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Jean-Roch Piat, BCAuto Europe : "L'approche en multicycle des constructeurs est un changement radical"

Publié le 20 septembre 2023

Par Gredy Raffin
9 min de lecture
Il a toujours placé l'innovation au premier plan et continuera de pousser en ce sens. Jean-Roch Piat, le directeur général de BCAuto Europe, dresse le bilan des activités de remarketing et dévoile les enjeux stratégiques de la plus importante place de marché européenne de voitures d'occasion, dans un entretien accordé en exclusivité au Journal de l'Automobile.
Entretien avec BCAuto Europe
Jean-Roch Piat, directeur général de BCAuto Europe. ©BCAuto Europe

Le Journal de l'Automobile : Comment le groupe BCAuto a-t-il traversé le premier semestre 2023 ?

Jean-Roch Piat : Le semestre a marqué le retour à la croissance à deux chiffres. Pour cela, nous avons dû aller remporter des victoires commerciales. La croissance n'aurait rien eu d'organique autrement. Les places de marché ont été particulièrement affectées par les stratégies de rétention car quand les partenaires prennent la bonne habitude de revendre par eux même les véhicules d'occasion plus âgés et moins onéreux, nous faisons face à un défi.

 

J.A. : Ce qui atteste du mouvement permanent pour votre métier. Comment voyez-vous la suite ?

J.-R. P. : Nous restons confiants dans un environnement qui sera fondamentalement plus difficile. Mais effectivement, nous devons aller chercher de l'innovation commerciale et des solutions innovantes pour conquérir de nouveaux marchés, puisque les retours de leasing ne font plus l'essentiel.

 

J.A. : Ce retour à la croissance ne vous ramène pas encore au niveau de 2019…

J.-R. P. : À la surprise générale, si, en quelque sorte. Nous avons été extrêmement résilients durant la première phase de crise. En développant le rachat de véhicules à particulier nous sommes allés, par exemple, chercher 20 à 25 % de volume d'activité. Nous devrions donc battre les résultats de la période avant-Covid au terme de cette année fiscale.

 

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J.A. : Quel enseignement tirez-vous ?

J.-R. P. : J'y vois le signe qu'il y aura toujours besoin de places de marché. Nous ne devons pas être amoureux des solutions que nous avons créées. Il nous faut toujours innover pour être plus proches des besoins et rester compétitifs.

 

J.A. :  Cette croissance est-elle liée à certains territoires ?

J.-R. P. : Les marchés d'Europe du Nord ont nettement contribué à la résilience pendant la pandémie. Nous avons été capables à l'époque d'aller chercher des véhicules plus adaptés, à savoir des véhicules d'occasion plus récents. Nous avons gagné en maturité sur la logistique vers les quatre pays nordiques. La croissance est également très forte en Italie, un pays jusqu'à présent assez modeste.

 

Pour moi, il va falloir faire en cinq ans ce que les marchés matures comme le Japon et le Royaume-Uni ont fait en 30 ans.

 

J.A. :  Quid de la France ?

J.-R. P. : Le marché ne se porte pas mal après avoir souffert des politiques de rétention adoptées par les distributeurs français. Ici, le reconditionnement de véhicules nous a ouvert les portes de constructeurs et de sociétés financières. La France est, de mon point de vue, un marché qui a cependant plus de mal à redécoller, bien qu'il ait été moins impacté que les autres par la crise.

 

J.A. :  Quel regard portez-vous sur le marché VO européen dans son ensemble ?

J.-R. P. : Je n'ai jamais vu ce marché bouger autant. Il est en mouvement à différents niveaux et bouillonne derrière son apparente morosité. Nous observons une baisse d'environ 9 % en volume, ce qui le fait plonger en-dessous des niveaux pré-pandémie. Mais il est assez hétérogène avec des rebonds en Allemagne et en Espagne, par exemple, contre une baisse en France. Le niveau de prix est bien plus élevé et ce, en dépit des corrections sur certains segments. Cela n'a rien de naturel et impacte la consommation, entre de l'attentisme et l'orientation vers des produits plus âgés. En plus, il faut considérer l'extrême volatilité du segment spécifique des voitures électriques d'occasion.

 

J.A. :  Sachant que votre commerce dépend du marché du VN.

J.-R. P. : La croissance du marché des voitures neuves est totalement artificielle. Il n'y a pas de prise de commandes. Ce qui est terrible car, en façade, nous avons des chiffres en hausse, alors qu'en coulisses les constructeurs s'emploient à relancer les ventes tactiques. Les distributeurs devront se montrer vigilant sur l'état des stocks et l'évolution de la valeur des voitures. Notre métier est plus complexe que jamais et l'industrie court un danger, alors que des opportunités se présentent.

 

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J.A. :  Que cela présage-t-il pour l'activité de remarketing de voitures d'occasion en Europe ?

J.-R. P. : Pour moi, il va falloir faire en cinq ans ce que les marchés matures comme le Japon et le Royaume-Uni ont fait en 30 ans. Je pense notamment aux capacités d'inspection à distance, de reconditionnement industriel ou encore d'estimation des prix en temps réel et la capacité de transport. Il faut une infrastructure qui, comme une colonne vertébrale solide, va permettre d'opérer durablement. Cette prise de conscience a été tardive en Europe continentale.

