De Peugeot au Palais des Sports
30 mai 2011. Le club de l’Elan Béarnais Pau-Lacq-Orthez, véritable institution dans le paysage du basket français (9 titres de champion de France), tient le conseil d’administration qui désignera son nouveau président. Les jeux sont pratiquement faits, la mairesse de Pau ayant déjà porté son dévolu sur un candidat, le patron d’une grosse entreprise paloise. Or, les actionnaires privés ont un autre homme dans le viseur : Maher Abid. Cet homme de 51 ans, né en Tunisie, dirige depuis 2003 la plaque Abcis Pyrénées, appartenant au groupe PGA. Partenaire du club depuis quinze ans, la filiale est également entrée dans le capital du club en 2008, au moment où celui-ci rencontrait des difficultés économiques. “J’avais obtenu l’accord de la direction financière de PGA pour investir 10 000 euros, un signe fort de notre passion pour l’Elan Béarnais”, retrace Maher Abid. En local, il n’est pas un inconnu, son itinéraire professionnel méritant ayant fait l’objet de plusieurs articles de presse et de reportages télévisés. “J’avais déjà conquis une belle image auprès des Palois”, explique-t-il. Sauf qu’en ce mois de mai 2011, il ne s’agit plus d’automobile, mais de basket. A Pau et dans ses environs, on ne plaisante pas sur l’avenir du club. Quelques jours avant le conseil d’administration, le nom de Maher Abid commence à circuler dans la presse locale. “Mon nom a fuité dans les journaux sans que je sois au courant. Comme je n’étais pas du tout candidat, j’ai donc démenti les rumeurs”, indique le dirigeant béarnais.
Provisoire, provisoire…
Le conseil d’administration doit donc se tenir sans lui. Deux coups de théâtre vont changer la donne. “Didier Gadou (joueur emblématique et directeur exécutif du club : N.D.L.R.) m’a appelé pour me demander si je souhaitais me joindre au conseil. Ce n’était pas prévu, mais j’ai accepté. C’est en arrivant au Palais des Sports que j’ai appris que le patron pressenti pour prendre la présidence du club ne s’était pas présenté. Par conséquent, la mairie, en qualité d’actionnaire majoritaire, avait décidé de nommer un élu au poste de président. C’est alors qu’est intervenu Pierre Seillant (41 ans à la tête du Club : N.D.L.R.) : “Je n’ai pas créé et amené ce club là où il est pour qu’il soit dirigé par un élu. Il faut un chef d’entreprise.” Et il s’est tourné vers moi.” Comment refuser ? Patron d’une plaque de treize concessions automobiles allant de La Teste (33) à Sète (34), également président du groupement des concessionnaires palois, Maher Abid ne manque pas d’occupations, mais il ne peut pas laisser passer cette opportunité. Or, cette décision reste également suspendue à celle du groupe PGA. “J’ai donc appelé Claude Fréret, alors dirigeant du groupe, et je lui ai expliqué que l’on me proposait la présidence de l’Elan Béarnais. J’ai pris la peine de préciser que c’était une chance extraordinaire, mais que cela pouvait être aussi provisoire, sachant que l’autre candidat n’était pas venu. Il m’a répondu : “C’est une grosse charge, je ne vous vois pas assumer ces deux responsabilités. Mais si c’est provisoire, j’accepte.” Et c’est ainsi que j’ai arraché le “Oui” à Claude Fréret.” A l’unanimité, Maher Abid est donc élu président de l’Elan Béarnais. Trois ans et demi se sont écoulés depuis cet épisode et le dirigeant palois est toujours président du club. Du provisoire qui dure. Le groupe PGA ne l’a pas regretté. “Non seulement le groupe a convenu que c’était une bonne chose pour l’image de l’entreprise, mais ils étaient fiers aussi. Cela les a confortés dans la nécessité d’intégrer les concessions dans le tissu local”, affirme Maher Abid.
Claude Dumas-Pilhou et Christian Klingler, des hommes d’influence
Encore une fois, le dirigeant a déjoué les pronostics. Ce nouveau challenge est à l’image de son parcours professionnel, qui a été honoré en novembre 2010 par la remise des insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite – “le plus beau jour de ma vie”. “Il reste difficile de s’intégrer et de faire son chemin dans ce pays sans rencontrer d’obstacles liés à ses origines. Il faut bosser et se battre pour prouver sa valeur”, juge le Franco-tunisien, qui a gravi tous les échelons dans une affaire automobile. Entré au sein du réseau de la marque au lion en 1984, c’est en 1997 que les choses sérieuses ont commencé. “Le groupe Cica, dirigé par Claude Dumas-Pilhou, m’a alors confié la direction de la société Paloise automobile (aujourd’hui Abcis Pyrénées : N.D.L.R.), c’était un témoignage fort de la confiance dans l’homme. Il m’a d’ailleurs avoué par la suite avoir subi une salve de critiques de la part de dirigeants du groupe Cica, qui ne comprenaient pas que l’on puisse me confier la responsabilité d’une affaire qui représentait 1 500 unités à l’époque”, se remémore Maher Abid. Cette confiance, essentielle, le dirigeant l’a ressentie à nouveau en 2013, lorsque Christian Klingler, directeur général de PGA, a décidé d’intégrer les affaires Peugeot du Pays basque dans le giron de la filiale Abcis Pyrénées. “Coordonner des affaires du Béarn et du Pays basque, quand vous connaissez la rivalité entre ces deux “régions”, représente un sacré challenge. Ma responsabilité s’en trouvait multipliée par deux”, resitue le président du club vert et blanc.
