Le rachat de véhicules cristallise l’attention
En ce début d’année 2023, peu de Français sont disposés à céder leur véhicule. Le contexte économique et la crise de l’offre en voitures neuves et voitures d’occasion ne les encouragent pas à s’engager dans un projet automobile. Selon un sondage conduit en janvier dernier par YouGov pour Le Journal de l’Automobile, 20 % des 1 037 personnes interrogées envisagent de mettre leur bien en vente au cours des 12 prochains mois.
A contrario, 46 % ont clairement fait savoir qu’une telle idée n’était pas à l’étude. La diffusion d’une petite annonce est privilégiée par 27 % de ces 204 Français. Leur premier réflexe devrait être de se rendre en point de vente pour étudier la piste d’une reprise afin d’amorcer leur prochain achat. Ils sont 29 % dans ce cas et bien plus souvent des hommes que des femmes qui considèrent avant tout les services des infomédiaires.
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Il existe une autre voie. Dans 18 % des enquêtes, les Français regarderont la piste des concessionnaires et du rachat cash. Là, les deux sexes sont égaux devant la solution. La tranche d’âge des 45‑54 ans se montre plus encline à revendre sans contrepartie. Ils sont 30 % dans cette catégorie à avoir donné cette réponse, soit bien plus que ceux qui veulent une reprise contre un autre véhicule (21 %) et même ceux qui passeront par une publication en ligne (28 %). Les 18‑24 ans (20 %), les 25‑34 ans (25 %) et les 35‑44 ans (18 %) se révèlent eux aussi quelque peu ouverts à la pratique. Ce qui est bien moins le cas chez les plus de 55 ans. Selon YouGov, seuls 10 % y croient. La revente cash n’a rien d’une solution pour les urbains d’Île‑de‑France, où 12 % à peine des sondés l’envisagent.
Les populations du Nord y sont plus disposées. 27 % des sondés du Nord‑Est et 20 % des personnes dans le Nord‑Ouest l’ont évoquée. En termes de catégories socioprofessionnelles, YouGov nous apprend, par ailleurs, que 23 % des CSP‑regardent avec attention la revente cash contre 18 % de CSP+. Terminons ce décryptage de la typologie des clients en soulignant que 27 % des familles avec enfants penchent pour cette proposition commerciale, quand elles n’optent pas pour le dépôt d’une annonce (28 %).
Plus de 150 000 transactions CtoB en 2022
Il faut avoir un fait en tête : quand il s’agit de revendre leur véhicule, les Français veulent de la facilité. Se séparer sans contrainte de son bien (40 % des réponses) a même plus d’importance que d’en tirer le maximum de valeur (30 %) ou que de le vendre dans les plus brefs délais (16 %). Le rachat cash répond à cette demande.Pourtant, cette solution a longtemps été négligée par les consommateurs.
Pour Richard Guyon, fondateur de l’enseigne AutoEasy, il n’y a rien de nouveau depuis une décennie qu’il propose ce service. " Nos agences profitent de leur réputation locale pour attirer le public, explique‑t‑il. L’organisation elle‑même n’a pas changé. " Dans le réseau de franchise, cela vient en complément de la prestation d’intermédiation. Et quand le franchisé n’a pas les moyens de financer l’opération, la maison mère prend le relais et oriente le véhicule vers le point de revente le plus approprié.
Pour d’autres, cela a aussi permis de fluidifier le parcours d’achat. Aramisauto compte parmi ceux qui ont intégré le rachat pour cette première raison. Le géant du commerce automobile en ligne rachète tout ce qui lui est proposé depuis 2012. Une promesse l’amenant à reprendre des voitures éligibles à la prime à la conversion. En fonction des cas, le véhicule est reconditionné pour les besoins de l’activité principale de vente BtoC, sinon il est placé en transit sur Proaramisauto, la plateforme de transaction BtoB. Dans les grandes lignes, retenons qu’Aramisauto préfère les VO de moins de 10 ans et 150 000 km. Le fait réellement marquant de ces derniers mois relève plutôt de la concurrence croissante.
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Plus rares sont maintenant les concessions ou les points de vente indépendants à ne pas afficher en façade que le rachat sans condition est possible à l’intérieur. " Après avoir été le parent pauvre, le VO est devenu un motif d’innovation. Le rachat cash répond à plusieurs problématiques et donc, une vague de professionnalisation déferle sur la France ", constate Thomas Boiral, directeur de Vendezvotrevoiture.fr. Active sur le sujet depuis 2012 en Allemagne et 2014 en France, la filiale du groupe Auto1 est sans conteste la figure de proue du secteur. Même si elle reste très discrète sur l’étendue de son influence.
