L’envers du décor en première ligne
Le commissaire-priseur qui agite son marteau, les voitures qui défilent sur le podium, les acheteurs qui lèvent la main, le bruit du marteau au contact du pupitre, adjugé-vendu… Il y a des rituels qui sont immuables. Quand bien même le secteur a été fortement chamboulé ces dernières années, l’acte de vente en salle physique n’a guère évolué au fil des années et reste toujours conditionné aux mêmes étapes et ce, quels que soient la région et l’opérateur. C’est tout le paradoxe de ce secteur, qui continue de cultiver sa tradition tout en amorçant le virage de la modernisation. Ainsi, de nouvelles solutions sont apparues, tels que le “Live”, permettant d’enchérir de son fauteuil de bureau ou de son canapé sur un VO présenté en salle de vente. Une petite révolution parmi tant d’autres qui a permis au secteur de basculer dans une nouvelle dimension. “Sur les dix ou vingt dernières années, mon quotidien n’a pas fondamentalement changé. La base du métier reste inchangée : savoir chiffrer et estimer des véhicules. En 2014, nous avons estimé entre 50 000 et 60 000 voitures d’occasion. En revanche, la profession a changé. Nous avons connu une première bascule en 2002, lorsque nous sommes devenus des sociétés commerciales, un tournant qui a permis d’accélérer notre développement, et la deuxième révolution a été l’intrusion d’Internet”, resitue Laurent Guignard, dirigeant de VPAuto. “Nous avons, certes, un statut de commissaire-priseur, que nous revendiquons, mais notre fonction ne se limite en aucun cas au seul fait de tenir le marteau. Nous sommes au quotidien en prise avec le marché, via les acheteurs, ce qui nous permet d’avoir une vision opérationnelle”, insiste Guillaume Arnauné, dirigeant du groupe Enkan, qui regroupe les sites de Toulouse Enchères Automobiles, Aquitaine Enchères Automobiles et Enchères Mat.
Des investissements toujours plus importants
En dépit d’une certaine inertie au courant des années 2000, les principaux opérateurs de ventes volontaires ont investi, se sont structurés et sont tous désormais solidement positionnés sur la Toile. Cette étape digitale est actée, même si elle reste toujours soumise à des améliorations et autres innovations, souvent lourdes en investissements. “Nous réinvestissons plus que jamais dans l’informatique, les nouvelles technologies, afin de renforcer notre relation avec les donneurs d’ordre et les clients, et cela se chiffre en millions d’euros sur les dernières années”, souligne Guillaume Arnauné. L’opérateur a justement structuré son équipe informatique ces derniers mois en vue de la “refonte totale du site Web qui représentera une grosse avancée”, annonce le dirigeant toulousain. De son côté, le groupe breton VP Auto, qui annonce avoir investi pas moins de 750 000 euros en informatique sur les trois dernières années, déploie en cette fin d’année sa plate-forme 3D, certainement le projet le plus significatif du moment. “Nous avions d’abord pensé à la vidéo, seulement ce média est trop lourd pour un site Internet qui propose plusieurs centaines de véhicule et surtout, la qualité se révélait moins bonne”, précise Laurent Guignard. Actuellement, près de 80 % des voitures proposées à la vente sur le site de Lorient sont accompagnées de photos en 3D. Un plus indéniable pour les potentiels acquéreurs. La société entend décliner cette technologie à l’ensemble des véhicules commercialisés sur ses trois sites à la fin de l’exercice prochain. “En 2007, 100 % de notre activité était réalisée par les ventes physiques. Aujourd’hui, 70 % de nos transactions sont réalisées via nos outils électroniques. C’est autant de ventes où je ne tape pas du marteau, c’est moins physique, plaisante Laurent Guignard, désormais, notre métier s’articule via les ventes physiques, les ventes Live et électroniques, les développements en marque blanche et notre solution Optim’VO.” Continuité, activités complémentaires ou diversification… la frontière est mouvante.
La bataille des outils de cotation
Ces prochains mois, VPAuto poursuivra le développement de sa solution de cotation Optim’VO, lancée l’an passé, pour capter les VO des groupes de distribution. Cette activité, qui s’est accélérée sous l’impulsion du groupe BCAuto Enchères et son outil MarketPrice, a également grandement participé de la mutation du marché et revêt un enjeu crucial pour les principaux opérateurs en quête de matériel. Depuis quelques mois, le groupe Alcopa Auction propose une solution améliorée depuis la signature d’un accord avec la société Bee2Link, dont l’application permet de délivrer automatiquement un prix de revente pour les VO affichant moins de 10 ans et 200 000 km. “Ce que nous faisons avec les groupes de distribution, nous pouvons l’envisager avec d’autres acteurs. Il existe encore d’autres canaux à aller capter”, juge Jean-François Maréchal, directeur général d’Alcopa Auction.
