Contrôle Technique : Des mutations indispensables
...du papy-boom et l'emploi sont également des dossiers urgents.
La dernière évolution réglementaire du contrôle technique qui date de 1996, en modifiant notamment la périodicité de ce dernier, avait eu pour principale conséquence une augmentation de l'activité, de l'ordre de 80 à 85 %, selon Bernard Bourrier, P-dg d'Autovision. Si cet aspect est plutôt réjouissant pour les patrons de centres, cette évolution a été le véritable point de départ d'une course à l'armement. "Mais depuis un an et demi environ, la courbe de l'activité tend à se stabiliser, tout comme celle des créations de centres, précise le P-dg d'Autovision. Cependant, fort de ce constat, si nouvelle modification de la périodicité il y a, l'ensemble des acteurs de la profession doit réfléchir s'il est plus pertinent de relancer la course à l'échalote ou relancer le nombre moyen de visites par centre." "Tout cela dépendra de notre attitude, affirme Richard Azam, P-dg de Maaf Auto Sécurité, surtout que nous trouvons déjà un nombre de centres implantés trop important par rapport à l'activité actuelle." Pour Bernard Bourrier, la réflexion devra plus porter sur l'existant. "Si, effectivement, on envisage de toucher à la périodicité, je ne suis pas sûr qu'il soit très sain de relancer la création de centres, indique-t-il. Il est plus important de créer des emplois dans les structures existantes et de les renforcer plutôt que de repartir sur ces petites structures avec deux employés et un contrôleur." Et pour confirmer sa démarche, le P-dg d'Autovision prend l'exemple de la Belgique où une structure moyenne est composée de 8 personnes. Le débat est donc loin d'être tranché, même si Jean-Marie Boistard, président du directoire de Securitest, n'est pas sûr "que cette situation se répète à l'avenir malgré de nouvelles évolutions réglementaires". En effet, selon lui, les leçons du passé ont été tirées et il est peu probable que la profession retombe dans ce travers. Et ce dernier va encore plus loin, puisqu'il pense même que ce sera l'inverse et que le nombre de centres va diminuer.
Vers une diminution de 20 % du nombre de centres ?
"Si 2004 a été une année de stabilisation dans la création de centres, 2005 sera celle de la décroissance", affirme Jean-Marie Boistard. "A l'horizon 2010, il devrait y avoir 20 % de centres en moins. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de créations de centres, précise le président du directoire de Securitest, mais ces dernières seront compensées par des disparitions de centres existants, notamment à cause du phénomène papy-boom." Et il poursuit ainsi sa démonstration : "Nous savons qu'un nombre important de centres existants ont été créés au début des années 90 par recyclage d'activités mécaniques et de réparation. Leurs exploitants avaient à disposition des petits locaux et pensaient que le contrôle technique leur offrait un meilleur avenir et leur permettrait ainsi de finir tranquillement leur vie professionnelle alors qu'ils avaient à l'époque 40-45 ans de moyenne d'âge. Aujourd'hui, douze ans plus tard, ces gens arrivent à la retraite et cela va entraîner un phénoménal renouvellement dans la profession." Jean-Marie Boistard appuie son affirmation sur une étude qu'il avait commandée il y a quelques années et qui montrait que 47 % des exploitants de centres partiraient à la retraite dans la période 2004-2010. Christian Bailly, président d'Autosur, accorde qu'effectivement "le phénomène du papy-boom entraînera la fermeture d'un certain nombre de centres, mais je ne connais pas aujourd'hui de centre mis en vente qui n'ait trouvé preneur. Qu'il y ait 5 000, 10 000 ou 15 000 centres, ils sont toujours rachetés par quelqu'un". Toutefois, le président d'Autosur tempère immédiatement son affirmation : "C'est vrai qu'il y a des fermetures à cause d'une rentabilité absente, mais moins qu'on ne le pense. Je ne crois pas à une baisse du nombre de centres de 20 %." "Pourquoi ? relance-t-il. Parce qu'il n'y a aucune raison que cela change et surtout parce que n'importe qui peut ouvrir un centre aujourd'hui. Je ne parle pas de l'exploitation, mais d'ouverture pure et simple où aucune qualification particulière n'est requise. En revanche, pour ouvrir un salon de coiffure, c'est autrement plus difficile…" Une situation globale qui entraînera inévitablement, selon Jean-Marie Boistard, "une recomposition du paysage du contrôle technique. Elle a commencé et ira en s'amplifiant jusqu'en 2010."
