D’un réseau à un autre
...de véhicules en activité depuis 1978. Jusqu'en 2003, un seul panneau était affiché sur la façade : Garage Menico, agent VW (le nom de l'entreprise étant une contraction entre celui du patron, Paul Menicier, et le nom de jeune fille de sa femme). Et puis, un jour, un second panneau est venu s'ajouter au premier. Ou plutôt, un nouveau est venu faire de l'ombre à l'ancien. Désormais, le site, avec son showroom et son atelier attenant, affiche le nom et les couleurs de l'enseigne Top Garage. Un basculement surprenant, après 26 ans d'un mariage plutôt heureux... Paul Menicier, qui ne pratique pas la langue de bois, a toujours travaillé dans l'univers de la mécanique. Il a même exercé son art sur les moteurs d'avion, juste après la Seconde Guerre mondiale, en Angleterre. Il était alors mécanicien dans la Royal Air Force. Paul Menicier a 85 ans cette année, et toujours pas de retraite annoncée pour ce fringant jeune homme. Sa femme l'accompagne également, depuis toujours. Pendant des années, le quotidien du couple et de l'atelier s'est déroulé sans encombres. "Il y avait trois gros concessionnaires Volkswagen et Audi dans la région, dont dépendaient plusieurs agents", explique le patron, qui poursuit : "Nous passions par celui basé à Dieppe pour nous fournir en véhicules neufs. Nous nous adressions directement chez le constructeur pour les pièces de rechange." Outre la réparation et la vente des véhicules des marques distribuées, la vente VO et la réparation multimarque faisaient également partie de l'activité habituelle. Pendant des années, le site bat son plein. Il faut bientôt étendre le garage (600 m2 aujourd'hui dédiés pour le hall, l'atelier et l'annexe carrosserie) et ajouter 600 m2 de parkings. Environ 600 véhicules toutes marques confondues passent tous les mois par les mains des trois mécaniciens et du carrossier. L'affaire tourne bien, comme on dit. Un supermarché et une station-service sont venus s'installer en face, un apport de clientèle supplémentaire qui est le bienvenu, naturellement. La notoriété de l'atelier grandit dans la région et ses alentours, et quelques clients viennent de loin pour faire réparer leur véhicule "chez Menico". "Nous avions même, et nous avons encore d'ailleurs, des personnes qui habitent à 60 kilomètres de là, mais ils préfèrent venir chez nous car ils nous connaissent depuis des années et ils ne changent par leurs habitudes comme cela", indique Annick Menicier, la femme du dirigeant. Et d'ajouter qu'ils étaient, dans les années 80, qualifiés par le constructeur comme l'un des meilleurs agents VW de l'Hexagone. "Nous n'avons jamais eu de reproches, nous allions régulièrement aux stages réservés au personnel, nous profitions également des voyages organisés, nous étions investi dans notre marque", dit-elle.