BCA réaffirme son statut de place de marché
Le groupe BCAuto Enchères, qui développe également des solutions en marque blanche au profit de différents acteurs (Renault, La Poste…), ne peut que confirmer cette perspective. “Notre croissance en 2014 repose intégralement sur le développement des ventes “ouvertes”, ce qui prouve notre capacité à aller chercher de nouveaux volumes et de nouveaux clients, tandis que les ventes “fermées”, qui concernent principalement les transactions des constructeurs vers leurs réseaux, sont restées stables”, commente Olivier Fernandes, directeur général de BCAuto Enchères France, qui entrevoit une croissance de 30 % en 2014, pour un volume de 80 000 voitures commercialisées. En marge des schémas “traditionnels”, le groupe britannique a entrouvert depuis déjà quelques années une nouvelle voie, plus industrielle, qui semble préfigurer l’avenir du secteur. “Le métier de la vente aux enchères en France répond encore à des pratiques différentes des autres marchés européens, avec un modèle très axé sur la cible des particuliers et un ancrage très local. La partie enchère est de moins en moins centrale dans notre activité, cela devient même un point de détail au regard de nos développements récents. Notre métier, c’est la place de marché B to B”, affirme Olivier Fernandes. Le groupe est devenu en quelque sorte un spécialiste du remarketing VO, adossé aujourd’hui à huit centres de logistique dans l’Hexagone. Une présence jugée à ce jour suffisante pour répondre efficacement aux apporteurs d’affaires, même si un nouveau site, dans l’Est, pourrait venir compléter ce maillage. “Grâce au maillage de nos centres en région, nous affichons désormais des délais de moins de 72 h, contre cinq jours auparavant, que ce soit pour l’acheminement du véhicule sur le parc, avant la vente, que pour la livraison auprès des d’un professionnel de la région. De plus ce maillage nous a permis de proposer à l’ensemble de nos acheteurs une offre de livraison plus claire, basée sur le principe du Click & Collect permettant de rapprocher le véhicule sur le centre BCAuto Enchères le plus proche de l’acheteur”, argumente le directeur général.
Le transport, le nerf de la guerre
D’abord dévolus au transit, au stockage et à la préparation des véhicules, ces centres représentent également une opportunité de capter les clients professionnels, comme le font les principaux loueurs ou marchands. Dans ce cadre, BCAuto Enchères a mis en place une organisation par régions commerciales, avec des équipes dédiées aux acheteurs. “Mais nous nous rapprochons chaque année un peu plus de la distribution automobile dans son approche métier, avec un cadre et des règles régies par le Conseil des ventes”, observe Jean-François Maréchal.
Grâce à la conclusion de partenariats exclusifs avec certains grands groupes de distribution, garantissant ainsi des approvisionnements réguliers, le groupe BCAuto Enchères concentre désormais son énergie sur la cible des acheteurs professionnels. “Nous allons également continuer à travailler sur le transport car c’est un sujet vraiment central dans notre stratégie”, complète Olivier Fernandes. L’optimisation des schémas logistiques est devenue l’obsession des principaux opérateurs de ventes volontaires. “Nous sommes de plus en plus des logisticiens et ce sera de plus en plus le cas à l’avenir. Nous avons développé une petite société de transport pour couvrir notre périmètre régional, mais aujourd’hui, nous évoluons sur un périmètre national, voire européen”, reconnaît Laurent Guignard. VP Auto vient d’ailleurs de nouer un partenariat avec le groupe STVA dans l’optique de “réduire les coûts ainsi que le temps de cycle de quelques jours”. Une facette du métier, peu visible, que le groupe Enkan a mise au cœur de sa stratégie depuis déjà quelques années. “Je le répète, mais le modèle 100 % physique n’existe pas, pas plus que le modèle 100 % électronique. Nous faisons un métier hybride qui repose sur les infrastructures et la logistique. Cela ne date pas d’aujourd’hui et implique un vrai savoir-faire”, défend Guillaume Arnauné. Le groupe s’appuie également sur des structures en propre dans le Sud et sur des sites de logisticiens pour compléter son maillage. “Ce secteur a été fortement secoué ces dernières années par la crise, la concurrence de nouveaux acteurs européens et la hausse du carburant. L’optimisation des schémas logistiques impose de trouver les bons partenaires sur le long terme”, poursuit le dirigeant toulousain. C’est désormais sur ce terrain que les opérateurs se livrent une nouvelle bataille et cette orientation ne fait que creuser un peu plus chaque année le fossé entre les leaders et les plus “petits” acteurs, au rayonnement régional. “En l’espace de quinze ans, ce marché a peu évolué et stagnait autour de 150 000 à 200 000 unités par an. Il a connu ces dernières années une évolution très forte sous l’impulsion des acteurs dominants et nous ne sommes qu’au début de cette mutation”, prévoit Jean-François Maréchal. Avec toujours cette double mission : capter toujours plus de volumes auprès des apporteurs d’affaires et aller chercher de nouveaux acheteurs.