Pascal Canfin, député européen : Pour le moteur thermique, la messe est dite
Journal de l'Automobile : La Commission européenne doit prochainement rendre publique sa proposition de nouvelle baisse des émissions de CO2. Vers quels seuils allons-nous tendre ?
Pascal Canfin : Le scénario qui tient la corde aujourd’hui repose sur un standard pour 2030 et un autre pour 2035 qui aboutirait à un niveau de performance CO2 exigé qui ne peut être réalisé que par les véhicules zéro émission. Le scénario connu à ce jour est de proposer 60 % de baisse des émissions en 2030 par rapport à 2021 et 100 %, donc zéro émission, en 2035. Il n’y a pas de grammage car c’est justement le travail en cours à Bruxelles. Sachant que le droit européen est neutre technologiquement, il n’est pas question d’interdire le moteur thermique mais de définir le niveau de performance attendu.
J.A. : Mais ne trouvez-vous pas hypocrite, d’avancer une neutralité technologique alors que seul le moteur électrique peut aujourd’hui atteindre ce zéro émission ?
P.C. : Non au contraire. Nous cherchons une performance environnementale à travers la norme CO2. Et ensuite que la meilleure technologie gagne. Il se trouve qu’aujourd’hui, et c’est ce que les constructeurs nous disent, la meilleure technologie pour répondre à cette performance à un prix compétitif est la batterie électrique. Si demain, c'est l'hydrogène et après-demain une nouvelle technologique, ce n’est pas à moi législateur d’en décider. Ma responsabilité est de fixer la norme de performance que les industriels doivent suivre pour être cohérents avec nos objectifs climat. Tous les constructeurs s’accordent à dire que la meilleure option reste l’électrique. Pour les camions, par exemple, je pense que le jeu est encore ouvert avec l’hydrogène.
J.A. : Que répondez-vous aux équipementiers et aux constructeurs qui disent que le mouvement énergétique ne va pas permettre à l’industrie de s’adapter aussi rapidement que le souhaite la réglementation et va entraîner la suppression de milliers d’emplois ?
P.C. : L’objectif qui nous concerne tous individuellement et collectivement, c'est d’abord pour la lutte contre le dérèglement climatique et c’est aussi ce qui amène l’agence internationale de l’énergie, dans son dernier rapport, à dire qu’en 2035 la vente de véhicules thermiques doit s’arrêter. Ce n’est pas une lubie européenne ou d’un groupe politique, quel qu’il soit, c’est juste la déclinaison logique de notre engagement pris dans l’accord de Paris à lutter contre le dérèglement climatique et d’atteindre la neutralité climat. Aujourd’hui, nous parlons des voitures mais nous faisons le même travail pour l’industrie, pour les bâtiments, la cohérence est bien là. Je défends la date de 2035 car contrairement à certains pays, qui sont des pays de marché et non des pays de constructeurs, 2030 est trop tôt pour nous laisser le temps de gérer correctement sur le plan industriel et social les effets de la transition. Inversement, la date de 2040 est trop lointaine, d’un point de vue climatique. Quand j’écoute le patron de l’Acea, Oliver Zipse (qui est aussi patron de BMW Group, NDLR), les constructeurs peuvent très bien vivre avec 2035 comme étant la date à laquelle ils ont basculer vers une technologie zéro carbone. Et d’ailleurs, ces propos sont confirmés par les engagements de Ford, Audi, GM, Volkswagen, Renault… Si à l’intérieur de cette industrie, certains sont en retard ou certains ont racheté des entreprises qui sont en retard, ce n’est pas notre problème. Ce sera leur responsabilité, vis-à-vis de leurs actionnaires. Mais revenons sur la gestion des aspects sociaux et l’impact sur la chaine de valeur où je suis très vigilant. Au moment où nous créerons ce nouveau standard, nous devrons mettre en place un fonds de transition spécifique à l’automobile, comme nous l’avons fait pour le secteur de l’énergie. C’est la condition de la réussite. L’automobile est la plus grande industrie en termes d’emplois en Europe. C’est une réalité industrielle sur de nombreux territoire et il est légitime que l’on mette en place un fonds juste pour l’automobile en lien avec les Etats, défini sur la base de critère objectifs comme le taux d’emploi dans le PIB. Une fois ces territoires identifiés, il faudra regarder les PME les plus fragiles. Car je pense que les constructeurs s’en sortiront. Lorsque vous regardez le plan de Renault, il y a clairement un basculement vers la mobilité électrique. Les sous-traitants de rang 1, aussi. Mais ce sera plus compliqué pour les PME dont l’activité est monotechnologique. Les PME qui fabriquent des injecteurs pour moteurs diesel, les fonderies… ne pourront pas basculer vers l’électrique. Il faut une politique spécifique d’accompagnement et c’est pour cela que l’on parle de 2035. Nous disposons d’un période de 13 ans pour adapter ce tissu industriel. Nous verrons la montée progressive, ce qui laissera le temps de gérer l’impact social, que personne ne sous-estime. Mais il faut sortir de l’idéologie, nous nous sommes fixé un objectif et nous déterminerons les conditions pour y parvenir.
