, mais il faut savoir qu’en 2007, 2008 et 2009, nous étions très en dessous de la rentabilité du groupe. En 2008, au moment du lancement d’Oscar, les concessionnaires ont commencé à jouer contre nous plutôt qu’avec nous, les résultats et notre organisation n’étaient pas satisfaisants, et nous nous sommes clairement posé des questions. Deux voies s’ouvraient alors devant nous : relancer l’activité ou passer à autre chose. Avec Robert-Claude Soria, nous sommes repartis d’une feuille blanche et avons déterminé les grandes lignes de notre nouvelle structuration.
JA. Dans un contexte de concentration de la distribution automobile, le rapport de force n’est-il pas plus favorable aujourd’hui aux gros groupes comme le vôtre ?
P-HD. Nous avons commercialisé 11 000 Peugeot en 2010. Je ne me considère pas davantage en position de force qu’un distributeur qui commercialise 2 000 unités parce que nous achetons les voitures au même prix. Les règles du jeu sont identiques. L’un des principes de base de la distribution consiste à bénéficier de meilleurs achats grâce à son volume. Dans l’automobile, ce n’est pas le cas. Nous ne négocions rien, nous avons beaucoup de devoirs par rapport aux constructeurs, mais peu de droits. Par conséquent, dans ce secteur, la taille n’est pas un atout en tant que tel. Elle ne le devient que si nous mettons en place des synergies. Le constructeur fixe la règle du jeu, et c’est à nous de jouer avec pour optimiser au mieux notre compte d’exploitation. Sur ce point-là, nous sommes satisfaits car nous avons pu, enfin, grâce à notre poids, trouver des synergies et une organisation qui aujourd’hui fonctionne. Quand j’ai présenté le projet Clara au nouveau directeur commercial de Peugeot en juin 2008, il m’a répondu : “Je ne suis pas sûr que ça marche.” La mise en place a été dure, mais aujourd’hui, Clara est montrée en exemple chez Peugeot en termes d’organisation et nous sommes pilotes sur tous les projets parce que nous avons les compétences.
JA. Vous êtes présents aux Antilles via deux secteurs d’activité. Avez-vous envisagé un développement dans le secteur auto ?
P-HD. Nous faisons déjà de la distribution TP aux Antilles, mais pas encore d’automobiles. C’est particulier et extrêmement verrouillé entre les familles historiques. Si une opportunité se présentait, pourquoi pas, mais ce serait avec une belle marque généraliste.
*Structure implantée aux Essarts pour la centralisation et la distribution des pièces détachées pour les concessions du groupe et les MRA.
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FOCUS - Groupe Dubreuil
• Date de création : 1975
• Dénomination de la société holding : SA Groupe Dubreuil
• Adresse : Actipôle 85
85170 Belleville-sur-Vie
Tél. : 02 51 47 77 90
Fax : 02 51 47 77 88
www.groupedubreuil.com
• Actionnaires principaux : 100 % Famille Dubreuil
• Nom du dirigeant et fonction : Paul Henri Dubreuil, président du directoire
• Nom des principales filiales : CLARA, OSCAR, OPAL (pour le secteur auto)
• Marque représentée : Peugeot
• Zones d’implantations : 16, 17, 28, 49, 72, 79, 85
• Nombre de contrats : 12
• Nombre de sites principaux : 15
• Volume de ventes VN : 12 082
• Volume de ventes VO : 7 209
• CA total consolidé en 2010 : 317 M€
• Evolution CA 2010 / 2009 : + 5 %
• Rentabilité 2010 en % du CA : 1,5 %
• Effectif : 720
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