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Distribution

Deux résiliations, une sanction

Publié le 9 janvier 2004

Par Alexandre Guillet
5 min de lecture
Résilié deux fois par Nissan pour le même motif (performances commerciales insuffisantes), dans le cadre d'une résiliation ordinaire puis extraordinaire, Philippe Moreau obtient 208 000 euros d'indemnités du tribunal de commerce de Versailles. Quand, dans la logique de l'Alliance...
Résilié deux fois par Nissan pour le même motif (performances commerciales insuffisantes), dans le cadre d'une résiliation ordinaire puis extraordinaire, Philippe Moreau obtient 208 000 euros d'indemnités du tribunal de commerce de Versailles. Quand, dans la logique de l'Alliance...

...signée en 1999, Renault et Nissan font le bilan de leurs forces et faiblesses respectives, le réseau est un enjeu majeur. En France, les deux constructeurs décident de mettre au service de Nissan la taille et la puissance du réseau Renault. Rapidement, le projet de réorganisation de la distribution se heurte à l'hostilité de la partie "historique" du réseau Nissan. Craignant le bradage de leurs affaires, un certain nombre de concessionnaires engagent alors une vaste riposte juridique. Chef de file de cette contestation et président du groupement, Philippe Moreau ferraille contre l'importateur. Un engagement qui, incontestablement, sera à l'origine de la dégradation de ses relations avec la marque. En désaccord sur le prix qu'on lui offre (800 000 euros), il refuse une première fois de céder son affaire dont il estime la valeur "entre 1,2 et 1,3 million d'euros".
Quelques mois plus tard, le 9 septembre 2002, Nissan France résilie sa concession Autostyl avec un préavis de deux ans et précise le motif : "performances commerciales insuffisantes". Mais, le 24 juillet 2003, Nissan France écourte le préavis et résilie à nouveau la concession Autostyl pour, encore une fois,"ses mauvaises performances commerciales", avec effet au 30 septembre 2003.
C'est cette deuxième résiliation que le tribunal de commerce, dans son jugement du 14 novembre dernier, a qualifiée d'abusive. "Nissan France ne peut à nouveau prétendre, à l'appui de cette




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Refus d'agrément

Alors que son contrat est résilié Philippe Moreau fait une demande d'agrément qui lui est refusée. Une disposition du contrat écarte les concessionnaires qui ont été résiliés pour faute au cours des cinq dernières années. Pour Philippe Moreau ce critère est discriminatoire. Il fait encore référence à l'intuiti personae et ne serait donc pas un critère qualitatif objectif. Pour Joseph Vogel, l'avocat de Nissan, ce critère sanctionne une faute du concessionnaire. Il a déjà été validé par plusieurs décisions dans les domaines du parfum, de la pièce de rechange et de l'automobile.
résiliation extraordinaire, sanctionner son concessionnaire en invoquant le même motif", dit le jugement. En d'autres termes, le même motif ne peut servir deux fois. Pour Joseph Vogel, avocat de Nissan France, "le tribunal n'a pas examiné les motifs de la deuxième résiliation expliquée par une dégradation des performances commerciales, mais également un grand nombre de réclamations clients".
Mais c'est surtout la concordance entre l'échéance du préavis et l'entrée en vigueur du nouveau règlement européen le 1er octobre 2003 qui a troublé le tribunal. Celui-ci a retenu la thèse de Maître Bertin, avocat de Philippe Moreau, qui faisait valoir que cette résiliation "avait pour but de mettre en échec le nouveau règlement européen qui aurait permis à Philippe Moreau de choisir son repreneur sans être soumis à la pression du constructeur".

Des prétentions divisées par cinq

Au final, les juges ont tranché en faveur du concessionnaire : "En réduisant d'un an les délais de préavis, la SA Nissan a causé à la Sté Autostyl un préjudice dont il lui est dû réparation." Cette réparation, le tribunal l'a calculée serrée. Alors que la société Autostyl réclamait une indemnisation sur la base d'une année de marge brute, soit 1 065 775 euros, le tribunal de commerce ne lui en accordera que 208 912 au terme d'un long calcul. Pour Maître Bertin, "cette évaluation du préjudice est indûment limitée par la valeur du fonds de commerce que le tribunal a retranchée de l'estimation".
Entre-temps, Philippe Moreau a vendu son affaire ( le 30 septembre 2003 !) pour une somme inférieure de moitié à celle qui lui était proposée auparavant par Alain Manuel, concessionnaire Renault du secteur (déjà auteur de la première offre). "Je me serais retrouvé le 1er octobre 2003 sans contrat avec les stocks et le personnel. Vendre était la seule façon d'éviter la liquidation de l'entreprise", explique-t-il.
Mais la procédure judiciaire qu'il a engagée contre Nissan comporte un autre volet. Philippe Moreau attaque la filiale française du constructeur devant le tribunal de commerce de Grenoble pour refus d'agrément. "Nissan a refusé ma candidature dans le cadre du nouveau règlement en invoquant la résiliation pour faute de mon contrat. Cette résiliation a été reconnue comme étant abusive par le tribunal de commerce de Versailles, leur refus n'est donc plus fondé", affirme-t-il. Une interprétation que réfute Maître Vogel : "Le tribunal a considéré que les fautes qu'on lui reproche n'étaient pas suffisamment graves pour justifier une résiliation extraordinaire. En revanche, ces mêmes fautes - mauvaises performances commerciales et réclamations clients - peuvent tout à fait justifier un refus d'agrément." Un différent qui devrait prochainement être tranché par les juges du tribunal de commerce de Grenoble. A moins que l'appel que pourrait intenter Nissan contre le jugement du tribunal de commerce de Versailles ne recule encore l'échéance.


Florence Lagarde


Légende photo ci-dessus : Philippe Moreau (à gauche), concessionnaire Nissan à Grenoble pendant 30 ans et Maître Bertin. Tous les deux se sont dès le départ opposés à la restructuration engagée par Nissan France dans le cadre de son alliance avec Renault en tant que président du groupement pour l'un et avocat de ce même groupement pour l'autre.





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Le prix du préjudice


L'indemnité définie par le tribunal de commerce de Grenoble est le fruit du calcul suivant.


  • Chiffre d'affaires de ventes VN sur trois ans : 12 322 540 euros
  • Remises sur véhicules neufs sur trois ans : 899 719 euros
  • Produit net : 11 422 821 euros, soit une base annuelle de 3 807 607 euros
  • La marge consentie par Nissan France à son réseau retenue par le tribunal est de 12 %.
  • Appliqué au produit net, cela donne 456 912 euros, dont le tribunal retranche la valeur du fonds de commerce estimé à 248 000 euros : on arrive ainsi au chiffre de 208 912 euros .
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