J.A. : Quelles sont ces conditions ?
P.C. : Il y en a trois. La première : c’est de maîtriser la batterie. Nous y répondons par les politiques industrielles pour l’Alliance sur les batteries, et le fait qu’en Europe, l’écosystème soit intégré. Rien ne serait pire que de devenir dépendant, des Chinois, des Coréens sur ce sujet. La deuxième, ce sont les infrastructures de recharge. Et je plaide pour qu’il y ait des objectifs contraignants nationaux. Nous allons revoir la directive Afid (NDLR : déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs) pour faire en sorte que les infrastructures de recharge suivent. Le troisième défi est social, avec la nécessité de créer un fonds de transition juste pour le secteur de l’automobile. Il faut également travailler sur l’aspect social, côté demande. Nous devons travailler sur les modèles financiers qui permettent aux marchés secondaires de l’électrique de se développer, au leasing, au retrofiting… toutes choses qui permettent d’élargir l’accélération de la transition vers l’électromobilité y compris pour les segments du marché de la société qui n’ont pas accès à l’achat d’un véhicule neuf à 20 000 euros.
J.A. : Pourtant, il n’existe pas de standard européen commun sur les prises pour la recharge ?
P.C. : C’est effectivement un des problèmes actuellement et il faut en être conscient. Ce point sera aussi discuté dans la révision de la directive Afid. Les pouvoirs publics devront s’assurer que lorsque l’on déploie des infrastructures publiques, elles permettent à l’ensemble des véhicules d’être rechargés et soient alignées sur le standard européen. Le standard, c’est comme tout, soit il vient d’une initiative européenne, soit c’est un acteur du marché qui remporte la plupart des contrats. On va d’ailleurs se pencher sur le développement de critères harmonisés, pour s’assurer que l’Europe soit le leader de la batterie durable, dès septembre au Parlement européen au sein de la Commission que je préside.
J.A. : La maîtrise de la batterie est un sujet essentiel. Aujourd’hui la commission ne fixe des objectifs qu’à partir d’une mesure prise au pot d’échappement et non sur toute la chaîne de fabrication. Pourquoi ne travaillez-vous pas sur cet ensemble de valeurs qui va du puits à la roue ?
P.C : Les analyses qui ont été faites par exemple par l’ONG Transport & Environnement montrent que dans presque tous les cas de figures, les véhicules électriques ont un bénéfice écologique sur l’ensemble du cycle de vie avec les composants pour la batterie. Maintenant, l’objectif est de maximiser ce gain. Pour y parvenir, il faut jouer sur l’aval et sur l’amont. Sur l’aval, c’est la décarbonation de l’électricité et donc c’est pour cette raison que l’objectif n’a de sens que dans un contexte où on décarbone l’électricité et le patron de Volkswagen, Herbert Diess, a raison de dire que si l’électricité pour un véhicule électrique est à base de charbon, le gain est plus faible que si l’électricité est décarbonée également. C’est pour cette raison que la Commission travaille les deux aspects en même temps.
J.A. : Et la sortie du charbon est prévue à quelle échéance ?
