"Si, demain, la Chine décide d’arrêter les exportations de terres rares, les usines s’arrêtent"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Quels sont les détails de la situation de monopole de la Chine ?
DAVID WEBER. Il faut distinguer la production actuelle des réserves mondiales. Aujourd’hui, 97 % du minerai est extrait en Chine. Quant aux réserves mondiales, avec une marge d’erreur de 5 %, comme c’est un milieu qui évolue sans arrêt, disons que la Chine en détient entre 33 et 40 %. Ces réserves devraient s’éteindre d’ici vingt à trente ans. Ensuite, dans le reste du monde, certains pays ont une activité d’extraction avancée : les Etats-Unis, l’Australie, l’Inde, le Brésil ou la Malaisie.
JA. Peut-on sérieusement parler de pénurie ?
DW. Oui, c’est le cas, on peut parler de pénurie. Sur les terres rares lourdes (8 sur 17), les plus compliquées à extraire, la Chine a déjà mis des quotas à l’exportation. La position de la Chine est de dire : “On a vendu pendant des années un produit compliqué à des prix défiant toute concurrence. Alors, aujourd’hui, il va falloir payer un prix énorme, sans aucune perspective de rentabilité.” L’alternative que le pays propose, c’est d’y délocaliser les usines.
JA. Quelle est la position de l’Union européenne ?
DW. En Europe, deux pays surtout ont besoin de ces matières premières. L’Allemagne, d’abord, qui représente 7 % des volumes mondiaux, puis la France, avec 4 %. Globalement, donc, l’Union européenne, c’est un peu plus de 10 % des échanges mondiaux, ce qui n’est pas suffisant pour peser dans la balance.
Au plan national, la France dispose d’un Comité pour les métaux stratégiques (Comes), afin de sensibiliser la filière au besoin de stocker, aux solutions de substitution, ou à la bonne négociation des contrats d’approvisionnement. Donc, une démarche très incitative de la France vis-à-vis de ses industries. En Allemagne, des accords ont été conclus avec d’autres pays afin de fournir de grosses quantités. C’est le cas avec la Mongolie, où elle s’est proposée de fournir toute l’ingénierie nécessaire pour l’extraction, et profiter ainsi de la production qui en découle.
JA. Les Etats-Unis, l’UE et le Japon ont déposé plainte auprès de l’OMC, dénonçant les quotas à l’exportation de la Chine. Que peut-on en attendre ?
DW. Je crois qu’il n’y a rien à en attendre. La raison, c’est que la Chine, de toute façon, monopolise la production. Et comme la demande a chuté avec la crise, amorcer des extractions n’est plus viable. Les Chinois sont dans une posture où, comme il n’y a pas de concurrence compétitive, ils peuvent continuer comme cela.
JA. Quelles sont les options pour la France ?
DW. Si la France a un filon de terres rares à exploiter, ce n’est pas en métropole, car la teneur en oxyde y est trop faible. Mais il ne faut pas oublier que la France est la deuxième puissance maritime au monde, et a donc de grandes perspectives pour prospecter les fonds. L’île de Clipperton, par exemple, ce confetti dans l’océan Pacifique, lui offre une zone économique exclusive de 400 000 km2. Ce qui veut dire une capacité d’exploitation ultramarine quasiment égale à la surface de la France.
Le problème qui subsiste est que cela coûte beaucoup d’argent, sans garantie aucune. Mais quand on regarde les industries concernées, on peut imaginer que cela soit rentable pour l’emploi à vingt ou trente ans. On évoque aussi le recyclage. Cela représente aujourd’hui 1 % des volumes de terres rares. Tabler sur un taux de 10 % est irréaliste.
JA. A quel point sommes-nous engagés, aujourd’hui, dans de telles solutions ?
DW. Nous devrions déjà avoir des projets en cours de réalisation. Pour Clipperton, par exemple, le temps de construire des bateaux, d’affiner les process, de repérer les spots… il n’est pas réaliste d’imaginer être prêts d’ici à cinq ans, mais plutôt huit ou dix. Le problème est que si, demain, la Chine décide d’arrêter les exportations après les avoirs réduites, les usines s’arrêtent.
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