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Distribution

Entretien avec Astrid Aziza, directrice commerciale Auto Performance, distributeur exclusif Aston Martin : "Même moi, je préfère choisir des hommes comme vendeurs"

Publié le 21 juillet 2006

Par Frédéric Marty
14 min de lecture
De la mode à l'automobile, Astrid Aziza a changé d'univers sans perdre son goût des relations humaines. En suivant la passion de son mari, l'ancienne attachée de presse est devenue directrice commerciale d'Auto Performance, distributeur Aston Martin à Paris et bientôt à Bordeaux. ...
De la mode à l'automobile, Astrid Aziza a changé d'univers sans perdre son goût des relations humaines. En suivant la passion de son mari, l'ancienne attachée de presse est devenue directrice commerciale d'Auto Performance, distributeur Aston Martin à Paris et bientôt à Bordeaux. ...

...Journal de l'Automobile. Comment êtes-vous arrivée dans le monde de l'automobile ?
Astrid Aziza. Je suis dans le milieu de l'automobile depuis onze ans grâce à mon mari. Il était chirurgien-dentiste lorsqu'il a découvert Aston Martin aux Etats-Unis. Il a fait venir trois modèles anciens pour les restaurer lui-même sur Paris et a ouvert un atelier à Ivry-sur-Seine en 1989 car il s'est aperçu qu'il y avait beaucoup de demandes pour la restauration et l'entretien des anciennes V8. Nous réalisions alors beaucoup de restaurations qui nous avaient apporté une bonne réputation. Peu de personnes étaient capables d'assurer un bon entretien à cette époque. Comme mon mari avait fait venir de l'usine un mécanicien anglais très compétent, la marque nous a d'abord proposés vers 1994 d'acheter directement les pièces auprès d'elle. En 1995, nous avons rencontré les gens de chez Aston Martin pour finaliser cet accord et ils ont proposé à mon mari de devenir distributeur officiel de la marque sur Paris, sachant qu'à l'époque le contrat de l'importateur officiel allait prendre fin dans les six mois. Mon époux a accepté, nous avons signé les deux contrats et avons trouvé une toute petite surface dans le 15e, place Etienne Pernet. Mon mari a progressivement laissé tomber son cabinet de dentiste par passion pour Aston Martin et je l'ai suivi. A la base, j'étais attachée de presse dans le domaine de la mode, puis j'ai arrêté de travailler pendant dix-huit mois afin d'élever notre premier enfant.


JA. Comment avez-vous évolué dans ce nouvel élément ?
AA. Quand j'ai commencé, je m'occupais essentiellement du marketing et des relations publiques car l'image de la marque était tombée bas. On n'entendait plus parler d'Aston Martin à l'époque. Lorsque nous avons repris le panneau en 1995, c'était une période de crise, l'ancien importateur vendait une à deux voitures par an. Nous avons eu trois ou quatre années difficiles et on a essayé de relancer la marque grâce à la publicité et aux articles dans la presse. Ces domaines correspondaient à mon métier précédant et cette transition me permettait de rester dans mon milieu même si je passais de la mode à l'automobile. Progressivement, je suis passée de la communication à la vente car je tenais la concession du 15e arrondissement.


JA. En quoi consiste votre rôle aujourd'hui ?
AA. Maintenant, je ne m'occupe plus du marketing car c'est la marque qui gère tout, mais je gère encore la comptabilité, le site d'exposition et les ventes. Certaines personnes pensent




CURICULUM VITAE

  • Nom : Aziza
  • Prénom : Astrid
  • Age : 38 ans, mariée, 2 enfants

    Ancienne attachée de presse dans l'univers de la mode, Astrid Aziza a suivi son époux dans l'aventure Aston Martin entamée depuis 11 ans. Elle s'est tout d'abord occupée de la communication et du marketing avant de prendre en charge les ventes de la concession.

  • que vendre des Aston Martin ne représente pas beaucoup de travail mais je peux vous assurer que certains jours passent comme un tourbillon.