P.C. : Il n’y a pas de base européenne sur le sujet mais pour faire simple, l’Allemagne a une sortie prévue pour 2039 mais il est probable qu’elle y parvienne avant. Car nous augmentons le prix du carbone sur le marché. Nous sommes aujourd’hui à peu près à 50 euros la tonne de CO2 et à ce prix, le charbon n’est plus rentable du tout. C’est pour cette raison, que l’accélération de la décarbonation est prévisible. Pour l’amont, la question est la batterie c’est-à-dire les matériaux, les composants, la circularité et la réutilisation de la batterie. Sur ce sujet une directive batterie, qui a été présentée par la Commission en décembre 2020 et sur laquelle les négociations ont lieu et aboutiront à un verdissement des batteries dans leur mode de fonctionnement…Tout confondu, le bénéfice environnemental est clairement évident et non contestable. Mais je pense aussi que l’on ne peut pas demander à un constructeur d’être responsable du mix électrique. La responsabilité juridique d’un constructeur est de faire une voiture qui émet zéro émission et ensuite la responsabilité politique est de faire en sorte que l’on sorte du charbon. Ce n’est pas au constructeur automobile de calculer l’ensemble de la chaîne. Si nous mettons demain une norme sur l’ensemble du cycle de vie : qui sera responsable ? Le producteur, l’assembleur, la voiture, le consommateur ? Personne en réalité et si personne n’est responsable, rien ne se fera. Ce n’est pas la bonne méthode. La bonne méthode est de fixer une norme sur les voitures, qui sera respectée, avec clairement une obligation juridique qui pèse sur les constructeurs. D’ailleurs, les constructeurs ne sont pas favorables à ce que l’on passe à une législation sur le cycle de vie. Et notamment dans le cadre de la publicité, ce serait impossible d’afficher ce respect de la norme.
J.A. : L’âge moyen du parc en France est de 11 ans presque, et pendant le confinement les Français ont ressorti des véhicules qui avaient en moyenne 16 ans d’âge. Les Français n’ont pas forcément les moyens financiers de changer de voiture et de passer à l’électrique. Ne craignez-vous pas un choc entre l’offre et la demande ?
P.C. : Plus les ventes de voitures neuves électriques seront nombreuses, plus vite il existera un marché de l’électrique en occasion où les coûts seront plus faibles. Mais il faut d’abord créer le marché primaire pour que le marché secondaire, voire tertiaire existe. L’argument de l’accès à la mobilité est juste mais il est vrai quelle que soit la technologie. Les études montrent que le véhicule électrique sera moins cher que le thermique en 2026. Nous arriverons au point où à aide publique équivalente, le prix de ce véhicule sera moindre. La rationalité économique directe, à l’achat, n’est pas encore là et c’est pour cette raison que les pouvoirs publics subventionnent le marché mais on s’en approche. Enfin, je crois beaucoup au retrofiting et nous n’avons pas encore travaillé suffisamment ce point. Et en France, pour le coup, on a l’air d’être plutôt en pointe. Nous avons une carte à jouer dans ce domaine qui permettra, pour quelques milliers d’euros, à la personne qui n’a pas les moyens d’acquérir un autre véhicule de rendre plus propre le sien. Il faut développer le marché primaire pour baisser les coûts, et ensuite aller chercher par le retrofiting des segments de marché qui n’iront pas à moyenne échéance vers du neuf. Et le dernier élément, c'est le leasing. Nous devons faire en sorte d’avoir des produits financiers qui fassent que le surcoût de la voiture électrique, soit pris en charge par le fait de gager les remboursements du prêt sur les économies réalisées en passant à l’électricité versus le carburant. Nous avons les solutions et c’est un ensemble cohérent que nous sommes en train de construire. Nous avons les grands enjeux en tête et en tant que législateur européen, nous déployons cette stratégie progressivement. Ce que nous faisons tient la route à la fois du côté des constructeurs, de la souveraineté industrielle, du climat mais aussi des enjeux sociaux.
J.A. : Quelles sont les prochaines échéances ?
P.C. : La Commission dévoilera sa proposition le 14 juillet. Ce sera une proposition législative de la Commission. Le Parlement européen se prononcera ensuite, puis les Etats membres. La version qui en découlera, servira de débat pour que le Parlement et le Conseil européen se mettent d’accord sur la même version. A partir du 14 juillet 2021, il faudra donc compter entre 12 et 18 mois de négociation.
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