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Distribution

Les constructeurs bénéficient-ils d'une immunité judiciaire face aux distributeurs ?

Publié le 14 octobre 2022

Par Christophe Bourgeois
4 min de lecture
Le Conseil européen des groupements d’agents de l’automobile (CEGAA) dénonce dans un rapport rédigé par l'avocat Patrice Mihailov, les conséquences du changement de modèle économique voulu par les constructeurs. Il s'étonne du déséquilibre des arrêts rendus devant les tribunaux qui bénéficient presque toujours aux constructeurs.
Patrice Mihailov, avocat conseil du Cegaa.

Patrice Mihailov, avocat du Conseil européen des groupements d’agents de l’automobile, vient de rédiger un rapport portant sur les conséquences de la dérégulation du marché. Il tire la sonnette d’alarme sur le futur de la distribution automobile. "Face aux mutations imposées par la transition écologique, la réorganisation des constructeurs dont le modèle de distribution exclusive puis sélective apparaît à bout de souffle, se fait dans la précipitation", constate- t-il.

 

La conséquence directe de cette nouvelle relation entre le constructeur et ses distributeurs qui vise à contrôler la vente de VN, le secteur du VO, la distribution de pièces de rechange, la location et le financement ? "La rupture envisagée présente un risque de dégâts économiques et sociaux qui se traduirait par la disparition d’une partie des acteurs du marché, et l’édification de nouvelles barrières à l’entrée de nouveaux acteurs", répond-t-il.

 

Et de détailler les risques potentiels : appropriation des fichiers clients des distributeurs, augmentation des prix, interdiction faite aux réparateurs d'acquérir des pièces de rechange auprès d'équipementiers ou de grossistes indépendants... la liste est non exhaustive. On peut également y ajouter  certains dommages collatéraux comme l'interdiction faite aux sociétés de location d'exploiter leurs véhicules dans un autre pays que le pays de leur achat ou les restrictions apportées à l'activité des mandataires, en conditionnant la fourniture des véhicules à la satisfaction d'exigences excessives pour ne citer que celles-ci.

Vulnérabilité des distributeurs

 

En parallèle il pointe la vulnérabilité des distributeurs due à l'importance de leurs investissements, généralement amortissables sur de longues périodes et de la très grande difficulté d'une reconversion de leurs structures. Il précise d’ailleurs qu’elle est "impossible dans le cas d'une marque généraliste, compte tenu des volumes nécessaires à l'équilibre de l'exploitation".

 

Face à cette situation, l’avocat observe un rapport de force qui n'est pas vraiment en faveur des distributeurs en cas de litige. "Les constructeurs bénéficient d'une sorte d'immunité judiciaire", appuie-t-il.

 

L’avocat a observé que les décisions rendues par la justice sur les cinq dernières années l'ont été en faveur du constructeur. Sur 27 cas analysés entre janvier 2018 et juin 2022 qui ont été traités par la cour d’appel de Paris, un seul cas a en effet été remporté par le distributeur.

 

La raison d’un tel déséquilibre ? "La Cour de cassation a posé le principe d'un droit inconditionnel du constructeur à mettre un terme aux relations, sauf à ce que le distributeur démontre que cette décision revêtirait le caractère d'un abus, constate l’avocat. Elle a consacré dans le même temps le droit du constructeur de ne fournir aucun motif à sa décision, ce qui compromet en pratique le contrôle de l'abus."

 

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Et il semblerait que cette situation ne soit guère mieux au niveau européen. La Commission n'a appliqué aucune sanction à un constructeur depuis 2007. "Depuis 2010 et pour l'ensemble de l'Union européenne, elle n'a enregistré que vingt-deux plaintes, sans qu'aucune ne donne lieu à des poursuites, a-t-il analysé. Et en reportant à 2027 l'édiction, ou pas, de nouvelles règles, la Commission prend le risque de permettre aux constructeurs de mettre en œuvre un modèle qu'il sera impossible ou très coûteux de déconstruire dans cinq ans, et qui aura modifié la structure du marché de manière irréversible."

Besoin du consommateur insatisfait

 

Pour Patrice Mihailov, "l’enjeu est de préserver l'intégrité de la propriété commerciale des partenaires des constructeurs (agents de marque de rang 1 ou 2). Il vise notamment à assurer la protection des informations qui sont au cœur de leurs affaires". Il s'agit en particulier des données des clients qui doivent demeurer sous le contrôle de ceux qui les produisent. En outre, "Le jeu d'un marché dérégulé n'a pas permis et ne permet pas de satisfaire les besoins du consommateur, conclut Patrice Mihailov. Aujourd’hui, l'inflation tous azimuts que promet la mise en œuvre du nouveau modèle économique des constructeurs, qui va s'ajouter au surcoût de l'électrification, va tout simplement priver de l'accès à la mobilité des personnes qui jusque là, pouvaient compter sur l'utilisation d'un ou même de plusieurs véhicules."

 

Lire l'intégralité du rapport rédigé par Me Patrice Mihailov, avocat spécialisé en droit de la concurrence, avocat du CegaaCEGAA - Les Conséquences Délétères de la Dérégulation du Marché - français

 

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