Stéphane Houette, Capgemini France : "Le digital est un outil de rebond important"
Le digital pourrait-il sauver, en partie, l’année 2020 ?
Le marché automobile français pourrait chuter de 15 à 25 % sur l’ensemble de l’année. Dans ce contexte, la principale problématique des constructeurs est de savoir comment sortir de la crise et faire rentrer du cash le plus rapidement possible, même si leur trésorerie leur permet, pour l’instant, de gérer la situation. Le digital est un des leviers privilégiés pour répondre à ces problématiques à travers deux pistes : la redéfinition des canaux de vente et le ciblage de nouveaux types de clients, ou de nouveaux segments de clients.
Voyez-vous, sur ce premier point, les choses significativement bouger auprès des constructeurs ? La digitalisation est un vrai serpent de mer dans cette industrie…
C’est simple : il n’y a pas, à ce jour, un seul constructeur qui ne souhaite pas accélérer sa solution e-commerce afin de développer une nouvelle approche client ou un segment de parcours client. Avant la crise, tous avaient déjà commencé à travailler sur ce sujet, mais la crise a été un formidable accélérateur qui les a poussés à avoir en ligne une offre complète allant jusqu’à l’engagement financier du client. Jusqu’ici, cet engagement financier, cette dernière brique -pourtant si essentielle à la profitabilité - était un sujet délicat car compliqué du point de vue réglementaire. Il nécessite également des outils de développement spécifiques. Mais les verrous sont en train de sauter : là où, il y a peu, ces sites ne proposaient que la réservation via un acompte, les solutions permettant d’aller jusqu’au bout du process émergent, et de la part de grands acteurs.
Existe-il une vraie vision de long terme ? Ou est-ce un effet d’aubaine ponctuel, destiné à faciliter l’écoulement des stocks ?
Nous sentons que le marché bouge significativement et le digital est un outil potentiel de rebond important pour les constructeurs, après la crise mais aussi de façon plus pérenne. Actuellement, la demande des constructeurs se dirige vers des solutions légères, à mettre en place rapidement dans le contexte de crise, mais il s’agit tout de même d’une stratégie de long terme. On ne peut pas certes parler de révolution mais il est certain que cette crise va faire accélérer la migration omnicanal du secteur automobile dans la manière de vendre des VN et VO.
Quid de la question de la répartition de la valeur ?
Il s’agit d’une problématique standard rencontrée dans toutes les stratégies d’évolution vers le digital. Les enseignes du retail ont par exemple été confrontées à cet enjeu lorsqu’elles ont commencé à vendre sur leur site internet. Il y a différentes réponses, mais l’une d’entre elles consiste par exemple à faire bénéficier aux acteurs du réseau d’un certain pourcentage de l’activité en fonction de la population qui provient de sa zone de chalandise. Il ne faut pas que le concessionnaire lutte contre la solution digitale -qui s’impose comme un bon complément-, mais y soit intéressé.
Les clients sont-ils réellement demandeurs de cette bascule vers le digital ?
Il semble que les mentalités évoluent également. Nous venons de réaliser une étude portant sur l’impact du Covid sur le comportement d’achat. 12 000 consommateurs de 11 marchés des quatre coins du globe, mais principalement d’Europe, on été sondés. 60 % d’entre eux se sont déclarés davantage prêts à acheter un véhicule en ligne qu’avant la crise. Preuve que la crise traversée fait évoluer les perceptions de l’achat en ligne mais aussi les comportements sur l’achat automobile. Mais le digital ne doit pas être considéré seulement dans la phase de l’achat mais aussi en amont.
Comment le digital intervient-il en amont ?
En façonnant un parcours et une expérience client qui font la différence et servent l’identification de la marque. L’objectif est de travailler en amont sur l’histoire qu’on veut faire vivre aux clients. Une récente étude que nous avons mené sur ce sujet montre que lorsqu’une marque arrive à provoquer un événement ou une expérience client que le client qualifie de mémorable, atypique, elle obtient satisfaction 200 % plus élevée que si son expérience n’avait pas été considérée comme telle. Et cette satisfaction induit une fidélité de la clientèle accrue de 25 %. Mais il doit aussi y avoir une continuité dans l’histoire qu’on veut faire vivre au client : la marque doit être capable d’identifier un client chaque fois qu’il se présente physiquement dans un lieu ou phygitalement dans un espace. Cette capacité à le suivre partout, le reconnaître, donne cette possibilité de lui faire gagner du temps en lui proposant les services adaptés, ce qui façonne l’image différenciante. Il s’agit d’un élément de réponse fondamental. Mais l’amélioration de l’expérience client passe aussi en amont, par l’optimisation de la chaîne logistique.
De quelle façon ?
Il existe un besoin avéré d’un meilleur partage de l’information entre le constructeur et son réseau de distribution. Certains constructeurs, à des degrés différents, ne savent pas réellement qualifier leur stock disponible, ce qui rend compliqué le travail de valorisation des véhicules prêts à être mis sur le marché. Et pour cause : historiquement, cette industrie a toujours subi une rupture d’informations entre l’instant où le véhicule sort de l’usine et celui où il est acheminé aux concessionnaires. Il peut y avoir entre deux et trois acteurs différents entre ces deux étapes et donc un trou dans le partage d’informations. La réponse à cette problématique : le control tower, ou vision 360 degrés. Le digital va permettre de consolider l’ensemble des informations éparses, améliorer le flux logistique. Et ainsi donner des informations de meilleure qualité, comme des dates précises de livraison au réseau afin d’optimiser l’expérience client en associant, en amont, un type de véhicule à un type de client.
Stéphane Houette, directeur segment automobile chez Capgemini France.