Contrôle technique : malgré le rattrapage, les incertitudes persistent
Oubliés du plan de relance, les réseaux de contrôle technique ne veulent pas être les laissés pour compte du secteur automobile dans un contexte de crise économique et sanitaire. Car les défis demeurent nombreux pour cette filière en pleine mutation et qui se veut garante de la sécurité routière. Une mission réglementée que l’ensemble des réseaux ne manque pas de rappeler. Aussi, l’annonce du délai de 104 jours pour réaliser son contrôle technique a été le fruit d’un long travail de concertation avec le ministère de tutelle de la Transition écologique en charge des transports. Et le 25 mai dernier, le communiqué de la DGEC est tombé : les visites devant, à l’origine, être réalisées entre le 12 mars et le 23 juin 2020 ont été décalées à une périodicité ultérieure, entre le 24 juin et le 5 octobre 2020. Quant aux contre‑visites prévues entre le 12 mars et le 23 juin 2020, elles étaient à effectuer avant le 24 août 2020.
Engorgement dans les centres postconfinement
Un soulagement pour la profession qui craignait, à juste titre, un engorgement dans les centres postconfinement. "En tant que présidente de Dekra et membre du CNPA, je fais partie de ceux qui estimaient qu’on ne peut pas nous demander d’absorber en un mois les trois mois de retard dus au confinement et assurer en même temps la sécurité de nos collaborateurs et des automobilistes. Nous étions donc favorables à une tolérance et à un report, mais pas trop lointain, car nous ne pouvions pas laisser trop longtemps rouler des véhicules susceptibles de défaillances", explique Karine Bonnet, présidente du réseau Dekra. De fait, selon les chiffres de l’OTC pour 2019, s’agissant des défaillances soumises à l’obligation d’une contre‑visite, pour les VP (M1) et les VUL (N1), sur 19 762 970 contrôles, 4 293 879, soit 21,73 % (contre 19,43 % en 2018), sont déclarés non conformes, dont 20,78 % pour défaillances majeures et 0,95 % pour défaillances critiques. Des chiffres en légère hausse par rapport à 2018, eu égard au renforcement de la réglementation du contrôle technique, notamment sur la pollution des véhicules diesel et qui rentre au palmarès des 5 premiers motifs de défaillance majeure, aux côtés des pneus, freins et feux de signalisation.
Le réseau Dekra, qui revendique 25 % de part de marché et recense 1 375 centres affiliés et 178 en propre, a ainsi connu un boom de son activité dû à l’effet de rattrapage durant la période postconfinement. "Au mois de mai, dès la réouverture des centres qui ont vu le retour des clients, nous avons enregistré + 7,15 % par rapport à l’an dernier à la même période. Depuis, nous avons constaté quotidiennement + 25 % d’activité au regard du marché habituel et nous avons terminé avec + 34 % en volume en juin par rapport à l’an dernier et + 27 % en juillet. Pour le mois d’août, le plus faible de l’année traditionnellement, nous avons réalisé + 24 %", se félicite la dirigeante. Du côté du groupe SGS et des réseaux Auto Sécurité et Sécuritest, qui détiennent 31 % de part de marché et comptent 2 000 centres, le constat est identique. Ces derniers, qui déplorent tout autant la débâcle réglementaire sur le report du délai de contrôle et un temps d’incertitude, ont finalement réussi à lisser le surplus de l’activité jusqu’en septembre.
Effet d’aubaine ou situation pérenne ?
"Cette période était un peu chaotique en l’absence de directives claires. Nous avons surtout voulu éviter la saturation des centres, afin de ne pas détériorer la qualité du contrôle. Il était important de donner des dates un peu plus lointaines, pour laisser plus de temps aux centres et aux clients pour venir faire leur contrôle. Nous avons finalement été entendus et avons obtenu un report qui a été lissé de la mi‑mai jusqu’en septembre. Nos centres étaient remplis, mais nous avons pu absorber le flux sans problème", rapporte Sébastien Danvel, président d’Auto Sécurité. Aussi, la filière ne semble pas, à première vue, avoir trop souffert de la crise sanitaire.
