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Distribution

En difficulté, les distributeurs automobiles cherchent un soutien auprès de l'Etat

Publié le 21 décembre 2021

Par Catherine Leroy
8 min de lecture
[Abonnés] Pénurie de véhicules à livrer, refonte du modèle contractuel avec les constructeurs, rentabilité en berne... la distribution automobile se sent plus que jamais en danger en cette fin d'année 2021. Des suppressions de postes sont envisagées dans la filière qui réclame un partage de la valeur et un soutien de l'Etat.
Selon le CNPA, 60 % des dirigeants de la distribution automobile envisagent de baisser les effectifs et les deux-tiers le feront au cours du premier trimestre 2022.

 

Dans dix jours, les comptes pour l’année 2021 pourront démarrer. Mais depuis plusieurs mois déjà, les professionnels savent qu’ils seront mauvais. "Le bilan 2021 sera catastrophique pour les réseaux automobiles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les volumes ne seront pas au rendez-vous. Le marché des véhicules particuliers va terminer à 1,650 million unités dans le meilleur des cas, soit peu ou prou le même volume qu’en 2020. Sauf que l’année dernière, la France a été confinée pendant trois mois à cause de la pandémie et que le commerce a subi deux mois de fermetures administratives. Ensuite, nous devons faire face à un dévissage très important du canal des particuliers, qui est le plus rentable", fait remarquer Marc Bruschet, président des concessionnaires VP au sein du CNPA. "Mais la grande différence entre 2020 et 2021 repose sur la mise en place du chômage partiel que nous n’avons plus cette année."

 

Au cumul des onze mois de l’année, la part du canal des particuliers ne pesait que 42,8 % des immatriculations globales et au bilan de l’année daté du 20 décembre, le marché atteint un niveau de 1,583 million de voitures neuves, soit -25,2 % par rapport à 2019 et stable par rapport à 2020.

 

Ce niveau de marché apporte un constat amer chez les concessionnaires : 2021 ne peut que mal se passer au niveau de la rentabilité. Le CNPA, qui a réalisé un sondage auprès de 100 groupes de distribution en France, dresse un constat inédit pour la profession : en novembre 2021 par rapport à novembre 2019, les stocks de véhicules neufs sont en chute de 38 %. Ceux pour les véhicules d’occasion sombrent de 47 % et les délais de livraison habituellement compris entre 2 et 3 mois sont passés à 4,5 mois.

 

Délais de livraison à rallonge

 

"Nos équipes sont complètement perdues ", avance ce directeur général. "Nous n’avons aucune idée des dates de livraison des véhicules. Alors bien sûr, les choses sont différentes selon les marques, les régions mais l’équilibre est impossible à faire même si les portefeuilles sont pleins."  Chez Renault, par exemple, les délais de livraisons varient beaucoup selon les modèles. "Nous enregistrons des écarts entre 3 et 6 mois, voire 9 mois pour la Dacia Sandero", observe Jérôme Daumont, président du groupement des concessionnaires Renault. "Bizarrement, nous avons peu de retard sur l’Arkana, alors que le véhicule fonctionne bien. Je n’ai pas d’explication à vous donner si ce n’est qu’il est produit en Corée du Sud chez Renault Samsung Motors et que l’on note que la crise de semi-conducteurs semble avoir moins d’impact là-bas qu’en Europe." Pour 2022, le distributeur n’est pas forcément plus optimiste : "Dacia nous a déjà signalé qu’au lancement, le réseau ne disposera pas de tous les Jogger commandés".

 

Au-delà de la pénurie des composants électroniques, les livraisons sont impactées par la stratégie des constructeurs qui porte sur la performance et la rentabilité des pays. "Dans un marché tendu, les constructeurs adaptent la répartition des attributions des produits en fonction des résultats de chaque pays ainsi que de leur règlementation", rappelle Jérôme Daumont. Une partie non négligeable de la production de la Dacia Spring est ainsi écoulée en Allemagne et en Italie, car la incitations réglementaires et fiscales lui sont très favorables.

 

Même discours chez Volvo. "Nous ne souffrons pas de délais de livraison qui dépasseraient les deux à trois mois car nous répondons aux objectifs fixés par la maison mère", présente Bédros Izikian, directeur général du groupe ABVV, distributeur, entre autres de Volvo dans le nord-ouest de l’Ile-de-France. A contrario, le réseau français reconnaît une certaine pression pour qu’en 2022, ils puissent bénéficier des mêmes avantages. "Nous nous sommes engagés à avoir un niveau de stock au 31 décembre 2021 de seulement 1 000 véhicules", explique-t-il. Cet engagement, qui est un challenge, pour le réseau participe à la mise en place des attributions de l’année à venir.

 

Le plus mauvais mois de décembre jamais connu

 

Chez Renault, les livraisons se sont accélérées en cette fin d’année avec un effet d’aubaine sur les modèles aux normes Euro 6D Temp, "mais à la marge", tient à préciser Jérôme Daumont et principalement sur l’utilitaire. "Nous sentons un léger push de la part du constructeur pour optimiser les immatriculations et les facturations avec comme objectif le respect des normes CAFE."

