"Cette ouverture de capital est vraiment l’opportunité d’étendre nos possibles"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pourquoi cette ouverture de capital ?
Jean-Patrice Bernard. Depuis quelques années, je cherchais une solution pour pérenniser le groupe. Je n’ai aucune intention de me retirer. Mais l’investissement d’un partenaire financier partageant nos valeurs nous était indispensable pour nous ouvrir de nouvelles perspectives et écrire une nouvelle histoire pour le groupe. C’est le message que j’ai fait suivre à mes collaborateurs. Aujourd’hui, nous avons environ 2 400 employés. Ils sont dans le groupe parce qu’ils ont confiance en notre stratégie.
JA. Aucune intention de vous retirer…
J-PB. Pas du tout. Disons que mes enfants ne se destinent pas forcément à reprendre la main et que moi-même ne suis pas en position de confier le bébé. Ce n’était ni un impératif ni une contrainte financière. Mais, si j’étais constructeur, j’hésiterais à donner plus de responsabilités à un distributeur qui vient de passer la soixantaine. Je suis un passionné et, depuis plus de trente ans que je dirige le groupe, j’ai toujours cherché à construire quelque chose. J’ai eu beaucoup de projets. Certains ont réussi. D’autres non. Cette ouverture de capital est vraiment l’opportunité d’étendre nos possibles. Je suis assez excité par ce que nous sommes en train de réaliser.
JA. Par le passé, vous avez déjà procédé à des ouvertures du capital…
J-PB. Tout à fait. Mais c’était dans le cadre de restructurations et jamais plus de 16 ou 17 %. J’ai d’ailleurs racheté l’ensemble des titres en 2010. Une fois que l’entrée d’Alcopa sera validée, après accords de la DGCCRF, de Bruxelles, mais également des autorités polonaises, pays dans lequel nos deux groupes sont présents, il n’y aura que deux actionnaires.
JA. Sous quelle forme cette ouverture de capital est-elle réalisée ?
J-PB. Ce n’est pas une prise de participations croisées. Le groupe Alcopa va prendre 34 % du capital du groupe Bernard, pour partie par une cession de titres, puis par une augmentation du capital de 16 millions d’euros. C’est impactant. Cela nous donne clairement les moyens de nous engager dans une stratégie offensive.
JA. Pouvez-vous nous en dire plus sur le groupe Alcopa ?
J-PB. C’est une société avec une gouvernance familiale. Ce qui m’importait. Si la famille Moorkens, propriétaire du groupe Alcopa, et nous, nous sommes rapprochés, c’est d’ailleurs parce que nous partageons un certain nombre de valeurs. Ils sont basés à Anvers et présents dans l’importation d’automobiles, via leur filiale Alcadis qui traite plus de 70 000 véhicules par an entre la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Pologne. Leur filiale Modis gère une activité “distribution” qui pèse 25 000 VN par an. Ils sont par ailleurs impliqués dans l’importation de deux-roues en Europe et en Afrique du Sud, dans l’immobilier et dans le mobilier de bureau.
JA. C’est donc la rencontre de deux poids lourds de la distribution européenne…
J-PB. Le groupe Alcopa, qui compte 2 500 employés, prévoit un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros pour 2012. Mais c’est aussi un groupe très bien capitalisé, avec des fonds propres d’environ 600 millions d’euros. Le groupe Bernard a quant à lui vendu 33 350 VN en 2010 et enregistré un chiffre d’affaires d’environ un milliard d’euros. Ce n’est donc pas anodin. Mais l’essentiel est que nous partagions la même vision. J’ai connu Dominique Moorkens il y a quatre ans parce que, déjà à l’époque, je souhaitais adopter une stratégie européenne du type PGA Motors.
JA. C’est donc vers le modèle PGA que vous souhaitez tendre ?
J-PB. Je suis admiratif de ce qu’a fait Pierre Guénant, du développement de Christian Klingler et du travail de Claude Fréret. Ce sont des gens brillants. Pour nous, en effet, l’idée est d’être une alternative à PGA Motors. Je pense que, aujourd’hui, un constructeur ne peut être qu’intéressé par le profil de notre groupe.
JA. Ce rapprochement implique-t-il des évolutions dans votre organisation ?
J-PB. Modis sera présent au conseil d’administration du groupe Bernard, avec trois sièges sur les huit qui composent le CA. Il s’agit de Frédéric Heymans, membre du CA d’Alcopa, Benoît Dejean, CFO de Modis, et de Jean-Pierre Laurent, administrateur indépendant. Une personne de qualité qui a assuré la transformation des succursales Renault avant de quitter le constructeur en décembre dernier. Ce rapprochement est aussi une histoire d’hommes. Le groupe Alcopa est dirigé par François Hinfray, ancien directeur du commerce Monde de Renault. Ce sont des personnes que je connais de longue date et qui vont nous aider à définir une vraie stratégie de développement.
JA. Dans les faits, qu’est-ce que cela va changer au niveau opérationnel ?
