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Distribution

Mais à qui profite l’exclusivité de marque ?

Publié le 26 mai 2006

Par Alexandre Guillet
4 min de lecture
Vouloir créer un réseau qui ne se consacre qu'à une seule marque, voilà pour un constructeur une ambition bien rétrograde qui constitue par ailleurs un non-sens économique pour le distributeur comme le client. Il y a quelques semaines, le responsable d'une marque japonaise...

...déclarait qu'il allait disposer sous peu d'un réseau entièrement dédié à l'une de ses marques, et à elle seule. Si ce programme a le mérite d'être clairement exprimé, il a l'inconvénient d'être un tant soit peu décalé. En voulant pinailler, nous pourrions rappeler que l'art.5 du règlement 1400/02 précise ceci : "En ce qui concerne la vente de véhicules automobiles neufs (…) l'exemption ne s'applique à aucune des obligations suivantes (…) : toute obligation directe ou indirecte de non concurrence ; (…) toute obligation directe ou indirecte empêchant les membres d'un système de distribution de vendre des véhicules automobiles (...) de fournisseurs concurrents déterminés (…)". Chaque concessionnaire "exclusif" d'une marque donnée pourra donc en vendre d'autres dès qu'il le voudra, y compris s'il a signé un contrat contenant une clause (frappée de nullité) d'exclusivité de marque. Mais là n'est pas l'essentiel de la question. En fait, l'exclusivité de marque est avant tout un concept fragile et dépassé.

Désuétude ou décrépitude ? Telle est la question…

Au bon vieux temps, l'exclusivité de marque avait l'avantage de répondre à deux exigences. D'une part, elle assurait la fidélisation d'une clientèle peu exigeante à travers un réseau serré de concessionnaires et agents, tous en mesure de fournir un bon service après-vente pour des véhicules simples à réparer. D'autre part, l'exclusivité permettait au constructeur de "tenir" son réseau, c'est-à-dire de le contrôler. Tout cela a marché pendant des décennies caractérisées par la croissance des marchés, la bonne rentabilité des réseaux et la docilité des consommateurs. Les choses ont donc évolué très lentement de 1946 à 1992 (année de crise de la demande européenne)… mais beaucoup plus vite par la suite. Pourtant, le système a continué à se survivre, au prix d'une concentration pilotée par le haut des entreprises de distribution. Il s'agit sans doute du dernier avatar du vieux système, car nous venons d'entrer dans une phase nouvelle, où les raisons de l'exclusivité de marque sont contraires à la raison commerciale. Ainsi, la fidélisation d'un client à une marque à travers l'après-vente n'a plus rien de facile. De plus en plus souvent, on ne "fidélise" un consommateur que si on est en mesure de lui vendre aux meilleures conditions un modèle qui correspond à ses attentes ; c'est ardu si on ne représente qu'une seule marque. Quant aux réseaux bien "tenus", il y a lieu de se demander qui tient qui. Un concessionnaire non rentable est d'abord une catastrophe pour le constructeur, qui doit le subventionner pour éviter de le perdre… mieux vaut, ici encore, avoir affaire à un entrepreneur multimarque : il est plus probable qu'il gagne de l'argent.

Et l'image ?

Une concession monomarque préserve-t-elle davantage l'image de la marque qu'une entreprise de distribution où les modèles de plusieurs marques sont alignés côte à côte ? C'est selon : l'art de la vitrine, l'accueil du client et la qualité du service n'ont rien à voir avec la monoculture. Mais il y a autre chose : l'image de marque elle-même n'a plus la même importance qu'hier. Seule la clientèle la plus traditionnelle continue à y être excessivement sensible. Les consommateurs les plus avisés choisissent plutôt leur modèle en fonction de leurs attentes et de leur portefeuille. Voilà qui nous éloigne une fois de plus du commerce monomarque. Soyons clairs : un concessionnaire n'est presque jamais un philanthrope. Mais s'il représente, par exemple, BMW, Mercedes et Audi et non seulement l'une des trois marques, il pourra plus facilement réaliser une affaire où son propre intérêt et celui de son client seront préservés. Et celui du "brand" ? L'image de chaque marque dépendra de plus en plus de la qualité et de l'attrait des produits qu'elle propose, et de moins en moins de l'identification "une marque - un réseau" : il faudra s'y faire. Quant à la marque japonaise dont il est question plus haut, elle aurait sans doute intérêt à chercher asile chez des concessionnaires concurrents bien établis, qui savent vendre et entretenir des modèles semblables aux siens. Tout le monde y trouverait son compte.


Ernest Ferrari, consultant


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