 

Malgré ces réglages, Jérôme Daumont reconnait que décembre 2021 "sera un des plus mauvais mois de décembre qu’il a connu". Du côté de chez Ford, les concessionnaires observent un petit regain des livraisons. "L’augmentation du malus au 1er janvier pousse le constructeur à écouler certains modèles concernés par cette hausse", note un concessionnaire. Mais il rappelle que les véhicules qui livrent aujourd’hui, "ont été commandés en juin dernier !". Chez un de ses homologues, distributeur Land Rover et Jaguar, même discours : "Les livraisons sont supérieures à celles de cet autonome, avec une attention toute particulière pour les modèles hybrides rechargeables et électriques". Pour beaucoup, ce regain commercial n’est qu’un miroir aux alouettes. "Après cette légère embellie artificielle liée à l’accélération des livraisons pour clore l’exercice en cours, le premier trimestre 2022 risque d’être plus tendu", craignent certains distributeurs.

 

Sur le marché du BtoB, certains opérateurs ont vu leurs ventes augmenter. "Indéniablement, nous avons profité de la défection de Stellantis et de Renault sur ce créneau", notent chacun de leur côté un distributeur Ford et Volvo. Les deux groupes français avaient en effet annoncé début novembre qu’ils ne prenaient plus de commandes de véhicules aux conditions de remises négociées pour 2021. Une aubaine pour plusieurs marques qui voient ici l’opportunité de conquérir de nouveaux clients à moindre frais.

 

Des aides pour l'industrie mais pas pour le commerce

 

De fait, pour les constructeurs, l'impact de la pénurie de semi-conducteurs va se solder par des volumes en moins. Pour autant, les objectifs de marge opérationnelle n'ont pas été revus à la baisse. "Chez Stellantis, le constructeur a annoncé que la crise lui faisait perdre la production de 1,4 million de véhicules mais la marge opérationnelle reste fixée à 10 %", fait observer ce patron de groupe. "Comment en est-on arrivé à ce stade ? Les constructeurs ont pourtant une responsabilité dans cette pénurie car la crise était anticipable et ils n’ont pas voulu constituer, comme Toyota par exemple, de stocks tampons."

 

Pour ce professionnel, les constructeurs ont tout bonnement compensé cette perte de chiffre d'affaires par des hausses de tarifs. D'ailleurs le CNPA a en recensé 4, de manière générale tout au long de cette année. "Les constructeurs ont supprimé les modèles d'entrée de gamme, ont baissé les aides accordées aux réseaux, le tout en profitant du chômage partiel que certains États dont la France ont conservé pour les industriels, mais pas pour le commerce", avance ce dirigeant. "Les constructeurs ont bénéficié de l'argent du contribuable et des primes qu'ils accordaient auparavant à leurs distributeurs", ne décolère pas cet autre chef d'entreprise.

 

De fait, le CNPA regrette cette concentration des aides publiques en faveur de l'industrie, de l'amont de la filière automobile alors que l'aval, les services sont très souvent oubliés. "Le CNPA a fait une demande auprès des pouvoirs publics depuis le mois de juin 2021, pour un dispositif type chômage partiel afin d'aider le commerce. Mais nous n'avons aucune réponse. C'est d'autant plus incompréhensible que sur 10 ans, la filière aval a créé 150 000 emplois et que l'amont en a supprimé plus de 200 000", dénonce Marc Bruschet.

 

Ajustement des effectifs

 

Pourtant, la pression s'accentue sur les réseaux. Et toujours selon le sondage réalisé par le CNPA, 60 % des dirigeants de la distribution automobile envisagent de baisser ses effectifs et les deux-tiers le feront au cours du premier trimestre 2022.

 

Et pour ceux qui vont essayer de garder leurs salariés, il va s'agir de réaffecter les postes. "Nous essayons de soutenir au mieux nos vendeurs qui ont vu leur partie variable fondre comme neige au soleil. Nous avons décidé de les payer à la commande. Et même si nous avons choisi, aussi, de réduire la population des vendeurs, nous allons les réorienter, soit vers le commerce BtoB qui semble plus durable, soit vers des postes de websellers. Mais nous devons faire face aussi à beaucoup de départs volontaires. Les vendeurs se sentent de moins en moins à l'aise dans le métier", explique ce patron de groupe.

 

Seule voie de salut selon certains dirigeants : grossir tout en massifiant les coûts. "Les constructeurs nous ont demandés de faire des bêtises depuis plusieurs années en nous poussant à nous installer loin de nos bases, en rachetant ce qu'ils souhaitaient et comme nous avons un gros ego, nous y sommes allés", ironise ce distributeur. "Mais nous avons du ressort, nous allons croître, mettre plus de marques dans les mêmes halls, faire des ateliers multimarques, sortir la carrosserie de nos concessions... Les constructeurs veulent nous rendre plus indépendants ? Alors nous allons l'être !" (avec Christophe Bourgeois)

 

 

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