J-PB. Le groupe Bernard devient la “Business Unit” de Modis, la filiale Retail du groupe Alcopa. Modis n’a donc pas vocation de faire des acquisitions de distributeurs en France. En revanche, le groupe Bernard, oui. C’est même le but de la manœuvre. L’objectif pour nous est, en effet, de nous développer dans l’Hexagone. Il est un peu tôt pour en parler, mais nous avons aujourd’hui les capacités de réaliser quelques rachats.
JA. Quels seront les terrains de jeux de Modis et du groupe Bernard ?
J-PB. Je ne suis plus dans l’état d’esprit de contrôler la zone Rhône-Alpes-Bourgogne-Franche-Comté sur laquelle nous officions aujourd’hui. Disons que notre nouvelle logique géographique est de nous étendre sur toute la frontière Est de la France. De la Suisse à la Belgique, en passant par l’Allemagne et le Luxembourg.
JA. Ces évolutions bougeront-elles les lignes au niveau de votre portefeuille de marques ?
J-PB. J’ai de très bonnes relations avec les marques. On peut imaginer être sollicités par d’autres que je ne représente pas encore aujourd’hui. Dans les mois et années qui viennent, les schémas qui existent aujourd’hui risquent d’être contrariés. La structure n’a rien de figée. Ce ne sont pas les opportunités qui vont manquer. C’est même plutôt l’excès d’opportunités qui pourrait nous poser problème.
JA. Quels sont les premiers retours des constructeurs que vous représentez ?
J-PB. Les constructeurs sont agréablement surpris. La plupart ne s’y attendaient pas. Ils savent que nous sommes plus que jamais prêts à passer cette période délicate, mais également de nous inscrire dans la durée. Car, au-delà de ça, nous nous positionnons clairement, et à juste raison, comme une vraie force de proposition.
---------------
ZOOM - Le groupe Alcopa en bref
Distributeur de Ford, Volvo, Opel, Chevrolet, Land-Rover, Toyota, Peugeot, Citroën, Fiat, Alfa Romeo, Lancia, Volkswagen, Audi, Skoda, Jeep, Nissan, Cadillac, Corvette et Suzuki en Belgique et au Luxembourg, sur 33 sites au total, via sa filiale Modis (Moorkens Distribution), le groupe Alcopa est également importateur de Hyundai, Suzuki, SsangYong et Isuzu en Belgique et au Luxembourg, de Hyundai et SsangYong en Suisse, de SsangYong et d’Isuzu en Pologne, de SsangYong en Allemagne. Le groupe a même été le premier acteur à importer Hyundai en Europe. C’était en 1978. Toujours dans l’automobile, le groupe belge s’est également lancé récemment sur le marché des ventes aux enchères via sa filiale Carmen Auction, qui exploite notamment, en France, les sociétés Australe et Est Auction. Alcopa est également actif dans la distribution et l’importation de deux-roues et d’accessoires en Europe et en Afrique du Sud, par le biais de sa filiale Moteo. Notons également une activité de distribution de meubles de bureau (EOL et Vinco-tb), et de gestion et de promotion immobilière (Alcopaimmo). Dans le cadre de cette activité, Alcopa a notamment racheté l’usine de Vilvoorde à Renault, après la fermeture du site par le constructeur français en 1997.
---------------
Ce que les constructeurs en pensent
Bernard Cambier, directeur commercial de Renault France
“Je ne vois que des points positifs. D’abord, le groupe Bernard a ouvert son capital à un groupe structuré et solide financièrement. Ensuite, l’augmentation du capital de 16 millions d’euros favorise l’assise financière du groupe lui-même et sa capacité à se développer. Et, dernier point, les administrateurs qui entrent à son conseil sont des anciens collègues et amis. Je ne vois donc pas de raison d’être inquiet. Quant à la taille que pourrait éventuellement atteindre le groupe Bernard, je considère que la richesse d’un réseau vient de sa diversité.”
Olivier Veyrier, directeur du commerce France de Peugeot
“Je n’ai pas de commentaire à apporter sur la stratégie du groupe Bernard. Cela étant, tout ce qui est de nature à renforcer son capital, sa capacité d’investissement et la pérennisation de ses affaires me paraît positif. Sa réflexion stratégique qui vise une consolidation à court terme, puis l’augmentation des moyens de développement à moyen terme, montre ses intentions.
Je n’ai pas d’état d’âme quant à la constitution de la gouvernance. Ce qui importe, ce sont les compétences.”
Patrick Penel, en charge du développement réseau, et Philippe Narbeburu, directeur du commerce France de Citroën
“Les évolutions que nous a présentées Jean-Patrice Bernard font évoluer la stratégie du groupe en termes de géographie. Elles sont de nature à rassurer sur le plan de la pérennité et mettent le groupe en position de rechercher les opportunités de croissance externe qui se présentent. En ce qui concerne “la plaque” Citroën, les résultats 2011, tant commerciaux que financiers, sont très satisfaisants et les relations avec le groupe Bernard sont donc confiantes et positives.”
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.