    JA. Avez-vous rencontré des difficultés pour vous imposer dans vos fonctions de directrice commerciale ?
    AA. Au départ, cela n'a pas été facile. Aston Martin est une marque de luxe dont la clientèle reste essentiellement masculine. Cependant, nous avons l'avantage du charme. Un homme réagit différemment face à une femme lors des négociations finales. Il négociera moins le prix face à une femme. Il haussera moins la voix. Souvent, les clients posent des questions très techniques pour me tester. Lorsqu'ils se rendent compte que je connais bien le produit, ils sont rassurés. Parfois, cela peut tout de même devenir rocambolesque. J'ai notamment reçu l'appel téléphonique d'un homme qui demandait à parler à un commercial. Je lui ai donc répondu que j'étais commerciale mais il m'a dit que je n'avais pas bien compris et qu'il voulait parler à UN commercial. Je lui ai dit que j'étais directrice commerciale mais il a continué et finalement, je lui ai dit : "si vous êtes misogyne à ce point, je ne pourrai rien faire pour vous". Il a alors menacé d'aller voir ailleurs et je lui ai répondu d'aller voir ailleurs. Certains hommes acceptent moins bien d'avoir une femme comme interlocuteur mais aujourd'hui, dans l'ensemble, je ne rencontre pas de problèmes. Maintenant, les gens me connaissent, ils savent que je suis directrice commerciale de la société et que je connais bien les produits. J'ai même des clients qui disent préférer traiter avec moi plutôt qu'avec mon mari.


    JA. Malgré ces débuts pas toujours faciles, le fait d'être une femme est-il un avantage ?
    AA. Je considère que le fait d'être une femme est plutôt positif par rapport à notre clientèle, mais ce serait peut-être différent chez une marque comme Ferrari où les acheteurs ont l'air assez "machos". Notre clientèle est complètement différente. Il faut dire aussi que j'ai l'avantage d'être non seulement à la vente mais également à la tête de la société avec mon époux. Dans ces conditions, le fait d'être une femme est un avantage. Si je n'étais qu'une simple commerciale, je ne suis pas certaine que cela fonctionnerait aussi bien. Nos clients traditionnels sont en général des passionnés qui me connaissent bien. Avec la nouvelle V8 Vantage, nous récupérons de nouveaux acquéreurs dont beaucoup de "porschistes". Ce sont des gens qui changent de voiture tous les deux ans et qui possèdent une mentalité différente mais en tant que femme, je conserve un bon rapport avec eux. Lorsque quelqu'un entre dans le showroom et me demande des renseignements, je n'essaie pas de lui vendre une voiture à tout prix. Je lui donne tous les renseignements qu'il désire et je prends ses coordonnées s'il souhaite me les donner. Nous ne poursuivons pas nos prospects en les relançant sans cesse. Il faut dire aussi que nous avons la chance d'avoir des clients qui viennent à nous. Cependant, je sais que j'ai réalisé certaines ventes parce que j'étais une femme. Un homme aura parfois du mal à refuser un achat face à une femme. J'ai connu l'exemple d'un homme qui est venu sans intention d'acquérir une voiture mais comme j'étais une femme et qu'il était un peu "macho", il a pris le véhicule le jour même pour me montrer qu'il pouvait acheter une Aston Martin.


    JA. Avez-vous d'autres femmes dans votre équipe commerciale ?
    AA. Non. Quand nous prenons des stagiaires, nous choisissons des hommes. Même moi, je préfère avoir des hommes. Nous pensons qu'il est délicat de laisser des ventes à une femme qui ne serait que simple commerciale. Ce serait très dur pour elle. Nous recevons des CV de jeunes femmes dans le domaine commercial de luxe mais nous préférons opter pour des hommes, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes gens. Nous ne pouvons pas nous permettre vis-à-vis de notre marque de prendre des personnes qui ne seraient pas à la hauteur pour mener une négociation. Cela vaut aussi bien pour un homme que pour une femme mais une femme aurait sans doute beaucoup plus de mal par rapport à la clientèle.


    JA. N'est-ce pas paradoxal ?
    AA. Si, totalement. Nous vivons dans un monde d'hommes et dans un milieu composé à 99 % d'hommes. Les mentalités évoluent mais lentement, dans tous les domaines d'ailleurs. La position des femmes dans l'automobile n'est pas encore reconnue et il faut travailler chaque jour pour gagner cette reconnaissance. C'est une situation paradoxale car je regrette de ne pas voir davantage de femmes dans la profession mais parallèlement, nous préférons choisir des hommes. Cela donne un aperçu de l'étendue du problème. Faire sa place dans le domaine commercial reste difficile pour une femme. Nous n'avons aucune excuse et sommes obligées de connaître la marque par cœur, d'être au top du top.