Il est difficile d’évaluer avec précision la portée du phénomène. Emmanuel Labi, directeur général d’Autobiz, estime que plus de 150 000 véhicules ont été rachetés en 2022 en France dans ces conditions commerciales. Un chiffre que valident dans les grandes largeurs ses confrères. " Je pense même que ce volume a été largement dépassé ", glisse cependant Thomas Boiral. Quoi qu’il en soit, les compteurs s’affolent. Certes, l’effet de base doit être pris en compte, mais il n’empêche qu’Aramisauto a continué de croître de 27 % entre 2021 et 2022 pour dépasser les 40 000 unités, que La Centrale a bondi de 50 % pour franchir la barre des 30 000 unités et qu’Autobiz a progressé dans les mêmes proportions en s’impliquant dans une vingtaine de milliers de transactions de particulier à professionnel. La France demeure cependant à des années‑lumière du leader mondial. Le britannique WeBuyAnyCar a aligné autour de 700 000 bâtons en 2022 à lui seul outre‑Manche.
Mailler ou digitaliser ?
Alors, comment établir une véritable industrie du rachat cash ? En construisant des réseaux de proximité de toute évidence. Cela doit devenir facile pour les propriétaires d’un véhicule et ce, du premier clic de souris au dépôt de la carte grise. Auto1 dispose de 400 agences à travers l’Europe, dont 60 pour l’enseigne Vendezvotrevoiture sur le territoire hexagonal. " Nous travaillons sur la simplification du parcours et se posent alors plusieurs questions, notamment relatives au maillage, rapporte Thomas Boiral. Nous nous interrogeons sur le fait d’ouvrir d’autres lieux ou d’investir dans la digitalisation. " Il constate que l’éloignement géographique constitue, avec la complexité du formulaire et le manque d’informations claires, l’un des premiers motifs d’abandon.
À la direction des achats et reprises d’Aramisauto, on dresse un constat assez similaire. D’où la volonté de proposer des parcours à la carte, alliant les outils numériques et les 31 agences du réseau. Le consommateur choisit comme bon lui semble. Le retrait à domicile ne prend pas pour autant le pas sur la visite en point de vente. " Il y a un besoin de réassurance chez l’utilisateur et de compréhension du mode de règlement. En plus, dans la moitié des cas, une commande de véhicule découle du rachat ", explique‑t‑on.
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Si, initialement, ils se sont penchés sur la question par devoir envers leur réseau, les constructeurs ont pris conscience de la force de leur maillage. Toyota et Stellantis en sont des exemples récents, mais Volkswagen a pris le pli dès janvier 2022. Gilles Aubry, fondateur du cabinet Nova MS, partenaire du groupe allemand dans cette aventure, observe des résultats impressionnants. 50 % des rendez‑vous pris par les distributeurs qu’il accompagne donnent lieu à une transaction.
Pour construire son réseau autour du site maVoitureCash, le groupe La Centrale a fait appel à des distributeurs en place. Triés sur le volet en fonction de leur géographie et de leur réputation, ils sont au nombre de 300 à ce jour. Un périmètre qui ne devrait pas augmenter significativement par souci d’équilibre. Les leads leur sont transmis, ils réceptionnent les véhicules et valident leur état. Ensuite, BCAuto Enchères, troisième composante du schéma, active ses ressources logistiques pour déplacer, reconditionner et recommercialiser les véhicules auprès de professionnels.
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En 2022, cette méthode a totalisé un montant de 250 millions d’euros en transactions CtoB. La stratégie du réseau, la société ATB Auto l’a bien intégrée. Depuis son fief de Dijon (21), la centrale d’achat a bâti une nouvelle marque, Proxi Auto Cash. Une marque qui fédère des garagistes en tout genre qui veulent faire du VO un relais de croissance, alors que l’électrification menace leur chiffre d’affaires à terme.
