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Distribution

“Distribuer une seconde marque ne justifie pas le sacrifice de la première”

Publié le 31 mars 2006

Par Alexandre Guillet
5 min de lecture
A la demande de Bruxelles, GM a précisé dans son contrat que la fixation des objectifs devra tenir compte des conditions locales de vente des concessionnaires et, notamment, de leur décision de vendre des marques concurrentes. Maître Louis Vogel, défenseur de la cause des constructeurs, réagit. Les...

...objectifs de vente et les primes d'objectifs font régulièrement l'objet de critiques. Lorsque les primes reçues sont faibles, on leur reproche d'être insuffisantes, et lorsqu'elles sont élevées, de maintenir les distributeurs dans la dépendance de la marque qu'ils représentent. En réalité, les objectifs et les primes ne méritent pas tous ces reproches. Il s'agit d'outils de stimulation commerciale indispensables au fonctionnement efficient des réseaux, permettant à chacun de leurs membres de mesurer ses performances et d'être récompensé en fonction de ses efforts. Les juges ne s'y trompent pas. La Cour d'appel de Paris considère ainsi qu'une clause d'objectifs "n'est pas contraire, en elle-même, à l'article 81 du Traité instituant la Communauté européenne dès lors qu'elle contribue, dans l'intérêt du consommateur final, à maintenir une concurrence effective entre les concessionnaires et, en prévenant toute inaction ou passivité commerciale de leur part, à assurer la fluidité des marchés locaux" (Cour d'appel de Paris, arrêt du 15 juin 2005).
(…) A nos yeux, le règlement n'empêche pas de déterminer des objectifs justes, équitables et incitatifs et les différends doivent rester exceptionnels si les objectifs ont été correctement fixés et si les partenaires font leurs meilleurs efforts pour les remplir. Il est évident que le règlement ne s'oppose pas à la fixation d'objectifs en fonction du potentiel de la zone de chalandise du distributeur. Il faut simplement que le distributeur soit libre de remplir cet objectif en disposant de la plus grande liberté de vente au sein ou à l'extérieur de sa zone.

Rien dans le règlement n'interdit de recourir à des objectifs de résultat

S'agissant du multimarquisme, nous ne partageons absolument pas l'opinion selon laquelle les objectifs devraient être revus à la baisse de façon à être compatibles avec l'organisation multimarque que retiendrait un distributeur. Rien dans le règlement n'interdit de recourir à des objectifs de résultat, rien dans le règlement n'interdit de fonder les objectifs sur les résultats nationaux de la marque, rien dans le règlement n'impose que les objectifs soient fixés d'un commun accord entre le fournisseur et le distributeur. Il peut paraître équitable de prendre en compte les conditions locales de vente pour la fixation des objectifs mais tel n'est pas le cas s'agissant de la décision du concessionnaire de représenter d'autres marques : avoir le droit de représenter une autre marque ne justifie pas le sacrifice de la première, d'autant que le distributeur est protégé par le numerus clausus. La solution, non fondée en droit, pose des problèmes pratiques évidents (dans quelle mesure diminuer les objectifs ?) et aboutit à un résultat paradoxal : un distributeur représentant plusieurs marques atteindra plus facilement ses objectifs, qui auront été diminués, et par voie de conséquence obtiendra des primes plus importantes qu'un distributeur monomarque.
Une telle promotion du multimarquisme sur les lieux de vente (…) est évidemment problématique et irréaliste à de multiples égards. En premier lieu, elle ne repose sur aucune démonstration économique de son bien-fondé. La Commission ne justifie pas en quoi le multimarquisme qu'elle entend promouvoir serait plus efficient que le modèle économique actuel. Cette carence est d'autant plus grave que l'analyse économique et la jurisprudence de la Cour de justice considèrent que le monomarquisme ou de façon plus générale l'obligation de non-concurrence n'ont d'effets anticoncurrentiels que dans des circonstances exceptionnelles, en cas de risque de forclusion des concurrents ne trouvant pas de distributeurs ou de risque de collusion entre marques établies en vue de boycotter les nouveaux entrants. Or, en matière automobile, il n'existe aucun problème de ce type par rapport aux nouveaux entrants, comme l'a démontré le développement des marques japonaises, puis coréennes et à présent chinoises sur le marché.
En second lieu, la mise en cause d'un système de primes efficient n'est pas non plus justifiée d'une quelconque façon. Le raisonnement adopté par la Commission conduit à modifier l'équilibre contractuel de manière très défavorable aux marques : pourquoi devraient-elles faciliter l'obtention de primes de ventes en baisse ? On ne peut pas modifier un modèle économique au détriment de l'un des opérateurs en pensant que le modèle continuera à fonctionner.

Les objectifs ne peuvent être contestés a posteriori

(…) Il est illusoire de penser que les objectifs peuvent être contestés a posteriori, parfois plusieurs années après les faits. Ces actions sont généralement écartées dans la mesure où les juges considèrent qu'un distributeur dispose en sa qualité de "professionnel du marché de l'automobile des connaissances nécessaires à une libre conclusion du contrat de concession" (Cour d'appel de Paris, 17 novembre 2005). A notre sens, les contentieux relatifs aux objectifs demeureront très limités sous l'empire du nouveau règlement. Tout au plus la non-réalisation des objectifs risque-
t-elle d'être invoquée à l'appui de décisions de résiliation ordinaire avec préavis de deux ans, comme l'une des raisons objectives et détaillées expliquant la fin des relations.


Louis Vogel


(Pour aller plus loin, lire "Droit de la distribution automobile II, le bilan du règlement" de Louis et Joseph Vogel aux Editions LawLex, 2006, Spéc. p. 57 à 59.)

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