    JA. Connaissez-vous d'autres femmes qui évoluent dans l'automobile ?
    AA. Lors des stages de vente organisés par la marque, j'ai l'occasion de rencontrer les autres femmes qui représentent Aston Martin dans le monde. En Belgique, un couple tient une concession et l'épouse est aussi commerciale. En Allemagne, une femme s'occupe également des ventes au sein de l'un des distributeurs de la marque. Aux Etats-Unis enfin, un couple possède une concession dans le Connecticut et l'épouse s'occupe de la partie commerciale. Ma collègue belge a connu une première année difficile. Elle a rencontré les mêmes déboires que moi, ce qui est un peu décourageant au début mais le lien de confiance avec la clientèle se tisse peu à peu.


    JA. N'est-il pas difficile de concilier vie familiale et vie professionnelle ?
    AA. C'est terrible ! Ma famille passera toujours avant ma clientèle mais ce n'est pas toujours évident. Je pense que la femme possède une fibre maternelle qui la rend plus soucieuse si l'un de ses enfants est malade par exemple. Un homme ne réagit pas du tout de la même façon. Pour gérer la famille et le travail, il faut s'organiser. Depuis deux ans, Aston Martin est en pleine expansion et nous avons énormément de travail. Nous ne nous en plaignons pas mais cela m'a conduit à passer six jours sur sept au bureau. A partir de la rentrée prochaine, je vais lever le pied car les enfants grandissent et nous ne nous voyons plus. Cela se ressent dans tous les domaines. Aussi, une personne me remplacera le mercredi et le samedi dès septembre.


    JA. Les problèmes que vous avez rencontrés sont-ils plutôt dus à des clients ou à des professionnels de l'automobile ?
    AA. A des clients. Lorsque je réponds au téléphone par exemple, on ne s'attend pas à tomber directement sur la direction et on me prend parfois pour une standardiste. Lorsque je dis que je suis directrice commerciale, il y a souvent un petit étonnement chez mon interlocuteur. En revanche, je n'ai jamais rencontré de problèmes dans le milieu de l'automobile. Au départ, j'ai plutôt bénéficié d'aide et d'encouragements. Quoi qu'il en soit, il faut se lancer et seules les erreurs peuvent nous faire progresser. Je n'ai jamais eu une boule à l'estomac avant de téléphoner à l'usine contrairement à certains collègues qui paniquent lorsqu'ils ont un problème avec un véhicule. J'ai seulement connu cette angoisse face à des clients. L'année dernière par exemple, j'ai dû annoncer à certains qu'ils ne recevraient pas leur voiture en juillet mais en septembre. Aujourd'hui, la marque prend les devants dans ces cas-là et j'ai appris à gérer ce type de situation.


    JA. Constatez-vous une féminisation de la clientèle Aston Martin ?
    AA. Oui, même si cela ne représente environ que 5 % des commandes. Les femmes optent surtout pour la DB9 mais l'arrivée d'une boîte séquentielle sur la V8 Vantage l'année prochaine pourrait doubler le nombre de nos clientes. Actuellement, ce modèle plaît beaucoup aux femmes mais l'absence d'une transmission automatique les rebute. Je me rends compte au quotidien que de plus en plus de femmes aiment les voitures.


    JA. Etes-vous passionnée par l'automobile ?
    AA. Pour moi, c'est une "petite passion". J'ai découvert cet univers grâce à mon mari qui est un vrai passionné. On ne peut pas rester indifférent face à une Aston Martin. J'ai la chance de représenter une des plus belles marques qui existe mais je n'ai pas besoin de conduire une Aston Martin tous les jours pour me sentir bien.


    JA. Comment la marque a-t-elle évolué depuis que vous assurez sa distribution en France ?
    AA. La première année, nous avons vendu seulement quatre ou cinq voitures qui n'avaient pas la fiabilité des modèles actuels mais les clients étaient de vrais passionnés qui savaient qu'en achetant une Aston Martin, ils allaient avoir des problèmes. Aujourd'hui, cela a changé. Ils viennent chez nous pour acheter un produit fiable et c'est le cas. Nous n'avons plus aucun problème sur les moteurs, ce qui était le point faible des anciens modèles. Seule l'électronique peut parfois jouer des tours, surtout sur les premiers exemplaires d'un nouveau modèle. Les acquéreurs le savent mais ce sont généralement des gens qui veulent absolument être les premiers livrés. Nous avons connu beaucoup de problèmes avec les premières Vanquish mais cela ne sert à rien de vouloir dissimuler ce genre de difficulté car les clients l'apprennent rapidement. Maintenant, avec la Vanquish S, tout va bien.