Le travail accompli en six mois par ATB Auto, InterVO veut l’imiter à sa manière avec sa marque AutoMalin. Le groupe bordelais lancera, à la fin du premier semestre 2023, un concept proche de la franchise et via lequel les partenaires pourront profiter du label Reprise Malin. Là aussi, ils pourront agir pour leur compte ou faire appel à InterVO pour couvrir les opérations. " Nous pourrons rapidement venir installer un corner sur leur lieu de vente et leur proposer une formation ", dévoile Benjamin Reillat, directeur général du groupe InterVO. Pour ce qui relève du maillage, il ne fixe aucune condition pour le moment. Il s’agit de trouver les meilleures opportunités. Elles sont nombreuses, car les pure players se situent généralement plus proches des grandes agglomérations afin de massifier le trafic. Or, le rachat cash présente de l’intérêt dans les villages plus reculés.
L’instantanéité du paiement
Outre le fait d’avoir les emplacements, il faut avoir le processus. Pour parvenir à de tels résultats dans les affaires Volkswagen, Gilles Aubry a construit une méthode opérationnelle qu’il ouvre désormais à tous les opérateurs. Les prospects sont identifiés grâce aux outils de génération de leads ou en épluchant les annonces sur les pages des infomédiaires. " Il y a trois catégories qui se répartissent à parts égales en nombre d’individus, ceux qui en demandent trop, ceux qui ont un prix de vente dans le marché et ceux qui sous‑estiment leur véhicule, indique le fondateur de Nova MS. Les concessionnaires ciblent les deux dernières. "
Lors de la prise de contact, aucun montant de rachat n’est formulé. L’accueil en concession garde ainsi tout son intérêt. En plus, cela a le don d’éviter l’effet déceptif qui a longtemps fait la réputation du système de rachat cash. " Les logiciels nous indiquent le prix optimal. Parfois, le montant peut être négocié à la baisse, mais dans la majorité des cas, le concessionnaire paye le prix affiché dans l’annonce ", partage le consultant. En 2022, les conditions inflationnistes du marché permettaient d’absorber la marge commerciale appliquée à la revente. Mais la chose sera moins évidente en 2023, si la courbe fléchit comme chacun s’y attend.
Le règlement doit également intervenir rapidement. À ce jeu, il y a des disparités. Les professionnels promettent un versement de la somme sous 48 h. Acceptable en concessions, dans un climat de confiance. " Nous sommes l’un des seuls à avoir activé le virement instantané, glisse Emmanuel Labi, chez Autobiz. Tout simplement parce que 30 % des transactions se font à domicile et que personne ne souhaite laisser partir son véhicule sans avoir l’argent en échange. " Logique. Il reconnaît que l’idée avait été soutenue dès les premiers temps par un collaborateur d’Autobiz devenu directeur de l’activité VO d’un groupe du top 10 de la distribution. " Je ne serais donc pas étonné de voir des concessionnaires mettre en place des mécaniques identiques à la nôtre ", concède‑t‑il.
L’équilibre économique
Le rachat cash dépend d’un ultime facteur : l’implication des collaborateurs. " Les réunions hebdomadaires de rapport des ventes deviennent des réunions dans lesquelles les bilans des rachats et des ventes sont confondus ", explique‑t‑on dans une concession. Chez cet autre groupe du sud de la France, des créneaux ont été définis. Ils sont réservés aux appels sortants. Cela structure davantage le travail et évite l’épuisement.
" Le salaire doit aussi s’adapter, insiste Gilles Aubry. Il faut rémunérer les membres de l’équipe pour leur performance. " Le consultant recommande de verser entre 70 et 200 euros par opération finalisée. En moyenne, il estime les commissions à 100 euros pour un véhicule généraliste, à 150 euros pour un premium et à 200 euros pour un modèle de luxe. Attention à ne pas rogner la marge pour autant. Plus de concurrence sous‑entend d’investir davantage en acquisition de leads. Il n’y a qu’à taper " rachat cash voiture " dans Google pour se rendre compte de la bataille qui se joue sur l’achat de mots-clés. Aramisauto, maVoitureCash et Vendezvotrevoiture. fr alternent en tête des résultats de recherche. Tous sont talonnés par Autobiz qui se paye aussi des spots à la radio.
Mieux dotées en trésorerie, les marques automobiles commencent à communiquer en télé, là où Vendezvotrevoiture.fr a longtemps fait du pied aux consommateurs. " Acheter des mots-clés n’est plus vraiment rentable, pose un observateur. Le référencement naturel et l’arborescence des sites Internet doivent devenir des priorités. " Il se dit que certains des pure players n’ont jamais gagné d’argent pour cette raison. En tout cas, cela montre qu’il n’y a plus de doute possible : les transactions CtoB vont devenir progressivement un réflexe et cela va contribuer à grappiller des parts sur les échanges entre particuliers.
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