Effet d’aubaine ou situation pérenne ? Rien n’est moins sûr selon certains, car ce surcroît soudain d’activité, dû pour l’heure essentiellement au rattrapage des mois de confinement, pourrait bien être en réalité l’arbre qui cache la forêt. En effet, s’il est vrai que le contrôle technique est, certes, moins sinistré que bien d’autres secteurs dans les services de l’automobile, certaines problématiques demeurent et pourraient bien venir, a posteriori, enrayer cette belle relance de l’activité. "Des défaillances pourraient intervenir potentiellement au premier trimestre 2021, car en contrepartie du boom cyclique actuel, nous risquons d’avoir très peu d’activité sur les derniers mois de l’année", anticipe Laurent Palmier, président‑directeur général du réseau Sécuritest.
Et ce, sans compter les conditions sanitaires qui imposent de nouvelles procédures notamment dans la prise en charge des véhicules, avec la mise en place des équipements de protection obligatoires. Toutefois, la plupart estiment que des solutions alternatives permettent d’y pallier. Chez Sécuritest, on mise tout particulièrement sur la prise de rendez‑vous en ligne et l’on envisage la possibilité d’envoyer le détail du rapport de contrôle par mail, afin de faire gagner du temps aux techniciens. "Le plus important, ce n’est pas forcément l’acte technique du contrôle, mais l’explication que l’on en fait au client, mais ce n’est pas facile de l’expliquer avec un masque et derrière une paroi vitrée. C’est pourquoi, il faudra trouver des solutions alternatives comme l’envoi de l’explication détaillée par mail. Mais le fait réellement notable, c’est la prise de rendez‑vous en ligne qui a augmenté de 20 % et qui nous fait gagner du temps", explique Laurent Palmier.
Véhicules manquant à l’appel
Si les centres du groupe SGS ont fait appel aux différentes aides, telles que le PGE ou encore le chômage partiel, notamment en raison de la fermeture de la plupart d’entre eux durant le confinement, la problématique des charges, comme le RSI, même reportées, demeure pour des TPE. En effet, selon les experts, en moyenne, un centre de contrôle technique représente un effectif entre 1,7 et 2,3 personnes en France. Dans environ 65 % des affaires, soit la majorité, le gérant est le seul contrôleur voire un travailleur non salarié. Des entreprises qui, pour certaines, ont été impactées de plein fouet et pour lesquelles les professionnels réclament des mesures d’urgence, telles que l’échelonnement des charges qui ont été reportées ou encore la suppression de la TVA sur les contre‑visites.
"Un certain nombre d’exploitants de centre sont des travailleurs non-salariés et ils sont soumis au RSI, même si ce sont des indépendants. L’Urssaf a décidé de ne pas collecter les charges sur mars et avril, mais nous craignons le retour de bâton et que l’État veuille récupérer ces subsides en une fois et sur un autre exercice fiscal. Ce report, bien que nécessaire, est potentiellement une bombe à retardement", s’inquiète Laurent Palmier. Autre problématique pour le moins inquiétante et que soulignaient déjà les professionnels de la filière, fin 2019 : le manque à gagner des véhicules manquant à l’appel du contrôle technique tous les deux ans. Selon Karine Bonnet, ils étaient ainsi près de 600 000 à ne pas avoir repassé celui‑ci l’an dernier : "Il y a ceux qui évitent de passer le contrôle technique. Il y a aussi tous les véhicules qui sont vendus ou mis à la casse, mais également toutes les primes à la conversion qui viennent déstructurer le marché."
C’est pourquoi la directrice du réseau Dekra et membre du CNPA préconise plusieurs mesures pour stimuler la filière, telles que la mise en place d’un fichier du contrôle technique à l’instar de celui des assurés. Une action d’autant plus facile à réaliser que « tous les centres de contrôle technique sont interfacés en temps réel avec l’Organisme technique central (OTC). Aussi, les ministères des Transports et de l’Intérieur ont la possibilité d’identifier les véhicules qui ne sont pas à jour du contrôle technique ou qui ne l’ont pas réalisé », précise Karine Bonnet. Une décision qui pourrait s’avérer impopulaire dans un contexte social tendu, particulièrement depuis le mouvement des Gilets jaunes et qu’aucun gouvernement ne s’est donc risqué à prendre, au grand dam des professionnels de la filière.