Poitiers, la défaite qui fait mal
Les valeurs acquises au cours de son parcours professionnel et, surtout, cette ténacité dans l’adversité se sont vite révélées bénéfiques une fois à la tête du club de basket Pau-Lacq-Orthez. Car Maher Abid n’a pas eu le droit au confort du succès et au concert de louanges pour sa première année. Celle-ci s’est même révélée brutale : limogeage de l’entraîneur, descente en Pro B (deuxième division), suivis d’une restructuration profonde du club. Un cauchemar, selon l’intéressé. “J’ai dû me résoudre à me séparer de l’entraîneur car il y avait une rupture avec les joueurs. C’est comme un chef des ventes qui n’est plus suivi par ses vendeurs. Cette équipe n’était pas née pour vivre ensemble. Nous n’avons pas réussi à créer une cohésion.” Au final, l’Elan Béarnais a été rétrogradé pour une défaite de trop. Elles ont été nombreuses cette année-là, mais il y en a une qui reste plus que les autres gravée dans les mémoires. “Le hasard a voulu que le match qui a scellé notre sort s’est déroulé à Poitiers, au sein du siège du groupe PGA, qui était d’ailleurs à l’époque partenaire du Poitiers Basket. J’avais envie de vomir derrière les tribunes du Parc des Expositions tellement c’était horrible.” La saison suivante, au niveau inférieur, le dirigeant a dû procéder à une restructuration drastique au sein de l’organisation du club. “Il fallait avoir du courage car nous avons évincé des gens historiquement engagés dans le club, mais qui n’occupaient plus des fonctions essentielles”, avoue-t-il. Depuis, le club a retrouvé l’élite du basket français et vise cette année une place en play-off.
La pression du match et des résultats
Bien que rompu aux diverses pressions et contraintes qui pèsent sur les épaules d’un directeur général manageant 370 salariés, Maher Abid a appris à se familiariser avec les nouvelles exigences d’un club de haut niveau, impitoyables. Il s’est très vite heurté également à l’impuissance d’un président face aux aléas du sport. “Dans une entreprise ou une concession automobile, je peux toujours intervenir au moment de la transaction, que ce soit lors d’une vente ou à la réception du client à l’après-vente. En revanche, dans le club, une fois que les joueurs sont sur le parquet, je ne peux rien faire. Et c’est terrible à vivre. D’autant que je porte tout autant le poids et les conséquences d’une défaite. Je vis les matchs dans un état de stress extrême”, confie-t-il.
Une crédibilité renforcée
Cette fonction se révèle être également au quotidien une source de rencontres et d’expériences enrichissantes. Avec trois ans de recul, Maher Abid retient deux enseignements majeurs : “Cette nomination a d’abord suscité la fierté de mes collaborateurs et a ensuite renforcé ma crédibilité à leurs yeux. Je n’étais plus seulement le directeur général d’Abcis Pyrénées, mais également le président d’un grand club. Par ailleurs, l’échange avec les entraîneurs, qui sont des managers de haut niveau, est extrêmement intéressant. Cela apporte une autre vision du management d’une équipe, notamment cette capacité à extraire et analyser les points forts du joueur comme du collaborateur pour organiser autour de lui la stratégie.” Dans le paysage du basket français, Maher Abid n’est pas un président que l’on peut qualifier de charismatique. Il ne s’en offusquera pas car cette discrétion est parfaitement assumée. “A la différence de Pierre Seillant, qui maîtrisait parfaitement le basket, je n’ai pas cette culture de la technicité sportive. Aujourd’hui, l’exposition de notre club dans le monde du basket se fait avec Didier Gadou, qui est l’interlocuteur auprès de la Ligue nationale de basket et qui a toute la latitude pour évoquer la stratégie de jeu, le choix des joueurs… Ma mission est de définir des ambitions budgétaires et sportives, d’aider le club à optimiser ses moyens, ses coûts, à aller chercher des partenaires, à défendre les intérêts et vanter la qualité du club”, détaille Maher Abid, qui suit son équipe lors de “déplacements stratégiques”, représentant aussi une utilité professionnelle par rapport à Peugeot Abcis Pyrénées.
Jusqu’en 2016 et après…
Discret, le président n’en a pas moins apporté son identité et sa patte personnelle dans le club, avec des recettes très imprégnées de l’univers automobile. “Les partenaires comme nos abonnés doivent être considérés comme des clients au sein d’une concession, via une attention, un accueil, une qualité de service… J’essaye de convertir le personnel et les joueurs du club à œuvrer dans ce sens. Car, souvent, une fois que vous avez signé le chèque, on vous oublie. J’ai connu cette situation en tant que partenaire et je ne veux surtout pas à mon tour reproduire cette erreur. C’est ma touche personnelle qui, dans les moments difficiles, a permis de fidéliser les partenaires”, affirme-t-il. L’ancien président du groupement des concessionnaires palois, dont le mandat à la tête du club court jusqu’en 2016, n’a encore rien décidé sur son avenir. “Je ne me suis pas préparé pour prendre cette présidence, et je ne vais pas me préparer pour la quitter, glisse-t-il malicieusement. Mais mon avenir professionnel reste prioritaire.” Et avec le groupe PGA, toujours aussi actif sur le marché, il faut se préparer à tout.
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DATES CLÉS
Octobre 1997
Prend la direction de la société Paloise automobile.
Octobre 2003
Intégration des affaires du Pays basque, reprises en 2002 par le groupe PGA, dans le périmètre d’Abcis Pyrénées.
Novembre 2010
Remise de l’ordre national du Mérite.
Mai 2011
Prend la présidence du club de l’Elan Bearnais Pau-Lacq-Orthez.