    JA. Comment se portent les ventes aujourd'hui ?
    AA. Aston Martin nous alloue un nombre de voitures prédéfini pour l'année à venir mais en ce moment, nous vendons déjà sur le quota de 2007. Pour la V8 Vantage, nous sommes sur avril-mai et la DB9 sur janvier-février prochain. Sur une centaine de voitures attribuées en 2006, on compte à peu près 60 V8 Vantage, 30 DB9 et 10 Vanquish. La DB9 a connu un grand succès cette année. En temps normal, nous vendons deux tiers de coupés pour un tiers de cabriolets mais en 2006, l'usine a restreint volontairement le nombre de DB9 pour améliorer les délais de production de la V8. En dépit de cette précaution, nous avons eu tout de même trois mois de retard sur les V8 et nous avons vendu presque tous les coupés DB9 prévus pour 2006. Nous avions en stock au début de l'hiver quatre cabriolets. Avec mon mari, nous étions persuadés de les garder jusqu'au mois de mars. En fait, nous les avons vendus entre décembre et février. Je ne sais pas si les clients les ont achetés à défaut d'avoir un coupé mais ce qui est très étonnant, c'est qu'ils aient acheté un cabriolet en plein hiver. L'explication vient peut-être de l'image positive dont bénéficient ce modèle et la marque en général.


    JA. Quelles sont vos prochaines échéances importantes ?
    AA. Nous allons ouvrir une nouvelle concession à Bordeaux. Les travaux ont commencé sur un terrain situé à Mérignac, face à l'aéroport. Nous espérons l'inaugurer au premier trimestre 2007. Le projet a connu un peu de retard car le cahier des charges imposé par Aston Martin est très exigeant et il a fallu revoir les plans pour obtenir un espace digne des dernières concessions. Le showroom devrait ressembler à celui que nous possédons ici et les ateliers devraient contenir deux ou trois ponts.
    Pour la marque, la grande nouveauté devrait prendre la forme de la berline "Rapide". J'ai déjà quatre ou cinq lettres d'intention d'achat et des clients à rappeler dès que j'aurai davantage d'informations. Cette voiture pourrait être commercialisée fin 2008, début 2009. Je sais qu'actuellement, l'usine travaille sur l'habitabilité au niveau des places arrière car les clients ont trouvé que ce n'était pas une vraie quatre places. Ils sont donc en train de revoir ce point avec les ingénieurs pour offrir assez d'espace sans rallonger une berline qui mesure déjà cinq mètres. L'objectif au niveau de la qualité perçue reste la Bentley Continental Flying Spur mais j'ai beaucoup de clients qui me disent "je n'ai pas 60 ans, je n'ai pas l'âge d'aller chez Bentley", comme quoi, il y a des idées préconçues. Cependant, ils ne trouvent pas leur bonheur chez Aston Martin faute de place à l'arrière. Ils cherchent une voiture plaisir qui peut aussi leur permettre d'emmener leur famille. Avec la Rapide, nous pourrons donc leur offrir un produit qui pourrait se traduire par un apport de clientèle de 10 %, soit une dizaine de voitures par an. 


     Propos recueillis
     par Frédéric Marty





    ZOOM

  • Etes-vous passionnée d'automobile ?
    Pas à l'origine mais j'ai appris à aimer cet univers et on ne peut pas rester indifférente face à une marque comme Aston Martin.
  • L'automobile, hasard ou choix ?
    Heureux hasard.
  • Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
    Celui que j'ai exercé dans les relations publiques et que je prolonge sous une autre forme aujourd'hui au contact de la clientèle.
  • L'avantage d'être une femme ?
    Sans doute le fait qu'un homme réagira de façon plus positive face à une femme et sera moins insistant lors des négociations.
  • L'inconvénient d'être une femme ?
    Gagner le respect reste beaucoup plus difficile, tout comme concilier vie familiale et vie professionnelle.
  • La voiture la plus féminine ?
    La Mini.
  • La voiture la plus masculine ?
    La Vanquish.
  • La voiture de vos rêves ?
    Je les ai autour de moi ! Mais si je pouvais, je choisirais une DB9 Volante, une voiture fabuleuse !
  • A choisir, week-end F1 ou week-end shopping ?
    Week-end shopping avec mes enfants.
  • Jupe ou pantalon ?
    Pantalon.
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