 

J.A. :  Quel facteur peut accélérer la mutation ?

J.-R. P. : L'approche en multicycle des constructeurs est un changement tellement radical qui jette les bases d'un nouveau modèle de marché VO. Et à ce jour, personne n'a eu le temps de prouver la pertinence des nouveaux schémas de distribution. C'est passionnant.  Aussi, sans parler des appels d'offres en cours, nous pouvons évoquer des exemples récents. Ceux qui tendent à montrer que, désormais, nous devons apporter des solutions à l'échelle européenne, capables de remplacer l'œuvre du distributeur. À si grande échelle, c'est un défi de taille.

 

J.A. :  Faites-vous allusion au modèle d'agent ?

J.-R. P. : Je fais surtout allusion à l'action de reprise d'un véhicule à distance. Les constructeurs historiques qui basculent vers le schéma d'agent nous le demandent, certes, mais aussi les nouveaux entrants, dont les réseaux de points de vente physiques ne couvrent pas encore suffisamment de terrain. Ces derniers ont cependant compris qu'il est nécessaire de disposer de l'intégralité de la chaîne de valeur. Ils se montrent, d'ailleurs, particulièrement exigeants pour disposer de standards uniformisés dans tous les pays. Cela nous amène à créer de nouveaux métiers, mettre en place une logistique fine, intégrer de nouvelles technologies et traiter des données sous un autre angle.

 

J.A. :  Quels sont les outils à mettre en lumière ?

J.-R. P. : Les solutions de supervision de flotte vont prendre beaucoup d'importance. BCAuto a développé, il y a plus de dix ans, pour des partenaires loueurs, un outil baptisé Fleet Control Monitor (FCM). À la différence de Star Fleet de Dekra, nous avions une approche plus européenne. Après être restés assez discrets, nous en faisons une solution fondamentale. FCM compile toute la documentation propre à l'historique d'un véhicule et se connecte à tous nos outils métiers.

 

Nous n'irons plus chercher des nouveaux contrats simplement pour lever des fonds.

 

J.A. :  Quels sont les bénéfices concrets ?

J.-R. P. : Il permet de piloter le reconditionnement de la voiture d'occasion en prenant en compte les besoins, le timing et le lieu de traitement. Alors, notre client pourra optimiser son remarketing de sorte à maximiser ses bénéfices.

 

J.A. :  Il convient cependant de souligner qu'à la différence de vos concurrents, vous ne disposez de centres de reconditionnement qu'en France. Cela va-t-il changer ?

J.-R. P. : Nous sommes limités dans nos ressources, mais nous avons une faculté à organiser les réseaux pour apporter une solution globale en Europe. Cela nous évitera de devoir dégager des moyens financiers colossaux. En nous focalisant sur le seul métier de la vente de VO à professionnels, nous nous donnons les chances de réussir.

 

J.A. :  Vous parliez en début d'entretien des victoires commerciales. Les compétitions ne deviennent-elles pas trop rudes ?

J.-R. P. : L'accompagnement des constructeurs a longtemps été dominé par un acteur historique allemand. Mais les problématiques dépassent désormais le seul cadre des solutions informatiques alors proposées. Le besoin des constructeurs est tel qu'il y a de la place pour plusieurs opérateurs de remarketing. Notre mission doit donc consister à nous concentrer sur les constructeurs qui nous font confiance.

 

J.A. :  Il y aura donc des arbitrages à faire…

J.-R. P. : Cela s'est déjà produit et se reproduira encore. La réponse à un appel d'offres est un engagement, le début d'une aventure. Nous n'irons plus chercher des nouveaux contrats simplement pour lever des fonds. Dans l'immédiat, par exemple, il s'agira de se concentrer sur Link&Co avec qui nous travaillons depuis quelques semaines.

 

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J.A. :  Sans tourner le dos à vos partenaires, certains sont en perte de vitesse. Comment aborder cette dualité ?

J.-R. P. : Nous travaillons comme des fous pour gagner toujours plus en efficacité. L'enjeu étant de déployer les bonnes solutions pour connecter le plus simplement possible nos clients à notre plateforme de services. Il faudra probablement faire des choix, mais nous pouvons repousser encore cette échéance.

 

J.A. :  Quelle typologie de clients privilégierez-vous à l'heure de ce choix ?

J.-R. P. : Les sociétés sérieuses, je veux dire celles qui se connaissent bien. Celles qui ont conscience de leurs forces et de leurs faiblesses, qui ont réellement défini l'enjeu et les sacrifices nécessaires à l'atteinte de leur objectif. Elles savent mesurer l'intérêt d'une solution livrée clé en main pour minimiser les risques et ne courent pas après les gains faciles.

 

J.A. :  Pour terminer, pouvez-vous nous éclairer sur les rôles de BCAuto et CarNext au sein de Constellation ?

J.-R. P. : Dans notre stratégie européenne, notre rôle n'est pas de vendre des véhicules à particulier. En revanche, nous avons trouvé des solutions pour gagner en efficacité grâce à l'intégration d'une partie des équipes de CarNext au sein de BCAuto. Dans les faits, nous avons gardé les collaborateurs spécialisés dans la vente BtoB. Cela a été un véritable enrichissement d'un point de vue humain et informatique. La marque CarNext a été conservée au titre de label pour regrouper une offre de véhicules en fin leasing.

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