Déficit d’image et difficultés de recrutement
À cet égard et afin de favoriser le pouvoir d’achat des automobilistes, le réseau Auto Sécurité annonce le lancement à la mi‑octobre d’un partenariat de longue durée avec un grand établissement bancaire français, pour faciliter le paiement d’éventuels travaux à réaliser dans le cadre d’une contre‑visite. "Nous allons commercialiser dans quelques semaines, en partenariat avec un groupe bancaire français, une offre coup de pouce avec la possibilité pour nos clients qui seraient en contre‑visite de rembourser en 4 fois, avec de très légers frais bancaires et ce, jusqu’à 1 000 euros, les travaux qu’ils pourraient avoir à réaliser sur le véhicule", annonce Sébastien Danvel.
Mais le véritable défi à relever reste celui du recrutement. Ainsi, selon l’Anfa et Pôle emploi, 700 postes étaient non pourvus dans le secteur en 2019. Une situation qui serait liée au déficit d’image dont souffre encore la filière, pourtant indispensable à la sécurité routière. L’autre raison évoquée par l’ensemble des acteurs du secteur est une conséquence de l’élévation des prérequis en 2018 pour entrer dans la profession. En effet, d’un CAP mécanique ou d’une expérience de 5 ans en formation initiale, l’obtention d’un bac professionnel est devenue une condition sine qua non pour y accéder. Une mesure censée pourtant redonner ses lettres de noblesse à la profession, mais qui s’avère avoir eu l’effet inverse en appauvrissant l’assiette de candidats plausibles. "Le contrôle technique n’est pas très connu ni très attractif au sein de la filière automobile, alors que c’est un métier noble et non délocalisable. De plus, il participe à la prévention de la sécurité routière et offre de réelles possibilités d’évolution professionnelle", conclut Karine Bonnet.
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3 questions à Bernard Bourrier, président d’Autovision
JA. Comment s’est passée la reprise ?
BB. Il y a eu une cacophonie de la part des pouvoirs publics qui a généré une suractivité et un engorgement dans les centres et amplifié le risque sanitaire. La situation a été très mal gérée, alors qu’il aurait fallu conseiller à ceux qui avaient encore le temps, du fait du report, de laisser passer les automobilistes qui étaient hors délai. Les contrôleurs ont dû faire des heures supplémentaires pour gérer les deux flux en même temps.
JA. Qu’en est‑il du retard des visites périodiques ?
BB. À ce jour, environ 1 300 000 véhicules manquent à l’appel. Plusieurs hypothèses peuvent l’expliquer. Il y a, d’une part, les véhicules anciens qui sont en fin de vie et qui vont finir à la casse, mais aussi l’effet des primes à la conversion, ce qui représente près de 200 000 véhicules qui ne passeront pas le contrôle dans les 4 ans. Or, c’est aussi une question de sécurité routière, car ces derniers peuvent présenter des défauts critiques, voire majeurs. Nous attendons fin octobre pour avoir les chiffres, car le délai sera passé et il sera temps de tirer la sonnette d’alarme auprès des pouvoirs publics.
JA. Quelles aides pourraient soutenir la filière ?
BB. Le contrôle technique fait partie de la galaxie des métiers de l’automobile. Nous avons un effet levier et redistributif pour tous les services de l’automobile. Trois mesures pourraient venir en soutien de la filière. La périodicité pourrait passer en 4-2-1 au‑delà d’un certain âge. Les véhicules utilitaires professionnels devraient tous les ans être soumis à un contrôle technique, car il faudrait que l’entretien soit à la mesure de l’usage. Enfin, on devrait réaliser un contrôle plus approfondi à chaque cession de véhicule qui ne passe pas par un professionnel.
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