VW résilie le contrat avec son agent
Et puis, en 2002, sous l'effet du nouveau règlement, le constructeur impose de nouveaux critères à son réseau primaire et secondaire, et avertit l'agent que tout doit changer : la couleur des façades, le mobilier, le pavé du hall d'exposition, le système informatique… le tout pour la somme de 150 000 euros. "Tout fonctionnait parfaitement ainsi et, du jour au lendemain, cela n'allait plus. Il fallait donc tout changer, et le tout à nos frais. Je croyais rêver", lance Paul Menicier. N'imaginant pas s'endetter à son âge, l'agent refuse de consentir un tel investissement. La réponse du constructeur est sans appel, ce sera la fin du contrat qui les liait depuis vingt-six ans. A cette annonce, les fournisseurs de l'atelier se sont dit que cette rupture pouvait avoir des conséquences sur leur propre activité. L'un d'entre eux, Normandie Accessoires, qui le fournit en courroies et roulements, suggère à l'ancien agent de se fédérer à un réseau qu'il connaît : Top Garage. Paul Menicier n'en a jamais entendu parler, mais se laisse convaincre et prend connaissance des conditions d'entrée pour accéder au réseau. "Pour répondre aux normes de l'enseigne, 15 000 euros d'investissements. Comparé aux 150 000 euros de VW, vous comprendrez ma décision." A cela, il faut ajouter les 144 euros TTC de redevances versées à l'enseigne chaque mois et la formation régulière du personnel aux nouveaux outils dédiés à la réparation. Aujourd'hui, Paul Menicier et sa femme semblent se féliciter de leur choix, mais on sent tout de même dans le ton du patron comme une pointe d'amertume à l'évocation de ses années passées au service de VW. "Vous me demandez si je suis déçu ? Oh que oui ! J'ai vendu ma première Golf en 1978, je suis passé agent officiel en 1979… pour finalement en arriver là vingt ans plus tard. Alors oui je suis déçu." Pour autant, il ne regrette pas son choix de faire partie d'un autre réseau. "Les critères d'entrée sont accessibles, l'enseigne permet d'être formé et informé régulièrement, une hot-line est disponible à tout moment lorsque l'on rencontre un problème sur un véhicule, et je suis libre de mes mouvements." Lorsqu'il était agent, Paul Menicier vendait 120 VN par an, dans les plus belles années. Aujourd'hui, cette activité est devenue marginale. "Depuis la fin du contrat avec le constructeur, nous ne sommes plus en mesure d'assurer la garantie des véhicules. Un jour, peut-être, Top Garage sera en mesure de le faire." Pour les pièces de rechange VW, Paul Menico transite par un concessionnaire de la marque allemande, "mais je dois aller moi-même chercher les pièces. Par contre, les autres constructeurs, Peugeot et Renault par exemple, nous livrent directement ici. C'est n'importe quoi".
"Il y a des abus avec les VEI, c'est n'importe quoi"
D'ailleurs, sa vision du marché automobile est aujourd'hui plutôt pessimiste. "La mondialisation, le phénomène asiatique, l'arrivée d'Internet… autant de facteurs qui ont fortement perturbé les ventes. De toute façon, les gens n'ont plus les moyens d'acheter des voitures onéreuses." Et d'appuyer ses dires avec l'exemple de la Logan, commercialisée en France à partir de 7 500 euros (voir aussi JA n°913). La voiture aurait-elle tendance à devenir un moyen de transport commun, et non plus un signe extérieur de richesse ? "Le concessionnaire français n'a pas d'autre choix que de s'aligner en terme de prix, s'il veut vendre ses modèles. On vendra toujours des voitures, c'est certain, mais les pratiques dans les réseaux de distribution actuels vont changer, forcément." Dernier fait qui lui fait penser que "le monde marche sur la tête", la déclaration du véhicule en tant qu'épave : "Le VEI (Véhicule économiquement irréparable) a fait chuter notre activité en carrosserie - auparavant, un véhicule passait au marbre chaque semaine, désormais plusieurs mois peuvent s'écouler - et le pire, c'est que l'épaviste à qui le véhicule revient peut le revendre dans des pays comme la Belgique ou la Pologne. Une fois là-bas, il est miraculeusement réparé et, quelquefois, il réapparaît sur le marché français. C'est encore n'importe quoi, vous ne trouvez pas ?" Si vous lui demandez pourquoi il travaille encore à son âge, il vous répond qu'il est trop tard pour s'arrêter, et ajoute en souriant qu'il pense très sérieusement à une future transmission. En attendant, les clients affluent toujours dans le garage et, le plus drôle, c'est que l'atelier n'a aucunement changé ses habitudes : 80 % des véhicules en réparation sont des Audi ou des VW. "Nos clients ont confiance en nous et sont restés fidèles", lance fièrement Paul Menicier, avant d'enfourcher son scooter (d'origine coréenne) qui, selon sa propre expression, "marche du feu de dieu".
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Muriel Blancheton
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