Créer des passerelles pour susciter plus d'attrait
A l'instar de la distribution automobile, le contrôle technique se dirige vers la concentration et l'émergence de plaques régionales. "Il existe déjà des investisseurs qui possèdent de nombreux centres, à l'image de PGA pour la distribution automobile", confirme Christian Bailly. Mais Bernard Bourrier prévient : "Cette situation fait naître plusieurs problématiques. D'une part, il y a l'effet multicentre et multienseigne et, d'autre part, le fait que le contrôleur se pose des questions sur son avenir. Que va-t-il devenir dans ce contexte ?" Selon lui, sa légitime volonté de devenir patron, de racheter le centre où il est employé, risque de se heurter à cet aspect financier. Christian Bailly est peut-être encore plus direct : "Quel est l'avenir d'un contrôleur si ce n'est devenir calife à la place du calife ? Tant qu'il n'y aura pas d'évolutions professionnelles sérieuses, comme des passerelles avec l'expertise automobile par exemple, aucun salut n'est possible pour la profession." Richard Azam, P-dg de Maaf Auto Sécurité, lui, est plus tempéré sur ce constat : "Je ne parlerais pas de manque d'attrait, mais d'un véritable manque d'épanouissement." Christian Bailly apporte encore de l'eau au moulin du problème de personnel : "En dix ans, combien y a-t-il eu d'agréments délivrés par les préfectures ? C'est renversant. Nous avons tous en moyenne entre 1 200 et 1 500 contrôleurs, mais nous avons dû faire pas moins de 3 000 dossiers depuis que nous existons. Ce turnover est représentatif de l'instabilité dans notre profession." La création de passerelles semble donc primordiale pour l'avenir et l'attrait du contrôle technique mais, déjà, des problèmes sont sous-jacents. "Nous avons déjà des problèmes de recrutement dans les centres. Alors, si nous dirigeons les meilleurs vers d'autres sphères…", commente Bernard Bourrier, soulignant que, quoi qu'il en soit, la mise en place d'une éventuelle passerelle vers l'expertise automobile ne dépend pas de l'unique volonté du monde du contrôle technique. D'autant qu'il faut se poser une question : l'expertise est-elle un métier dont l'horizon s'éclaircit ? "Nous sommes les seuls à pouvoir faire avancer notre métier et personne ne pourra le faire à notre place, lance Mark Thomä, P-dg du groupe Dekra. L'exemple de ce qui se passe dans un certain nombre de pays européens doit être un facteur d'unité et un argument clé de dialogue avec les pouvoirs publics."
"D'ici la fin de la décennie, il n'y aura plus que trois opérateurs"
"Le contrôle technique est un adolescent qui a grandi très vite, indique Richard Azam, au point de se trouver aujourd'hui à un tournant de sa vie." Il devra relever de nombreux défis comme celui de la concentration, évoqué plus haut, qui va inévitablement faire resurgir la question des centres ruraux. "Que dire des centres ruraux et de la notion de proximité pour le consommateur ?", interpelle le P-dg d'Autovision. "La notion de proximité est un facteur de création de flux, assure-t-il. Ce sont autant d'éléments qu'il faudra introduire dans la discussion à propos du phénomène du papy-boom. Faudra-t-il faire plus ou moins de kilomètres pour réaliser ce genre d'intervention même si elle ne se produit pas tous les jours ? A l'inverse, dans les endroits urbanisés où l'activité tend à se cristalliser, que va-t-il en rester ? Je n'ai pas de réponses formelles, mais il faudra réfléchir." Avec cette période de transition qui semble s'ouvrir, quid du nombre d'opérateurs qui résisteront à cette nouvelle donne ? "Je pense que l'expérience que je viens de vivre au sein de mon réseau ne devrait pas être un cas isolé, souligne Jean-Marie Boistard, président du directoire de Securitest (racheté par le groupe suisse SGS en septembre dernier). Nous avons eu la chance de nous en sortir honorablement, mais ce ne sera pas le cas pour tout le monde et d'autres opportunités pourraient se représenter. Sur les cinq opérateurs actuels, d'ici la fin de la décennie, il n'y en aura plus que trois. Cela me paraît une évolution naturelle de l'organisation de la profession." Christian Bailly précise immédiatement que "l'on parle d'opérateurs et non pas de réseaux !". Pour Richard Azam, P-dg de Maaf Auto Sécurité, cette éventualité ne semble pas contre-nature, "même si aucune de nos entreprises ne connaît de problèmes, toutes peuvent être destinées à cela. C'est la raison de toute entreprise. C'est sa vie."
Christophe Jaussaud